Isbjörg – Falter, Endure
Autoproduction
2024
Palabras De Oro
Isbjörg – Falter, Endure
En cas de pépin, l’adage dit qu’il faut faire contre mauvaise fortune, bon cœur. Environ soixante-dix articles datant de 2016 ont disparu de notre base de données à la rentrée dernière pour une raison inconnue. Alors, Fred et moi-même, tandem de choc pour manager notre équipe de chroniqueurs émérites, nous nous sommes retroussés les manches pour rééditer les chroniques dont nous avions conservé les écrits. Je me suis donc replongé dans l’étonnant single « In Endings » (composé en 2015 de onze mini-plages conçues pour s’écouter aléatoirement et indéfiniment en mode shuffle) d’Isbjörg, un groupe danois de math rock progressif, afin de le rééditer. Or, après l’EP Glacier puis l’excellent LP Iridescent… silence radio. Qu’étaient-ils donc devenus ? Étaient-ils morts ? Avaient-ils fondu comme neige au soleil ? Eh bien non ! (quel suspens insoutenable !) Ils venaient tout juste de sortir leur deuxième album Falter, Endure le jour de la Toussaint… un comble pour des présumés disparus… enfin… selon moi. J’en déduis qu’après avoir faibli, ils avaient choisi de résister (Falter, Endure).
Rappelons qu’outre le single cité plus haut, ce sextet danois cultive une certaine originalité rafraîchissante dans le petit monde du prog avec des compositions polyrythmiques centrées autour du piano de Mathias Bro Jørgensen. Une certaine gaieté ainsi qu’un brin de folie sont également de mise dans cette très riche orchestration mélodique, passant souvent et insensiblement de la légèreté à des ambiances plus telluriques. Attention, si la polyrythmie est quasi permanente, nous ne sommes pas submergés par un math metal à haute fréquence qui nous perdrait fréquemment en chemin. Donc, c’est plutôt à un album de math rock progressif, dont l’émotion n’est pas exclue, que nous sommes conviés.
Outre son pianiste, la formation d’Odense a conservé pratiquement son line-up avec Dines Dahl Karlsen et Lasse Gitz Thingholm aux guitares, Mathias Schouv Kjeldse à la basse, et Frederik Ølund Uglebjerg à la batterie. Elle a changé pour la troisième fois de chanteur avec l’arrivée de Jonathan Kjærulff Skovlund (ex-Lara Luna) derrière le micro. Son timbre de voix marque une évolution dans l’atmosphère mise en musique. Il apparaît un peu plus sage que celui de son prédécesseur avec certaines intonations mélancoliques bitonales (« Ornament »), un peu comme le fait plus systématiquement Uddipan Sarmah, l’envoutant chanteur indien d’Aswekeepsearching. Ceci dit, Jonathan ne se cantonne pas dans un répertoire qu’on jugerait à tord affadi. Sa montée en puissance sur l’enjoué « Afterglow », aux brefs breaks de guitare, finit par le transcender. Elle procure ce délicieux frisson que l’on sent descendre le long de sa colonne vertébrale quand une chanson tout d’abord simplement sympathique passe le cap de la quatrième dimension émotionnelle. « Inure » est de cette trempe-là aussi. La délicatesse et l’harmonie se mettent au diapason pour produire un superbe « Under Your River », le moment fort du début de l’album.
Falter, Endure illustre les relations dysfonctionnelles, les doutes, le recours à une théologie illusoire, le découragement qui précède la renaissance d’un soi-même plus fort grâce aux batailles de la vie. Tout un programme ! Mathias Bro Jørgensen sème son piano un peu partout sur cette fresque, donnant le signal du départ à une majorité de chansons, s’accouplant avec ces rythmiques syncopées si caractéristiques d’Isbjörg ou émergeant d’un back-ground musical extrêmement riche pour calmer faussement le jeu sur des ponts hypnotiques avant de relancer la machine. Si vous ne kiffez pas trop le piano, Isbjörg n’est clairement pas fait pour vous. Étonnamment, cette (sur ?) abondance de touches d’ébène et d’ivoire n’est absolument pas lassante tellement elle est judicieusement parsemée sur l’album : toujours présente, mais jamais outrancière. D’autre part, on ne peut absolument pas résumer cette musique à son clavier acoustique. Par jalousie, les guitares donnent régulièrement un soupçon d’agressivité (c’est bien connu, les soupçons éveillent la jalousie) à cette galette. Ainsi, le très sec « Homeward Bound » sonne franchement rock tout en conservant une part de cette imprévisibilité qui caractérise l’ADN de nos Danois et la patte d’une section basse/batterie de haut niveau. Leur polyrythmie combinée avec des mélodies accrocheuses donne naissance à des compos alternatives surprenantes comme « Perfect Sky » ou à des morceaux à la sonorité pop comme « Am I The Sinner Now? » où l’on peut penser par moments à Toto. On remarquera aussi certaines joutes musicales épatantes, comme sur fond de sirènes d’alerte dans le dynamique « Dressed In White Lies » et plus musclées dans l’épique « The River Of You » nous emmenant vers une fin d’album digne de tout son contenu : parfaite dans son genre.
Finalement, un hasard malheureux a fort bien fait les choses pour me remettre sur les rails de cette remarquable formation qu’est Isbjörg avec un formidable Falter, Endure à côté duquel je serais sans doute passé. J’aurais alors commis un sacrilège impardonnable, car cet opus est l’album de l’année 2024 à côté duquel il ne faut absolument pas passer… même avec un mot d’excuse des parents… ou plutôt avec une lettre au Père Noël dans laquelle il figurerait en bonne place. Oui, cette année, le Père Noël n’est pas Finlandais, mais bel et bien Danois.
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