Jean Jean – Froidepierre
Head Records/Black Basset Records
2018
Fred Natuzzi
Jean Jean – Froidepierre
Prenez vos doudounes, on embarque sur la planète Froidepierre avec pour pilote un trio nommé Jean Jean. Derrière ce nom se cachent Sébastien Torregrossa (guitares), Édouard Lebrun (batterie) et Grégory Hoepffner (basse, claviers) que l’on connaît également dans Kid North, Almeeva ou Sure, entre autres. Au service d’un post-rock dynamique, cinématographique par moment, mais aussi technique, assez pour qu’on le qualifie de math-rock (cependant, il l’est moins que le précédent, le déjà excellent Symmetry), les parisiens nous offrent, pour leur second album, un voyage digne d’un grand huit (et ça tombe bien, l’opus est composé de huit morceaux). Et peut-être malgré eux. Déjà, le sous-titre de l’album en dit long : « Musique de l’espace pour fantômes dansants ». Mais il faut aussi prendre en compte les circonstances de l’enregistrement de celui-ci. Enregistré dans le chalet nommé « Froidepierre », en plein cœur des Alpes, le groupe a le sentiment que leurs morceaux prennent une tournure qui les dépasse. Ils sonnent comme jamais. Mais alors que le trio se réjouit, chacun d’entre eux va vivre une expérience avec le paranormal qui va influer sur leur comportement. Une voix s’amuse à prononcer le nom de l’un d’eux, des coups sur les murs des chambres, une impression de présence très forte, un cri en pleine nuit, rien ne semble épargner le groupe qui n’ose parler. Ce n’est qu’en quittant les lieux que les langues se délient. Ils en sont alors persuadés, quelque chose est entré en contact avec eux. Dans quel but ? Est-ce un fantôme ? Des questions qui ne peuvent avoir de réponses. Et lorsqu’il faudra y retourner pour l’artwork du disque, ce sera avec angoisse.
Question musique, le résultat vaut effectivement la peine. Les huit morceaux qui nous promènent entre mélodies éclairées et technique assombrie, semblent convoquer les énergies invisibles et obscurcir le paysage enneigé. Mais ce qui est bien avec ce genre de musique, c’est que chacun pourra y imprimer son vécu du moment, son imaginaire. Voici donc le mien. « Konichiwa » commence en urgence et nous plonge directement dans des zones pleines d’énergie noire. Enfiévré, le rythme nous balance contre les murs pour mieux nous ramener sur le sol avant de repartir nous cabosser. Un voyage qui n’est pas de tout repos mais qu’on pourrait se passer en boucle tellement il se place hors du temps. Le titre « roller coaster » par excellence. « Aozora » prouve que le groupe possède un son à lui. Très technique, le morceau vous emmène comme un rouleau compresseur dans une sorte d’angoisse qui trouve brièvement une issue avant de retrouver la tourmente. « Tensor Field » installe une ambiance à la fois contemplative et froide dans laquelle chacun se plongera et y projettera son inconfort. « Celjabinsk » n’est pas un guide de la ville russe éponyme mais plutôt une bande-son en mode survie, une nouvelle urgence, un sentiment qu’il faut aller de l’avant, voire s’enfuir, et vite.
Avec « Anada », l’alternance des atmosphères est une merveille et on ne peut que s’incliner devant telle maestria. Les trois musiciens font preuve, tout au long de Froidepierre, d’inventivité, d’originalité et d’une technicité sans pareille mais sans en mettre plein la vue. Ils le font modestement mais assez pour qu’on se dise qu’ils touchent bien leur bille. La preuve, « Limerence » qui développe un thème propre au post-rock plus mainstream, à la God Is An Astronaut par exemple, et qui fourmille de détails. Un jeu de batterie excellent, une guitare formidable et un paysage aux claviers qui ne se contente pas d’une simple nappe. Y a aussi les couverts ! « Froidepierre » revient sur le terrain du contemplatif froid avec une impression de menace en arrière-plan. Comme pris dans une toile d’araignée, le morceau nous emprisonne, hypnotique, en attente, jusqu’au dénouement qui nous libère. Enfin, avec « Event Horizon », on s’envole vers du gros post-rock qui déchaîne son lyrisme envoûtant et tellement évocateur.
Froidepierre est donc un coup de maître. Un ensemble de morceaux qui vous chamboulent, provoquent votre imaginaire, vous remuent, vous emmènent ailleurs, vous angoissent, vous émotionnent. Le voyage peut certes être inconfortable mais il en vaut la chandelle. Ou plutôt les chandelles car le vent, ça éteint les bougies. Et les contrées où nous font décoller Jean Jean sont assez venteuses. Alors, vos doudounes sont prêtes ? Embarquez donc pour ce voyage tumultueux que nous ont concocté Jean Jean. Ne vous inquiétez pas, vous en reviendrez sain et sauf. Et vous en redemanderez. Gourmands que vous êtes, va !
https://jeanjean.bandcamp.com/