Live report Ninon Valder au Studio de l’Ermitage de Paris le 11 février 2024
2025
Lucas Biela
Live report Ninon Valder au Studio de l’Ermitage de Paris le 11 février 2024
Trente ans, c’est le temps qu’il a fallu à Ninon Valder pour s’approprier la culture argentine et la restituer au plus juste dans sa musique. L’excellence et l’émotion devaient donc être au rendez-vous de cette soirée du 11 février au studio de l’Ermitage. Maniant avec dextérité et sensibilité les instruments à vent, le bandonéon ainsi que le chant, Ninon surprend par la grâce de son propos et l’amour qu’elle porte aussi bien à sa musique qu’à son public. Son compagnon de jeu, le guitariste Sebastian Cordero, contribue largement aux ambiances élégantes qui s’installent alors.
La flûte peut offrir des contours rêveurs aux pièces. Avec des images de volutes en arabesques au-dessus d’une plaine déserte, l’« Oblivion » d’Astor Piazzolla prend ainsi une dimension aérienne. À La Esperanza, c’est toujours le grand air que l’on respire, mais la douceur pastorale nous rapproche de la terre. En revanche, dans les échos chamaniques qui pourraient être hérités de groupes Mapuche, comment ne pas penser aux danses rituelles, d’autant plus qu’un « appel du pied » les suggèrent. Là où il est question de la liberté de penser, les notes de l’instrument à vent se font plus foisonnantes, illustrant alors à merveille le bouillonnement de l’esprit de l’homme libre. Demandez un milonga, et c’est l’espièglerie qui accompagne l’amour de la nuit et de la vie. Petit à petit, ce sont alors des nuages dansants qui se forment et se dissipent au gré des vents.
En revanche, pour la zamba, vous avez plusieurs choix. D’une part, c’est le froid qui prend ses quartiers quand, invitée au piano, Carine Bonnefoy laisse dans ses mouvements lents les silences s’exprimer à la manière de Claude Debussy. Les lumières blanches dansant sur les portées apportent néanmoins un peu de fantaisie dans ce tableau sombre. D’autre part, c’est le feu qui souffle quand le danseur qui entre en piste fait claquer ses talons contre le sol et tape dans ses mains, agitant de temps à autre un foulard pour mimer les soubresauts de son cœur. Le bandonéon de Ninon y est alors assez allègre. On est ainsi assez loin de l’hommage à Dino Saluzzi, où les tortillements tour à tour prudents et brusques de l’instrument reproduisent à leur manière le tourbillon de la vie. Des différences de ton, c’est également ce que l’on peut noter dans le chant. Ainsi, pour ouvrir ce regard émerveillé de l’enfant sur le monde, c’est une passion gorgée de nuances qui s’exprime dans la voix, autant que dans les traits du visage. La gestuelle théâtrale vient d’ailleurs renforcer l’image. De même, pour porter la voix de l’homme libre, le ton peut être radieux mais se tourner aussi bien vers l’emportement que vers le réconfort berçant.
Et pour « tout changer », quoi de mieux que de commencer par les sentiments. À une mélancolie viscérale succède alors une joie de vivre partagée avec le trio Las Famatinas. Ailleurs, pour relater le passage du temps, les couleurs qui l’accompagnent et les souvenirs qui abondent une fois le départ des proches venu, c’est la gravité qui l’emporte. Il faut aussi mentionner les incantations chamaniques et les vocalises égarées, tout aussi bouleversantes. Ainsi, quel que soit le ton, l’émotion est palpable et le public en est tout ébranlé. La guitare accompagne aussi bien tous ces moments qu’elle les appuie à travers les boucles ou la reprise des airs. On notera la mélodie à pleurer dans le titre traitant de la liberté de penser, ainsi que la profusion de couleurs qui illumine la samba dynamique. A l’inverse c’est un spleen noir qui assombrit le rappel hommage à la vie. Et dans le monde que découvre l’enfant, c’est nous qui sommes ébahis par les surprises que réserve l’Argentine aux doigts d’orfèvre.
Ninon et ses acolytes ont ainsi su offrir un spectacle émouvant au studio de l’Ermitage. La passion s’y est en effet mêlée à une complicité autant avec les musiciens qu’avec le public. Car en effet, quand on veut partager son cœur, on doit avoir la confiance des autres.
Crédit photos : Max Ruiz