Jacques Higelin – Higelin 75
Sony Music
2016
Jacques Higelin – Higelin 75
Le père d’Arthur H et d’Izia en a encore sous le coude. Voilà ce que l’on aurait pu écrire si la mort ne l’avait pas contredit. Higelin 75 (au titre clin d’œil faisant autant référence à l’âge avancé du bonhomme qu’à l’album mythique Bbh75 de 1974) paru en 2016, constitue ainsi une conclusion mythique à une longue carrière sans concessions. L’autre fou chantant n’a eu de cesse de proposer des œuvres originales mais très typées dans lesquelles se mêlent poésie, provocation et arrangements rock ou baroque. Ce dernier album particulièrement réussi rassemble tout ce que l’on a toujours aimé chez ce grand marginal populaire. Il est en effet un des seuls, avec Thiéfaine, Sheller ou Bashung, à avoir su mêler l’exigence, parfois poussée jusqu’à l’hermétisme, avec un succès populaire jamais démenti en plus de cinquante ans de carrière.
Après un morceau d’ouverture plutôt facile – dédié à sa fille chanteuse – les choses sérieuses commencent avec l’incroyable « L’Emploi Du Temps », sorte de mélopée fantasque dans laquelle le Père Jacques joue avec les mots en se jouant de l’auditeur avec une facilité qui laisse sans voix.
Musicalement, l’ambiance tribale nous mène vers des paysages sonores déjà entendus chez Kat Onoma ou Arno. Mais, dès que la scansion unique d’Higelin opère, le résultat ne peut être que tordu et inattendu. Et c’est parti pour un voyage au long cours de plus de huit minutes…parmi lesquelles on ne perd pas son temps, c’est le moins que l’on puisse dire ! « J’Fume », puissante apologie de la cigarette, fait drôlement du bien à entendre. Titre caustique, intelligent et frais, qui remet un peu les choses de la vie au milieu des nuages.
La suite est à l’avenant : « Loco Loco », « Habla Quoi », titres « fou-fou » qui prouvent que l’artiste n’a rien perdu de sa verve délirante. Ce disque surprenant se conclut avec l’immense « A Feu Et A Sang », longue progression digne d’un Ferré ou d’un Manset, de plus de vingt minutes, qui assène le coup fatal. Comme cette piste incroyable s’avère être la dernière, on peut donc avouer que l’homme a su quitter l’affaire sur un baroud d’honneur qui assoit la concurrence par knock out. Pour longtemps. Ce titre semble avoir été pensé comme une épitaphe gorgée de vie, de foutre et de sueur
La discographie pléthorique de Jacques Higelin contient, outre quelques chefs-d’œuvre intemporels (« Tombé Du Ciel » et autres « Champagne ») bien connus, des dizaines de créations inclassables dignes d’intérêt et dont les réécoutes espacées dévoilent l’ampleur alors inconsidérée. Higelin 75 contient son lot de bonnes surprises et de coups au ventre. Higelin ne pratiquait pas l’easy listening, il laissait ça à la jeune concurrence.
Christophe Gigon
http://www.jacqueshigelin.fr/