Lazuli – Dénudé
L'Abeille Rôde
2021
Christophe Gigon
Lazuli – Dénudé
Comme beaucoup de groupes en ce moment, Lazuli s’est essayé à l’exercice périlleux (et souvent vain) de la reprise de ses propres titres dans des versions « dénudées ». On comprend bien que la période morose que nous vivons oblige les musiciens à rivaliser de projets afin de tenir à flot l’entreprise. Et comme Lazuli n’est pas Gad Elmaleh (qui fait du karaoké sur du Nougaro), on pouvait bien imaginer que Dénudé s’offrirait avec grâce et volupté. Effectivement, la beauté jaillit de chaque note de cet album magnifique d’épure et d’exigence. Les seize titres proposent un voyage tout doux dans l’univers ordinairement si tempétueux de Lazuli. On savait que les membres de la formation du sud de la France n’étaient pas des manchots, donc on pouvait bien imaginer que ces relectures ne décevraient pas. Et que la voix divine de Dominique Leonetti (y a-t-il meilleur chanteur dans tout l’Hexagone ?) suffirait à poser l’édifice sur du cristal clair.
Pourtant, il y avait bien quelques motifs d’inquiétude. En premier desquels l’abandon de poste du génial guitariste Gédéric Byar l’été passé. Son style racé (et unique !) participait à l’univers Lazuli. Autre souci impérieux, comme pour Saga (qui vient également de proposer un album de pistes réarrangées, Symmetry) ou Peter Gabriel, le son reconnaissable entre mille du quintette était principalement dû à une production d’orfèvre, à une dynamique soyeuse à laquelle participent envolées de claviers, éruptions guitaristiques, pleurs de Léode, assauts rythmiques et, surplombant le volcan, la voix gracile et divine du chanteur. Comment rendre ces effusions estampillées sans électricité ? Comme on le sait tous, on reconnaît la qualité d’une composition au fait qu’elle puisse être jouée sur une guitare de piètre qualité au bord d’une plage de Rimini. Et c’est naturellement le cas pour chacune des chansons des neuf disques de Lazuli.
Premier soulagement : Arnaud Beyney, le jeune guitariste à qui incombait la difficile mission d’accepter cette fonction, assure comme une bête, sans chercher à cloner le son si caractéristique de son illustre prédécesseur. Il possède lui aussi un toucher personnel, qui se marie à merveille avec le reste de l’équipe. Lazuli a parfaitement compris que le meilleur moyen de remplacer un guitariste irremplaçable est de ne pas essayer de le remplacer, en ouvrant de nouvelles voies. A l’instar de Marillion qui a compté en son sein deux excellents chanteurs, radicalement différents, Lazuli va poursuivre sa quête avec sérénité. Si cet album prouve que l’avenir semble assuré, on se réjouit d’entendre ce que va proposer la nouvelle recrue lors du prochain effort studio. Pour le moment, le piano, les guitares acoustiques et les arrangements feutrés permettent à l’auditeur de profiter d’une « compilation » bien achalandée, bien que déshabillée. Quelques passages électriques (le son de guitare « à la George Harrison » de « Dans Le Formol Au Muséum ») habillent quelques séquences, de sorte que jamais l’impression d’entendre un énième MTV Unplugged ne vient blaser le mélomane.
Le sublime « Cassiopee » n’a rien perdu de son charme. La Leode assure le paysage. « Mes Semblables » jaillit des 12 cordes. « Vita Est Circus », bien que réduite à l’os, étonne par sa profondeur. « Naïf » sonne comme du Cabrel qui aurait bu du café et « En Avant Doute » reste une claque magistrale, même amputée de sa gangue de distorsion. La hargne est préservée. Et la séquence finale, susurrée avec panache, frappe au ventre. « La Valse À Cent Ans » (superbes parties de piano !) devrait être proposée à Tim Burton comme thème principal de son prochain long métrage : poils au garde-à-vous ! « Une Pente Qu’on Dévale », sous ses faux airs de Bashung/Gaëtan Roussel, montre, si l’en était encore besoin, tout le pouvoir mélodique qui habite cette autre machine à rêver, française celle-là. « Nos Âmes Saoules » rappelle le Genesis de Trespass mâtiné des Beatles de L’Album Blanc. Un délice.
Dénudé est donc à classer dans les exercices périlleux réussis, à l’instar du sublime Unplugged d’Eric Clapton en 1994 ou du surprenant MTV Unplugged : Summer Solstice de A-ha, paru il y a quatre ans. Quand déshabiller offre tant de plaisir, c’est que l’être nu est magnifique. Classieux. Mais on se réjouit aussi de retrouver le Lazuli énervé armé de son nouveau six-cordiste affûté (voir vidéo ci-dessous).