Jon Anderson – Olias Of Sunhillow: Une Histoire Edifiante
Atlantic
1976
Thierry Folcher
Jon Anderson – Olias Of Sunhillow: Une Histoire Edifiante
Quel besoin et quel intérêt de revenir sur ce mythique album de 1976 ? Tout simplement parce que derrière la musique se cachent des événements et des péripéties longtemps ignorés et sur lesquels Jon s’est enfin exprimé à l’occasion du 40ième anniversaire de sa parution. Cette chronique va donc s’intéresser aux mystères entourant la création de l’album en laissant un peu de côté son contenu qui a, depuis fort longtemps, alimenté bon nombre de publications. Tout le monde s’accorde à dire que de tous les albums solos des membres de Yes, Olias Of Sunhillow fut bien celui qui a remporté le plus de suffrages. Et pourtant, c’était loin d’être gagné pour l’ami Jon, considéré par ses petits camarades comme étant celui qui avait le moins de bagage musical. Et oui, vous avez bien lu ! Les Howe, Squire et autre White se marraient en douce quand ils décidèrent de faire un break et de se lancer dans une aventure solo. Personne ne croyait Jon capable de livrer un album potable et encore moins de l’entendre jouer d’un instrument de musique de façon acceptable. Et bien Jon va relever le défi, et de quelle façon !
Petit retour (ou plutôt grand retour) en arrière, en cette année 1975 qui a vu Yes atteindre des sommets de popularité depuis Fragile (1971) jusqu’à Relayer (1974). Le groupe venait de conquérir la planète et squattait les premières places des charts, installant même Tales From Topographic Ocean (1973) à la toute première place du classement britannique. C’est forcément lassés par la succession de passages en studio et de tournées marathon que ses cinq membres se séparèrent et se lancèrent dans le difficile exercice de l’effort solo. Une décision encouragée par leur maison de disque qui voyait là l’occasion de multiplier les bénéfices de l’entreprise Yes. Patrick Moraz, le remplaçant de Rick Wakeman sur Relayer, faisant lui aussi partie de l’aventure. Jon connaissait ses faiblesses et savait qu’on l’attendait au tournant. Le très court « We Have Heaven » écrit en solo pour l’album Fragile n’avait guère convaincu et ressemblait plus à un exercice vocal qu’à un véritable titre digne du chanteur de Yes. Et pourtant, il faut bien admettre que ce sont les prémices de Olias Of Sunhillow que l’on perçoit. Comme quoi, les graines étaient déjà plantées et la belle moisson viendrait cinq ans plus tard. Ce genre de boucle vocale répétitive en langue inventée n’appartient qu’à lui et fait encore partie aujourd’hui de son univers musical. Sur cet aspect très particulier de son chant, Jon explique : « Si je n’ai pas de paroles, je fais un son ». Il rajoute même que ces « mots fabriqués » sont un solo pour sa voix.
Donc en ce début d’année 1976, c’est envahi de doutes et de perplexité qu’il s’attelle à la réalisation d’Olias Of Sunhillow. Jon est seul aux commandes avec uniquement Mike Dunne, l’ingénieur du son de Yes, comme compagnon de studio. Il ne veut surtout rien dévoiler de peur que les réactions soient négatives et malgré l’insistance du label pour avoir quelques informations, il tiendra jusqu’au bout avant de révéler au monde les fantasmagories de la planète Sunhillow. Jon ne le sait pas encore, mais il possède un sacré avantage sur ses camarades. Il EST la voix de Yes et que ce soient Beginnings de Steve Howe, Ramshackled d’Alan White et à un degré moindre Fish Out Of Water de Chris Squire, tous ces albums vont souffrir du manque flagrant de cette « identité remarquable ». Et de sa voix, il va s’en servir ! Grâce à un 24 pistes de l’époque, performant certes, mais bien loin des possibilités actuelles. Il va même bâtir une construction vocale absolument inédite. C’est donc en tant qu’explorateur, magicien et « Géo Trouvetou » de la console qu’il va créer plus de vingt voix différentes représentatives des quatre tribus de Sunhillow. Un travail colossal qui va l’amener au bord de la folie. Un matin de printemps 1976, après avoir œuvré toute la nuit à synchroniser presque à l’aveugle les voix et les instruments, il se décide, dans un état semi-comateux, à enclencher le magnéto et découvre alors un résultat ahurissant. A cet instant Jon va éclater en sanglot et remercier Dieu. Il sait désormais que la partie est gagnée.
