JPL – Le Livre Blanc
Quadrifonic
2017
JPL – Le Livre Blanc
Jean-Pierre Louveton est devenu une référence pour qui s’intéresse un tant soit peu au rock progressif hexagonal. Que ce soit sous la bannière de Nemo, de Wolfspring ou de JPL, il délivre régulièrement des productions de haut vol. Après l’annonce d’une pause (ou d’un arrêt ?) de Nemo, on avait pu apprécier la mise en place d’une nouvelle équipe sous la bannière JPL dont les premiers concerts étaient à la fois aboutis et prometteurs. Ainsi, donc, après le dépoussiérage fort réussi d’anciens titres (et d’inédits) sur un Rétrospections Volume II que j’avais salué dans ces colonnes l’an dernier, et un excellent MMXIV (2014), Jean-Pierre revient dare-dare nous présenter Le Livre Blanc, nouvelle œuvre aux parfums personnels (comme souvent) et un tantinet mystiques (comme le révèle la sublime pochette conçue par Stan W. Decker). Partiellement un peu moins enclin à développer les atmosphères progressives chères aux progheads, ce nouvel album pourrait quelque peu surprendre avec des compositions plus proches d’un rock mélodique où les guitares acoustiques prennent une part plus importante qu’à l’accoutumée. En fait, il n’en est rien, tellement cet opus s’inscrit dans la démarche de son auteur, compositeur et producteur, si ce n’est le développement de thèmes encore plus intimes et sombres.
Déjà, quand vous prenez l’objet entre vos mains, vous êtes subjugué par l’illustration de couverture réalisée par Stan W. Decker, assez inhabituelle quand on connaît les productions de son auteur, mais dont la qualité en démontre tout le talent (de même que la faculté à relever ce genre de défi). Entre un vitrail d’église (l’aspect et les couleurs en sont particulièrement réussis) et une peinture de personnages à la Bosch ou Bruegel l’Ancien, on imagine que cette production correspond aussi bien à la teneur des discussions entre Stan et JP qu’au contenu de l’album. D’ailleurs, cette illustration poursuit clairement le travail entamé avec les deux précédents albums de JPL. De même, le titre du disque, Le Livre Blanc, révèle autant son côté informationnel appelant à la réflexion de l’auditeur qu’un aspect quelque peu mystique (ou antimystique, allez savoir !)…
Musicalement, l’amateur des albums de Jean-Pierre Louveton y trouvera tout ce qu’il connaît déjà : des structures complexes, ce son et ce jeu de guitare si caractéristiques, des textes appelant à la réflexion. Par exemple, le morceau introductif, « Un Livre Ouvert », après une belle introduction de guitare classique, délivre de jolis riffs, l’impressionnant jeu de batterie de Jean-Baptiste Itier (Nemo) et le piano de Guillaume Fontaine (le perpétuel frère en musique). « L’Ermite » est de la même veine, laissant la part belle au style acéré et inventif de Louveton aux guitares. Mais il y a des surprises, comme ce « Joker », titre chanté en anglais en grande partie par la voix puissante de Steph Honde. Steph Honde, qui est d’abord un brillant guitariste (je reste d’ailleurs autant redevable envers ses interventions époustouflantes sur l’album de Grandval qu’à celles de Jean-Pierre Louveton), s’adonne de plus en plus au chant, comme il le montre dans son projet énorme, Hollywood Monsters, dont le dernier album, Capture The Sun, est une pure tuerie. Ici, co-auteur du texte, il amène un côté rock et incisif sur un titre qui fleure bon son Deep Purple période Steve Morse ! Évidemment, les guitares (électriques et acoustiques) sont à l’honneur, soutenues par la batterie solide de Ludovic Moro (Wolfspring, JPL). « Trompe La Mort » est un autre duo vocal, avec comme comparse Dominique Leonetti. Le chanteur de Lazuli devient un habitué, lui qui amenait déjà la beauté de sa voix sur « Le Dernier Souffle De Vent » de MMXIV. Basé sur des guitares acoustiques, des percussions et une belle ligne de basse de Jean-Pierre, c’est vraiment une magnifique chanson, parmi mes préférées de l’album. « L’Etoile Du Nord » est au mitan du disque et sera sans doute un des titres qui raviront le plus les fans de JPL (c’est d’ailleurs l’un des morceaux dont le clip est déjà en ligne).
Mais, s’il y a une réelle surprise sur cet album, c’est « Convoléances » (voir la vidéo ci-dessous). Voilà bien un morceau inattendu de la part de Jean-Pierre Louveton. Ah, la batterie est programmée ? Et alors ? Les percussions sont splendides, tout à fait dans la veine d’un album de Peter Gabriel tirant vers la world music. Les guitares sont subtiles et dosées et la voix de Jean-Pierre porte délicatement un texte magnifique. Oui, cela se rapproche de la chanson française (chacun sera à même de faire les rapprochements avec certains artistes francophones). C’est bien l’apanage d’artistes comme Louveton de ne pas rester enfermés dans les carcans trop étroits d’un style sectaire. Au risque d’attirer l’incompréhension de ceux qui trouveront ce titre plus faible, j’irai même jusqu’à penser que c’est le plus réussi, le plus parfait de cet opus.
Et il introduit une autre monstruosité inspirée par Deep Purple, le grandiose « La Peste Et Le Choléra / L’Antidote ». Pour qui a vent des convictions antifascistes de Jean-Pierre, le texte ne surprendra pas vraiment (si ce n’est par sa qualité indéniable). Mais musicalement, quelle baffe ! Tout le talent de compositeur et d’arrangeur est vraiment mis en exergue sur ce titre avec, cerise sur le gâteau, une partie de basse dantesque de Sébastien Delestienne (musicien de scène de JPL) sur la seconde partie, « L’Antidote ». « Jehanne » est du même acabit, faisant le lien entre l’aspect plus traditionnel de l’expression française et les potentialités progressives du bonhomme Louveton. L’album se conclut avec le doux instrumental « Le Livre Blanc » qui aurait mérité les moyens d’une production plus riche pour inclure de vraies cordes tellement la mélodie en est accrocheuse. Mais, à la fin, c’est toujours la guitare de Jean-Pierre Louveton qui gagne !
Si j’ai quelque peu disséqué les titres de cet opus, c’est pour en montrer les aspects variés et les ambiances changeantes. Oh, pas de quoi en conclure que le disque est décousu, loin de là ! La thématique qui sous-tend l’album profite de ces aspects bigarrés et il y a suffisamment de surprises pour apprécier Le Livre Blanc à la hauteur de ses qualités. À peine pourrait-on noter un mastering manquant un poil de dynamique, mais ce serait vraiment pinailler… On ne doute pas que, fort de ce nouvel album, Jean-Pierre Louveton et ses comparses, dans une formation de JPL désormais rodée, et avec deux albums récents à promouvoir, sauront délivrer des concerts dont nous avons hâte d’inscrire les dates dans nos agendas ! Ah oui, j’oubliais : si Jean-Pierre a la gentillesse de remercier celles et ceux qui lui permettent (amis musiciens, contributeurs des préventes…) de continuer à pouvoir sortir des albums, il n’en est pas moins bon de rappeler aux autres que c’est en achetant les disques et en allant aux concerts de créateurs comme JPL qu’il est possible de voir émerger et perdurer une scène musicale française, en particulier francophone, qui n’a guère la faveur des médias du grand cirque culturel hexagonal. Je vous invite donc à vous procurer sans coup férir cette succulente galette qui ravira vos papilles auditives.
Henri Vaugrand