Live Report Martial Bort, L’Instanté, aux Disquaires 26 juin 2023
2023
Bruno Barrier
Live Report – Martial Bort, L’Instanté, aux Disquaires 26 juin 2023
Nous ne dresserons pas ici la liste très impressionnante des artistes que Martial Bort a accompagné, apportant chaque fois son talent, sa créativité, sa grande musicalité et sa générosité à des collaborations d’une riche diversité. Martial Bort, guitariste, compositeur, arrangeur, est de ces musiciens qui impriment une couleur à un projet tout en étant totalement au service de celui-ci. Pour rester dans le champ musical qui nous intéresse aujourd’hui, citons tout de même sa participation au projet « BBH 2015 » (revisite brillante de l’album BBH75 de Jacques Higelin) avec Juan Batus (chant) et Olivier Hestin (batterie), à l’Olivier Hestin Trio avec Alexandre Saada (piano) ou plus récemment sa collaboration avec Christian Olivier (Les Têtes Raides).
Ce 26 juin était la soirée de présentation du premier projet personnel de Martial Bort « L’Instanté », en live et sans filet, accompagné de deux autres funambules : Olivier Hestin (batterie), compagnon de route et de jeu depuis de nombreuses années, et Tom Caudelle (saxhorn, flugabone). Martial est un conteur musical qui nous présente un recueil de nouvelles instrumentales inspirées, très imagées voire cinématographiques, à l’écriture et aux structures complexes, mais largement ouvertes à l’improvisation et à l’expression de l’humeur de l’Instant. Il nous plonge dès les premières notes dans son univers que l’on pourrait situer aux frontières du jazz moderne, de la musique contemporaine et du rock, quelque part en Bortie, et nous voilà subjugués. Tour à tour, on s’interroge, on se laisse porter, on trébuche jusqu’à perdre l’équilibre avant d’être rassuré par la délicatesse des mélodies et la rondeur enveloppante des cuivres de Tom Caudelle, puis d’être à nouveau déstabilisé et débordé par l’énergie développée par les trois virtuoses. A l’image du jeu d’Olivier Hestin, les morceaux sont tels des mécanismes d’horlogerie parfaitement réglés qui semblent vouloir s’affranchir de toute règle de temps et de consonance mais sans jamais perdre le fil conducteur, plaçant l’auditeur dans une sorte de confort délicieusement perturbé, électrisé, magnétique et harmonieux
Parmi les influences palpables, on pourrait citer Marc Ducret, Pat Metheny, Bill Frisell ou encore Jimi Hendrix; mais que ce soit en termes d’écriture ou de jeu, Martial Bort fait preuve d’une singularité enrichie d’une culture musicale pointue et d’une ouverture d’esprit incontestable. Sa grande connaissance de la chanson française est flagrante lorsqu’on écoute ses thèmes, ses ritournelles sans paroles. Il est difficile de faire une analyse détaillée des différents morceaux avec une seule écoute live surtout lorsqu’il s’agit d’une musique aussi riche et de tels musiciens mais cela présente l’avantage de livrer un sentiment brut et de tenter d’exprimer les sensations de l’Instant.
On entre directement dans le vif du sujet avec l’énergique « Ouverture » et son thème saccadé fait d’unissons et de contrepoints savamment exposé par Martial et Tom, quand Olivier y assure à la fois la stabilité et la déstabilisation. La complicité et l’harmonie évidentes de la formation frappent immédiatement le public. Le saxhorn apporte à la fois les basses et la rondeur qui tapissent l’espace sans l’envahir et qui viennent parfaitement se mêler aux sons saturés agressifs de la guitare. L’alternance entre écriture précise et improvisation ainsi que le style jazz contemporain dopé au rock déjanté confirme, si besoin était, la grande ouverture musicale et la réjouissante liberté d’expression du trio. On poursuit en douceur avec « Crossing » et son arpège envoûtant, tout droit sorti de la boîte à musique cérébrale de Martial, sorte de mouvement perpétuel sur lequel viennent se poser un thème mélancolique et des percussions subtiles ; moment suspendu dont les variations d’intensité sont orchestrées par Olivier.
Mais, parce que ces trois-là n’aiment pas rester trop longtemps sur le même chemin, ils nous plongent ensuite dans une ambiance instable, presque inquiétante, avant de s’aventurer dans l’inconnu d’un passage free jazz pour revenir ensuite à la douceur d’une progression harmonique développée un temps à la guitare seule avant l’entrée progressive des deux compagnons de jeu de Martial, l’ensemble montant en puissance jusqu’à la fin du morceau. C’est sublime ! Grisant ! Tour à tour bercé, chamboulé, renversé et ramené calmement dans mon fauteuil, j’ai l’impression d’avoir vécu une expérience sensorielle d’une intensité folle. Vient ensuite « De l’Instant » qui de l’aveu de Martial est la composition dont est née ce projet. Il me faudra plusieurs écoutes pour assimiler toutes les subtilités de ce long morceau. On y retrouve une fois de plus les arpèges et lignes mélodiques croisées dont la construction nous semble d’ores et déjà familière. L’atmosphère est électrique du début à la fin et une énergie particulière se dégage des différents tableaux musicaux et des plages d’improvisation. Malgré la complexité, les tensions, les variations rythmiques et harmoniques, le public reste suspendu à la créativité de Martial et ses deux acolytes, totalement aspiré dans leur monde et séduit de tant d’inventivité sensible.
« Arpège » et son arpège très Methenyen propose un superbe thème d’abord exposé au cuivre, puis dont les phrases viennent se répondre, s’entremêler. Après un petit passage dans le Blues, une ambiance aérienne agrémentée d’effets sonores semble être une pause dans le temps, une respiration rafraîchissante. Une progression très seventies qui n’est pas sans évoquer les premières heures du Mahavishnu Orchestra fait progressivement remonter l’intensité jusqu’à la fin du morceau. Suivent une « Comptine » aux accents très blues et un « Bern » très énergique avec des plages d’improvisations très rock venant apporter de la saleté à la technique impeccable des trois musiciens mais aussi et toujours des temps de respiration, peut-être pour nous permettre de remettre nos idées en place.
Le concert se termine par le très cinématographique « Qui Tu Es ». Un thème superbe, que Tom Caudelle rend magnétique, flottant dans une ambiance sonore aérienne qui nous caresse et nous enlace puis s’égare pour notre plus grand plaisir dans les méandres des inspirations de Martial Bort qui nous gratifie d’une dernière page d’écriture splendide afin que l’on n’oublie pas ce que l’on vient de voir, d’entendre et de ressentir. Aucun risque…
Les compositions sont très riches, très imagées, à la fois organiques et magnétiques, le jeu de Martial Bort est habité, instinctif, techniquement impressionnant et résume presque à lui seul l’essence de L’Instanté. Mais attention, on ne peut réduire ce projet à son seul talent car Tom Caudelle est incroyable d’inventivité et de virtuosité et Olivier Hestin est une sorte de maître du temps et de l’habillage sonore et il s’agit bien d’un trio et non de la somme de trois individualités. Guettez dès à présent les prochains concerts de ce trio magnétique !
Un musicien exceptionnel de talent et un homme humble. L’avoir comme ami est un luxe rare.
L’instanté, instantanément conquis.