Si côté musique tout était à construire, côté histoire tout était en place depuis fort longtemps. En effet, c’est en admirant la pochette de Fragile, la toute première dessinée par Roger Dean, que Jon va imaginer la tragique histoire de cette planète mourante et de son peuple musical sauvé par ses héros magiciens à bord du Moorglade Mover, une arche de Noé mi galion, mi libellule, librement inspirée par le fameux bateau signature présent sur tous les albums de Yes. Et c’est tout naturellement vers Roger Dean que Jon va se tourner pour créer l’univers pictural de Olias Of Sunhillow. Hélas, trop occupé par de multiples projets, ce dernier va devoir décliner sa demande. Un ami va alors lui présenter David Fairbrother Roe connu lui aussi pour ses créations cosmiques délirantes. Celui-ci s’engouffre aussitôt dans le concept et propose des ébauches stupéfiantes. Jon va même lâcher un : « Oh my god » en découvrant ces premiers dessins fabuleux. Le résultat final est de toute beauté et peut être considéré comme l’un des plus beaux jamais conçu pour un album de rock. Tous les fans vous le diront, cet univers pictural est indissociable de la musique. Avec Roger Dean, l’autre source d’inspiration est puisée dans les livres mystiques du peintre Vera Stanley Alder. Cette portraitiste de grand talent a largement développé la théorie selon laquelle il existait autrefois quatre tribus terrestres en totale communion avec la nature. Pour Sunhillow, Jon avoue s’en être inspiré mais précise qu’il ne s’agit pas de tribus physiques mais plutôt de consciences musicales.
Une autre rencontre va être salutaire pour la réalisation de ce disque. C’est en effet à ce moment-là que Jon va croiser la route de Vangelis avec lequel il va s’associer pour une remarquable carrière en duo. Pour Olias, certains ont même avancé l’idée que Vangelis avait joué quelques parties de claviers sans pour autant être crédité. Jon nous confirme que malgré tout le temps qu’ils avaient passé ensemble et la grande admiration qu’il vouait au claviériste grec, il n’y a que lui et lui seul sur l’album. La présence de Vangelis servira uniquement de soutien moral et leur amitié va contribuer à faire aboutir le projet. Le 24 juillet 1976, lorsque sort enfin Olias Of Sunhillow, les autres membres de Yes ont déjà rendu leur copie pour un résultat mitigé voire indifférent. Seul Chris Squire tire son épingle du jeu et atteint le top 30 des charts. Seulement voilà, pour Olias c’est une toute autre histoire. Non seulement l’album se classe aussitôt dans le top10, mais la presse spécialisée et les fans vont saluer une œuvre musicale et littéraire aboutie et commencer à spéculer sur sa création. La légende était en marche. Vangelis parlera d’un travail merveilleux, Chris et Alan diront qu’ils ont bien aimé, mais Steve ne se prononcera pas vraiment. Quelle revanche ! Même si Jon ne recherchait pas de compliments et parlait plutôt d’un isolement dans leurs petits mondes respectifs. Peu de temps après, nos quatre compères vont retrouver Rick Wakeman pour enregistrer l’excellent Going For The One (1977) et donner avec « Awaken » peut être la plus belle chanson de leur répertoire. Comme quoi, les péripéties solos étaient déjà oubliées et la magie du groupe allait à nouveau opérer.
Olias Of Sunhillow reste pour beaucoup d’entre nous une des dernières folies progressives que les nouvelles orientations musicales allaient s’acharner à engloutir sans ménagement. Pour son premier essai en solitaire, Jon Anderson a démontré un potentiel incomparable et fondateur, une expérience édifiante à tout point de vue. Ce monument du rock progressif est exceptionnel même au sein de ses propres productions. Il aura par la suite d’autres beaux rendez-vous créatifs mais ne retrouvera plus la même naïveté et la même fraîcheur que sur Olias. C’est tout le charme de ces premières œuvres longtemps en gestation et dont l’inévitable explosion sonne comme une évidence. Jon a souvent évoqué une possible suite intitulée The Songs Of Zamran pour l’instant inachevée et à mon sens utopique. Olias Of Sunhillow est un objet unique et doit le rester.
Belle chronique, un peu moins musicale qu’historique : un autre aspect des choses.
Histoire singulière : les dessous d’un album qui est une pure merveille. Album unique, en effet, même si Jon Anderson a presque obtenu la même magie quatre ans plus tard (1980), sur le titre « Song of Seven » de l’album de même nom. Une dizaine de minutes de pur bonheur… La pochette est aussi dans le même esprit, avant qu’il opte pour des visuels très minimalistes (Jon & Vangelis), voire assez laids (comme sur « Animation » en 1982). Changement d’époque…
Merci beaucoup pour ce très beau témoignage. J’ai appris beaucoup en le lisant. Il est très bien écrit, ce qui, par les temps qui courent, est plutôt rare. Continuez et prenez bien soin de vous.
Eh bien, à mon tour je vous remercie pour ce commentaire encourageant. Continuez à nous lire, notre petite équipe fera toujours de son mieux pour vous informer et vous faire partager sa passion.
Merci pour cet éclairage que je découvre en écoutant Olias (ce que je n’avais pas fait depuis de nombreuses années). Au delà de la nostalgie suscitée, cet album m’évoque à chaque fois un envol, une forme d’harmonie universelle (to the runner), un message d’espoir.
Merci pour cet article bien pensé qui m’apprend tant de belles choses sur cet album mythique.
C’est vrai qu’une telle musique est unique et révèle beaucoup, je crois, de l’âme de Jon.