Julien Doré – Løve

Løve
Julien Doré
2013
Sony Music

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Le « / » sur le « o » de « Løve » est une cicatrice sur une blessure. En danois, løve veut dire lion. Résolument fort, il guérira en léchant ses textes et ses musiques, en regardant vers le haut, en attente de quelque chose, pendant qu’il se remémore. Pour cela, Julien Doré va s’accompagner de ses amis. Faire un voyage en bonne compagnie, vers les souvenirs d’un amour perdu, les exorciser, leur faire un sort. A la fois fragile, sur la corde sensible, et puissant, sur la corde raide, c’est tout un cheminement qui se trace à travers les orages et  les ciels clairs. De place en place, de Viborg à Angoulème, de London à Tokyo, ou de Séville à Seychelles, et Paris, les sentiments se perdent, et reviennent, avec leur charge, leur bonheur et leur douleur. Julien Doré expose dans ce troisième album un paysage de couleurs qui parlera à nos cœurs et à nos âmes. Plus que sur « Ersatz » et « Bichon », c’est bien ici que se découvre le plus un artiste en totale liberté, qui peint dans des textes poétiques une rupture amoureuse. La fantaisie dont faisait preuve par moment Julien précédemment, disparait peu à peu et laisse transpirer un être profondément sensible. Non pas que la dérive humoristique soit complètement absente, mais elle n’est pas au cœur d’un propos majoritairement sombre.

Pour remédier à cela, un clair-obscur musical s’abat doucement sur « Løve », tour à tour dansant et mélancolique, lyrique et synthétique. Antoine Gaillet, réalisateur de l’album, a su mettre de la profondeur à cette voix chaude et si reconnaissable, tout en mettant en valeur chacun des musiciens : des envolées de batterie d’un Mathieu Pigné en état de grâce aux résonnances atmosphériques des guitares et basses de Darko Fitzgérald, Baptiste Homo et Clément Agapitos, tous très inspirés, en passant par les cuivres divin de Frédéric Aubin et le piano magique de Julien Noël. Point d’Arman Méliès sur l’album cette fois-ci, mais il a composé une chanson, et pas des moindres. Son ombre plane quand même beaucoup, et le rapprochement musical de cette famille de musicien réjouit, tant les albums de ces différents artistes composent un kaléidoscope d’émotions, magnifié dans un élan commun, où les similitudes se télescopent pour mieux se sublimer.

« Viborg », composé par Baptiste Homo et Clément Agapitos, qui forment le groupe OMOH, et dont je vous encourage à écouter les premières productions, installe immédiatement un climat de solennité synthétique. On pense bien évidemment à Arman Méliès mais aussi à Christophe. La pesanteur cède, on plane littéralement, on accompagne Julien Doré dans son spleen post romantique, dans la noirceur du soleil danois. Puis « Paris-Seychelles », notes de pluie mélancoliques, avant qu’un aspect plus cool et dansant n’arrive, comme un remède, un baume, pour se guérir. En vain. Alors on se réfugie dans l’errance, « Habemus Papaye » sent la mer, désertée et glauque, tandis qu’une musique un peu lounge enjolive la solitude, renforcée par les voix féminines du duo Brigitte. Et on imagine Chris Rea chantant sur du Simply Red. L’absence est un vent froid qui parcoure les dunes des souvenirs brisés.  Autre lieu, autre manque, l’ »Hotel Thérèse » déploie un spleen new wave que Darko élabore avec sa sensibilité post rock, tandis que Julien hallucine dans son errance de lion blessé.

Le ukulélé est ressorti pour les soins de « Heaven », paradis solitaire où Doré espère, sur une mélodie entrainante et solaire. Mais « Chou Wasabi », avec Micky Green, entérine la cassure, à coup de synthé et guitare 80’s. Les souvenirs d’enfance, de « Platini », remontent, seuls refuges, étonnante ode à un grand joueur de foot. La voix au début trainante devient aigüe, au fur et à mesure que le sourire revient, aidé par les chœurs d’enfants. Une transition vers une dernière partie où le travail de deuil de cette rupture va prendre toute son ampleur.

« London Nous Aime », signé par Arman Méliès, Darko, OMOH et Julien Doré est une dernière tentative pour retenir l’autre. Là aussi, des spectres du bonheur passé s’entremêlent avec la dure fulgurance de l’absence. Le beau piano voix signé Arman Méliès, « Mon Apache », est le premier signe d’acceptation. Mais la solitude languissante, magnifiée par un piano requiem sur des chœurs aériens, commence à laisser des traces. « On Attendra l’Hiver », composée par  Darko et Doré, sublime, poétise les instants revanches, pour mieux mettre un terme au manque. Il n’empêche, la profondeur du chagrin fait mal. L’ombre d’un Méliès rôde au détour des guitares et de l’ambiance générale, cinématographique. L’urgent « Corbeau Blanc », testament synthétique et aérien, emmène avec un texte magnifique vers la fin du tourment. Désespoir et échappatoire final, l’amour est mort. Enfin dans un dernier sursaut, c’est « Balto », balade avec chœurs façon Bon Iver, qui conclue sur une note de nostalgie. Les cuivres achèvent de rendre le titre poignant. Le voyage est terminé, la blessure se cicatrise, la route est ouverte.

L’édition collector possède, outre 3 remixes de l’addictif « Paris-Seychelles », deux bijoux. « Porc Grillé », qui rappelle le génial « Baie des Anges » sur « Bichon », un chanté parlé, avec une musique 70’s qui va crescendo. La douceur du piano allié aux cuivres nous emporte dans un tourbillon d’images saccadées. Enfin, la reprise de Louis Aguilar, « Memories », un autre piano voix en Anglais, plein de mélancolie et de solitude. Julien Doré y révèle toute sa sincérité et son émotion. Un dvd de l’enregistrement des chansons en plus et l’objet devient indispensable.

Julien Doré a bien changé depuis cette fameuse émission de télévision qui l’a révélé. Il y excellait déjà, et l’étonnement à l’écoute des deux premiers albums n’avait été que plus violent. Qui pouvait imaginer que ce showman savait exploiter les influences folk d’un Neil Young ou Herman Dunne, faire des titres façons Bashung ou Gainsbourg, allait demander au génial Arman Méliès de collaborer avec lui, écrire des textes poétiques aussi beaux, apporter son originalité dans des morceaux qui ne choisissent pas la facilité, et ainsi bâtir un univers post romantique saisissant.

Avec « Løve », c’est la confirmation qu’un grand artiste est né, qu’il faudra compter avec lui, et on l’espère encore longtemps. Un tour de force, un grand album, qui, je pense, restera un classique.

Fred Natuzzi (9/10)

http://www.juliendoreofficiel.com/

Pour découvrir OMOH :

http://omoh.bandcamp.com/

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