Live report Ariana Vafadari + Pierre Cussac au Café de la Danse de Paris le 7 février 2024
2025
Lucas Biela
Live report Ariana Vafadari + Pierre Cussac au Café de la Danse de Paris le 7 février 2024
Ariana Vafadari, rappelez-vous, je vous en avais parlé à l’occasion de la première édition du Festival Sacré Sound. Elle en faisait en effet l’ouverture. Près de neuf mois plus tard, c’est d’un autre bébé qu’elle accouche. Mais avant d’en dévoiler davantage, attardons-nous sur Pierre Cussac, ce musicien attachant qui assure la première partie du concert de la diva ce 7 février au Café de la Danse. Seul sur scène, c’est avec son accordéon et suivant un répertoire éclectique qu’il nous fait voyager à travers le Brésil, l’Italie, l’Argentine et, bien entendu, la France. Ainsi, dans la composition pleine de gravité qui ouvre son spectacle, c’est un Giacomo Puccini sombre que l’on découvre. Nino Rota, compatriote du célèbre compositeur d’opéra, fera l’objet d’un pot-pourri où se mêlent frivolité et introspection. On remarque alors que c’est avec humilité et classe que l’accordéoniste fait souffler son instrument. Ne déroge d’ailleurs pas à cette règle cette pièce lancinante de sa propre composition qui pourrait illustrer un ralenti sur des tranches de vie du passé. Cependant, autour de diverses compositions de tango, c’est un univers plus effervescent qui s’anime. Majesté et solennité se croisent même quand intervient le chant de l’artiste (pardi ! c’est qu’il sait aussi jouer de sa voix notre gaillard !). Pour clôturer ce set intimiste, quoi de mieux que de mettre de l’eau réconfortante dans son vin agité ! C’est en effet un « Agua E Vinho » tout en mélancolie qui met à l’honneur le grand Egberto Gismonti.
Éclectique, la création d’Ariana Vafadari l’est tout autant. La (toujours) grande cantatrice a troqué le vert pour le rouge dans l’élégant drapé de sa toge. Avec ce nouveau bébé, qu’elle a baptisé 4Femmes, il s’agissait de mettre en musique le parcours difficile de trois jeunes filles d’Asie rencontrées à l’époque de la covid. Sur des textes du romancier et cinéaste franco-afghan Atiq Rahimi, trois chanteuses aux origines diverses se sont prêtées au jeu. Ainsi, à la mélancolie rêveuse de Cindy Pooch répondent les arabesques ardentes de Guläy Hacer Toruk et le mysticisme hindoustani de Marianne Svašek. Accompagnant les quatre chanteuses, c’est un quatuor tout aussi hétéroclite que l’on suit. Ainsi, les doigts de Julien Carton (piano) donnent vie à un corps romantique, là où ceux de Leïla Soldevila (contrebasse) en font battre le cœur. De leur côté, Keyvan Chemirani (percussions) et Ruşan Filiztek (saz et oud) offrent un cadre à la fois aride et solaire au récit.
Grave, la voix de Cindy peut susciter le mystère. C’est vrai aussi bien dans les mots susurrés qui introduisent le concert que dans le chant. On retrouve en effet dans ses mélopées tantôt des trémolos saisissants et des decrescendos glaçants, tantôt des notes bienveillantes et réconfortantes, se rapprochant d’une berceuse. A travers cette mélancolie réservée, envoûtement et suavité savent nous charmer. Autrement fascinantes, les voix de Gulaÿ et de Marianne prennent le temps de se développer. Les arabesques mystiques gorgées de douleur de la chanteuse d’origine turque offrent ainsi une beauté indicible. Quant aux vocalises chaudes de son acolyte néerlando-tchèque, elles apportent un élan d’espoir. Et Ariana dans tout ça ? Eh bien, son chant à la croisée du lyrisme et de la tradition fait souffler le chaud et le froid sur ce méli-mélo de lamentations et d’exaltation. Quelques contrastes peuvent frapper notre esprit. Dans des tons romantiques, le piano partage certes ses peines, mais quand vient le tour de ses joies, les vocalises de nos chanteuses rayonnent alors tel un soleil auquel des nuages auraient daigné céder le passage. En revanche, dans cet autre instant où la lumière pénètre dans la pièce, on peut voir Ariana émettre dans un premier temps quelques doutes avant de les dissiper avec ses partenaires de chant. De disparité, il est également question dans les échanges entre instruments. Ainsi, dans un moment où la voix de la mezzo-soprano est pleine d’aplomb, des ambiances contradictoires s’entrecroisent. Aux doutes partagés par Keyvan et Ruşan répond en effet la légèreté proposée par Julien et Leïla.
Il faut d’ailleurs mentionner le rôle central de l’instrument de cette dernière. Évitant la monotonie des trajets en ligne droite, la contrebasse fait en effet avancer le train sur des parcours sinueux mais où les rails sont parfaitement entretenus. Parmi les solos avec lesquels les autres partenaires de jeu ne manquent pas d’éblouir le public, quel contraste entre l’excentricité des percussions de Keyvan et le questionnement introspectif de Julien. Et que dire de ce « tapping » effectué par Ruşan sur son saz : de quoi rendre Stanley Jordan jaloux ! Mais on observe aussi des duos émouvants tout au long du concert. Il en va ainsi de ce soutien mutuel entre les larmes coulant sous les doigts du pianiste et les sanglots secouant la voix de Guläy. Tirés de part et d’autre par les tourments, les mots de Marianne s’en trouvent plus fragilisés, accentuant par là même une douleur déjà bien présente. En revanche, quand Cindy broie du noir, l’initiatrice du projet tente de la sortir de son chagrin en la conduisant vers des horizons plus radieux. Ailleurs, quand les quatre voix s’unissent, on assiste à une belle communion où chaque couleur ressort. L’atmosphère devient alors mystique, quasi religieuse comme dans les grandes polyphonies du Moyen-Âge.
Avec cette nouvelle création, Ariana Vafadari donne un coup de projecteur à des voix féminines originales, mais également à des instrumentistes de talent. Poursuivant sa volonté d’unir différentes cultures tout en offrant la possibilité à chacune de s’exprimer librement, la chanteuse / compositrice le fait toujours avec sensibilité et humilité. Voilà une initiative qu’il faut saluer.
https://www.arianavafadari.com/