Lonny – Ex-Voto
Horizon Musiques / L-Abe
2022
Franck Houdy
Lonny – Ex-Voto
Avec son premier album intitulé Ex-Voto, Lonny nous convie au cœur de sa folk intimiste, organique et vaporeuse. Convoquant un onirisme matérialisé par une voix tantôt ample tantôt soufflée et un arrangement qui magnifie chaque chanson, Lonny m’a percutée dès les premières secondes d’écoute. Ex-Voto fait naître des décors de grands espaces, une connexion à l’élément eau et une capacité à catalyser, au gré des mots et mélodies, une mythologie singulière. On aborde l’album de Lonny en cheminant entre terre et mer. L’élément eau est omniprésent. Il surgit dans les textes bien entendu mais il est également magnifiquement exprimé par le choix des arrangements de Jesse Mac Cormack et plus particulièrement par des effets de réverbération, de sonorités et de bruitages qui les saupoudrent. In fine, le résultat procure à l’ensemble cette sensation d’avoir été enregistré comme sous la surface des eaux. J’en veux pour exemple le premier titre, « Incandescente ». Son sublime arrangement restitue à merveille ce paysage de pluie, d’une finesse de dentelle. On plonge instantanément, comme suspendu au chant d’une sirène magnétique et suave. La captation de la voix si vivante et charnelle nous détache de toute perception temporelle. C’est toute la douce sorcellerie de cet album qui est ici concentrée. Par le prisme de son monde intérieur, Lonny se plait à capter ce qui se passe au cœur des mondes sensibles qui l’entourent. Ses chansons se donnent par couches successives. Au-delà du plaisir que l’on a à réécouter souvent son album, on y revient pour y dénicher, petit à petit, les sens cachés, les petits détails nichés ci et là.
« Comme La Fin Du Monde » nous arrive dans un battement de cœur, on perçoit l’essoufflement d’un amour. D’une voix plus grave et affirmée, elle évoque une solitude ressentie malgré l’autre, les instants manqués, l’éloignement qui s’impose. Le texte à la fois poétique et en prise avec une tranche de vie nous donne à voir les images d’un court métrage d’art et d’essai sur lesquelles viendraient se superposer, en fulgurance, des symboles archétypaux. « Tu vois derrière la lune Le sable rouille on voit du rouge Qui coule sur l’écume Tu dors mais moi je veille Et dans ton souffle, J’entends Les mille légendes de la mer. »
Au gré de l’écoute, sa voix se fait l’écho de résonances qui nous raccordent fugacement à Rosemary Standley, Keren Ann, Ladylike Lilly ou encore Pomme. D’emblée, « Avril Exil » m’a remis en lien avec les émotions très fortes que j’avais ressenties en découvrant AuDen (Adrien Daucé) et son sublime album Sillon, en 2014. Cette chanson est saisissante et recèle de belles lignes d’écriture: « J’emprunte mes nuits À mon sommeil, Je veille, j’avise De mon île solitaire ». « Amour, le temps me berce Que ta rive semble loin J’ai quitté l’île au matin clair J’ai regardé partir le train ». « Éteins La Mer » et sa profonde syncope bluesy, appuyée par une section de cuivres inscrivant leurs graves avec intensité, est une pure merveille. S’en suit « Mid Summer » tout en ralentissement et moiteur. Respirations et langueur sont à l’œuvre dans cette berceuse « L’été au loin s’enfonce, Je l’entends qui résonne Et le soleil immense, Plus rien ne l’étonne ». L’épure de « Black Hole » et « (Not So Sad) Love Song » nous ramène à l’essentiel de ce qu’est la musique folk. Guitare, voix et la joie sincère de se sentir relié à cette simplicité.
« (Not So Sad) Love Song » est un très beau duo avec Refuge. Pour « Black Hole » il faudra compter avec la présence hypnotique d’une vibrante nappe tendue composée de bruitages, synthé, trombone et thérémine. Parfois les chansons se font incantations. C’est le cas avec « Dans La Maison Des Filles », il y a ici une sorte de présence tribale, chamanique. Avec ce texte qui ne se donne pas totalement à qui l’écoute, on a l’impression étrange d’être projeté au cœur d’un cercle de femmes, dans une spirale transgénérationnelle « On parle d’amour Et quelque chose se dessine Dans la forme de l’eau Dans le son, le sol, les oiseaux Dans la maison des filles Les aurores s’électrisent ».
Au gré de l’écoute d’Ex-Voto, on est pris dans une nuée qui nous happe tout entier. Il faut alors beaucoup d’attention pour rester accroché au sens, à la beauté et à la poésie qui s’en dégage car le cocon qu’il tisse autour de nous est un tel cadeau qu’il peut se suffire à lui-même. Il y a assurément une magie rare dans cet album. Je me souviens avoir ressenti cela à l’écoute de Chante Nuit de Facteurs Chevaux. Amusant quand on sait que l’un des deux Facteurs Chevaux, Fabien Guidollet, a co-composé avec Lonny la chanson « Le Sable Normand ». Récit d’un doux dimanche à flâner amoureusement sur une plage normande « Et sans nuage Comme le ciel Parait immense et sans secrets Ce matin-là Dans tes yeux clairs Brillait l’été C’était la Manche Et moi j’aimais Comment le sel emmêlait tes cheveux Et la couleur du sable normand ». L’album se clôture sur le très intimiste « Allez Chagrin », l’au revoir à la peine où le renouveau lumineux pointe déjà ses premiers rayons.
Le voyage auquel Lonny nous convie est un aller-retour d’une terre à une l’île, d’un repli à une ouverture, d’une ombre à une lumière. Un trajet nécessaire pour revenir à soi puis aux autres. Et à l’écoute d’Ex-Voto, nous sommes très heureux d’être de ces autres et de l’accueillir les bras grands ouverts sur le quai du retour. À noter : vous pouvez également avoir le plaisir d’entendre Lonny sur le très réussi nouvel album de Baptiste W Hamon Jusqu’à La Lumière, pour lequel elle a enregistré l’ensemble des chœurs.
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