Live report AySay, au Mazette, Paris, le 10 octobre 2024
2024
Lucas Biela
Live report AySay, au Mazette, Paris, le 10 octobre 2024
Depuis l’« îlot culturel » Le Mazette, je peux voir une Seine agitée. À travers le reflet des lumières sobres du pont Charles-de-Gaulle sur les vagues, c’est un ballet aquatique dynamique qui s’offre à mes yeux. A l’intérieur, les lumières de la scène fanfaronnent davantage, pour un ballet humain tout aussi remué. Et on comprend pourquoi. En effet, pour faire patienter le public avant AySay, c’est un duo de DJs, Zajal, qui est aux manettes. Mixant de la musique dance sur des samples de musique traditionnelle arabe (violons, chant local, clarinette, accordéon, percussions), ils font bouger la salle. On voit même l’un des deux artistes jouer du saz, comme pour annoncer la couleur des successeurs. Le résultat est assez convainquant et, comme l’avait judicieusement fait remarquer ce cher George Clinton, « c’est le popotin qui suit une fois l’esprit libéré ».
Originaires du Danemark, AySay se distinguent par la combinaison d’un rock anatolien hérité de Barış Manço et trouvant aujourd’hui écho chez Altın Gün ou Kit Sebastian, et d’une pop nordique dont Aurora est le porte-drapeau. Polyglotte, Luna Ersahin, la chanteuse du groupe, surprend par sa maîtrise du kurde, du turque, du danois, mais également… du français ! En effet, c’est dans la langue de Molière qu’elle s’adresse au public tout au long de la soirée. Côté musique, qu’en est-il ? Eh bien, sur les accents psychédéliques propres au rock anatolien (ah, quel envoûtement quand l’orient du saz électrique rencontre l’occident de la guitare électrique !), ce sont des notes rythmées qui bercent la soirée. En effet, les musiques qui défilent (funk, disco, reggae, afro-pop, dance-punk, stomp rock…) délivrent un groove enivrant. Grâce à la maîtrise et au feeling du batteur, l’ensemble se retrouve aussi bien entraînant que subtil. On notera toutefois des moments qui permettent de respirer dans le flux des compositions « anatoliennes » du combo. Ainsi, ce chant a capella où se croisent douleur et douceur est fort émouvant. Plus tard, on sourit quand une fanfare brésilienne s’improvise. Enfin, comment ne pas être charmé par cette chanson française entonnée sur un rythme disco. La voix, parlons-en justement. Par sa capacité à jongler entre différents registres, Luna parvient à exprimer diverses émotions. Ainsi, on passera de la tristesse à la joie, avec mêmes des excursions vers l’emportement, ce qui rend sa prestation d’autant plus captivante. Ajoutez à cela l’expressivité de son visage et une gestuelle débordante de vitalité, et le tableau dramatique est complet. À bien des égards, aussi bien sur le plan de la dualité culturelle que de la sensibilité musicale, je ne peux m’empêcher de voir des points communs avec le concert que Liraz a donné dans le cadre de la première édition du festival Sacré Sound.
Au cours du set animé et dynamique de Aysay, les moments de complicité ne manquent pas. On peut les observer aussi bien entre les membres du groupe qu’avec le public. En effet, sur scène, les face-à-face guitare-saz ne sont pas rares. De même, pour faire entendre la fanfare brésilienne, la guitariste va changer de casquette et rejoindre le batteur dans ses frappes. Enfin, comment ne pas évoquer la chaîne qui lie les petits doigts sur scène. C’est également avec le public que le partage s’effectue. D’une part, le public est encouragé à se rapprocher de la scène. Ensuite, il est régulièrement mis à contribution dans l’accompagnement vocal, en particulier pour reprendre les « trois plus beaux mots kurdes ». Et quelle belle marque d’affection quand notre meneuse de revue descend à la rencontre du public, le tambourin à la main.
A l’instar de Grégory Privat, la Dano-kurde a en effet gardé son âme d’enfant, cette âme qui est curieuse et qui veut tout « sentir ». On le sent d’ailleurs (c’est le cas de le dire) dans une prestation où la belle vit sa passion comme si elle découvrait le monde pour la première fois. En effet, elle ne peut s’empêcher de jubiler quant à l’idée de faire participer le public. C’est aussi dans son chant ou à travers ses instruments qu’elle exulte. Ailleurs, sur ses expressions faciales et dans ses danses se lit un rapport primal à la vie. Enfin, dans cette fascination pour les langues, c’est une fenêtre qui s’ouvre sur le monde.
Véritable ode à la vie et à la curiosité, ce concert résume à lui seul tout ce que l’on peut attendre d’un tel événement : musicalité, charisme, appel à l’évasion, partage d’émotions, invitation à la danse et au chant. Ce soir-là, sur le bateau Le Mazette, nos sens ont navigué sur des mers chaudes et nos cœurs ont chaviré. Je ne peux pas terminer sans mentionner l’agence de booking et de promotion qui m’a fait découvrir AySay : Tartine Production, sous la houlette de l’ami Ridwan Le Boulch. Et moi, à mon tour, j’espère que mes mots vous convaincront de partager un bout de chemin avec eux.
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