Lazuli – Tant Que L’Herbe Est Grasse

Tant Que L’Herbe Est Grasse
Lazuli
2014
Autoproduction

Lazuli – Tant Que L’Herbe Est Grasse

Il en va du rock progressif comme du football : une hiérarchie s’établit, qui attire plus ou moins les foules. Dans l’univers du ballon rond, vous avez la Champion’s League (chasse gardée du gotha européen), la Coupe Europa (sorte de séance de rattrapage pour les clubs nantis ayant échoué dans l’épreuve reine) et, enfin, les championnats nationaux avec leur cortège de divisions inférieures (le pain quotidien pour le bon peuple). Dans cet ordre d’idées, Lazuli est au cercle du rock mélodique ce que Chelsea, le FC Barcelone ou le Real Madrid sont au monde du foot : une icône. Et, avec la parution de « Tant Que L’Herbe Est Grasse », on se dit que nos amis cévenols sont idéalement placés pour remporter l’édition 2014 de la Ligue Des Champions. Ce gouleyant millésime digital est le très attendu successeur de l’excellent « 4603 Battements » et ceux qui pensaient que le groupe avait plus ou moins tout dit avec ses précédents disques en seront pour leurs frais : le combo, mu par une tension artistique palpable, y démontre en effet une impressionnante capacité à se renouveler. Musicalement parlant, Lazuli est ici au faîte de sa forme et de son art. La formation se fend en effet d’une fusion rock teintée d’effluves ethniques et symphoniques tout bonnement « himalayesque », avec, entre autres, des séquences de Léode et de six-cordes exceptionnelles.

Dotées d’une production impressionnante d’énergie, de clarté et de richesse (on découvre ainsi des subtilités inattendues à chaque nouvelle écoute), les neuf compositions formant l’ossature de cette œuvre brillante font preuve d’une diversité jouissive, tout en conservant une détonante unité mélodique. Sublimé par le chant clair, intense et sobre de Dominique Leonetti, cet opus à nul autre pareil possède un sacré magnétisme. C’est qu’il a institué l’hybridation des styles en religion, tirant un magistral bras d’honneur aux étiquettes réductrices et aux idées reçues. Ses morceaux superposent donc, avec un talent confondant, des mélodies rock construites sur une tension musicale remarquable qui, après des montées en puissance savamment orchestrées, explosent en crescendos furieux (le formidable morceau introductif « Déraille »), avec des ballades douces amères (« Une Pente Qu’On Dévale », « Prisonnière D’Une Cellule Mâle »), des titres ethno-rock couillus (« Homo Sapiens ») et des séquences néo-classiques matinées d’électro (« Tristes Moitiés »).

Sans revenir sur les mérites de chacun, on notera la variété des (discrets) claviers, parfois en appui d’un martèlement rythmique furieux dont Lazuli s’est fait une spécialité (« Homo Sapiens »), parfois tissant des boucles en quasi-contrepoint dudit martèlement (« Déraille »). Les passages plus apaisés, comme la première partie de « J’Ai Trouvé Ta Faille » ou « Tristes Moitiés », reposent sur des mélodies limpides et sur un travail rythmique étonnant (pour le dernier morceau cité, on pense parfois à une étrange valse ralentie). Last but not least, des titres tels que « Multicolère », « Les Courants Ascendants » (bouleversant par sa succession de vagues émotionnelles submergeant tout sur leur passage) et « J’Ai Trouvé Ta Faille » (avec la participation royale, en special guest star, de Mister Fish au chant !) sont de sacrées réussites dont nous ne nous sommes toujours pas remis. On pourrait de même analyser en long, en large et en travers, des textes aussi clairs et précis que le chant qui les porte.

Avec cet album, Dominique Leonetti prend de la hauteur, file des métaphores existentielles limpides et poétiques. Détaillons : l’usure du couple dans « Tristes Moitiés », dont la séparation laisse pourtant espérer « la beauté des choses à nouveau »; les ravages de l’homme sur son environnement – thème cher au groupe – avec le monde « qui déraille » de l’ »Homo Sapiens » (« Nous avons avalé/Des forêts entières/Jusqu’à la lie/Jusqu’à la lisière »); l’aliénation éternelle des femmes (« Voici l’ordinaire/D’une femme idéale/Prisonnière d’une cellule mâle »). La vie est « une pente qu’on dévale », et il ne reste bien souvent que la « Multicolère », dont les couleurs (« Par toutes les couleurs passe ma colère ») révèlent la pulsion de destruction dont l’être humain peine à se défaire.

A l’arrivée des courses, cet opus venu d’une autre planète et aux paroles d’une immense qualité, est tout bonnement superbe : il se hisse tout en haut de la discographie du combo, aux côtés de « En Avant Doute » et de « 4603 Battements ». Il devrait donc permettre à ses géniteurs, et ce n’est pas là l’une de ses moindres qualités, de s’adresser sans l’ombre d’un doute à un large public. A quand la reconnaissance internationale tellement méritée pour le meilleur gang hexagonal de ces dix dernières années ?

Philippe Arnaud & Bertrand Pourcheron (10/10)

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http://lazuli-music.com

Extrait de l’album en écoute ici

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