Innerspace – Rise
Autoproduction
2017
Innerspace – Rise
Innerspace, à ne pas confondre avec le groupe de Denver, avait fait l’objet d’une courte chronique dans nos colonnes pour son premier disque, The Village, réalisé en 2012. L’album y était décrit, à juste titre, comme prometteur. C’est donc avec une attention toute particulière que nous avons guetté la production de ce nouvel effort discographique intitulé Rise. Cinq années de labeur ont été nécessaires à Innerspace. Les choses n’ont pas été simples avec un financement participatif sur Kickstarter qui avait laissé entendre une sortie de l’album dès 2015 ! Enfin, c’était même deux albums qui étaient annoncés ! La communication et la planification ne sont pas choses faciles. Bien des groupes en ont payé le prix en termes de réputation… Pourtant, malgré ce léger raté, les musiciens d’Innerspace sont demeurés concentrés sur leur musique, et pour tout vous dire, ils ont bien fait !
Car, après un premier opus aux senteurs mêlées de Pink Floyd et The Beatles qui avait fortement séduit les amateurs du genre, nos Canadiens ont tenu à développer au maximum leur ambition musicale. Partant, le groupe s’est clairement identifié à son nom, Innerspace, à la fois « espace intérieur » et « aventure intérieure » – comme le film de Joe Dante – en bon français ! C’est d’abord humainement que le groupe s’est resserré autour de ses deux piliers, le chanteur et guitariste rythmique Phil Burton et le guitariste Simon Arsenault. Mais c’est surtout l’arrivée du nouveau claviériste Marc-André Burnelle qui a donné un coup de fouet à la gang, comme on dit au Québec – d’ailleurs, les trois chums sont les compositeurs de Rise. Depuis The Village, Innerspace a également vu une nouvelle section rythmique se mettre en place, avec désormais Thierry Clouette à la basse et William Régnier aux percussions. Fort de ces renforts, Innerspace a travaillé, telle une fourmilière pour composer, enregistrer et produire Rise.
Et c’est un long opus qui est sorti de ce périple ourobotique (69:31). À force de se mordre la queue et de s’enfermer de longues heures en studio, nos Montréalais peuvent se targuer d’avoir réalisé un album qui va bien au delà du précédent. Oh, la référence à Pink Floyd est encore évidente, notamment sur les longues pièces, mais Innerspace a franchi un cap pour ce second effort, celui qui est souvent le plus attendu, le plus casse-gueule !
Le thème de l’album tourne autour du texte latin qui le débute et le conclut : « Alterum non laedere / A mari usque ad mare. » Le lecteur avisé aura reconnu dans la seconde partie, la devise du Canada : « D’un océan à l’autre. » Quant à la première partie, on la retrouve dans la compilation du droit romain antique de Justinien, Corpus Iuris Civilis, et la maxime : « Iuris praecepta sunt haec : honeste vivere, alterum non laedere, suum cuisque tribuere » – ce qui se traduit par « les principes fondamentaux du droit sont les suivants : vivre honnêtement, ne pas faire de tort à autrui, donner à chacun ce qui lui revient ». On comprendra aisément que la thématique s’articulera autour du sort réservé à chaque individu, quelque soit le contexte de par le monde : ne pas faire de tort à autrui, d’un océan à l’autre…
Musicalement, ce voyage tant spatial qu’historique se ressent dès la belle introduction (« Dawn ») et ses chants typés grégoriens. Sans doute les études de musicologie de Burnelle ont-elles permis d’en développer les contours. Alors qu’une sirène nous alerte sur les dangers du monde dans cette aube naissante (dawn), l’ambiance se tisse, glissant vers un « Tree Of Life » où le climat folk digne des cousins québécois de Beau Dommage et Harmonium (guitares acoustique et flûte) se développe majestueusement. On a même droit à un passage oldfieldien assez réussi à partir de 5:48, à des cuivres – des vrais ! La production de Simon L’Espérance est assez claire, même si tout au long de l’album, elle fait un peu le yoyo entre des passages où la dynamique est bien présente et d’autres où la compression limite quelque peu l’aération de magnifiques compositions…
« The Other Side » fait la part belle au piano et à l’entrée du chant de Phil Burton. Surprise, Phil délaisse quelque peu la voix proche de celle de David Gilmour pour gagner en profondeur en allant chercher un peu plus bas que d’habitude. Le titre est très doux et toutes les subtilités de la voix et du piano sont audibles, donnant l’impression que Phil et Marc-André sont dans la même pièce que vous. « In Motion » revient vers le côté floydien, avec un petit quelque chose de RPWL ou Airbag, ce qui reste dans le même environnement. Le titre, très atmosphérique, est affublé d’un beau solo, très gilmourien lui aussi, de Simon Arsenault. Si la chanson est puissante, elle fait partie de celles, hélas, un brin écrasées par le mastering – la basse notamment –, mais la mélodie est vraiment belle et le solo de Simon vaut le détour. L’enchaînement avec « Into The Void » prend un coup de booster avec un riff plus soutenu allant vers l’AOR sur lequel Simon métallise quelque peu son jeu. Hélas, l’étouffement de la batterie fait perdre un peu de ce que le titre avait de stimulant. On se doute qu’avec « Sunset » qui vient pour boucler la première partie de l’album, on ne va pas s’envoler vers du metal prog hirsute. Ce sont en effet les guitares acoustiques et la flûte de Gabriel Genest qui donnent encore le la. L’influence gilmourienne est omniprésente – avec une fin plus redevable à Roger Waters. « Under The Spotlight » est quant à lui proche du « Not Now John » du sous-estimé The Final Cut, et du « Young Lust » de The Wall, mais avec une touche FM (le genre, et le groupe – sur le refrain), voire hard-FM. Néanmoins, ce mid-tempo permet à la voix de Phil Burton d’être bien en avant, accompagnée de chœurs féminins fort plaisants. Un peu long pour le passage radio qui cartonne que la chanson mériterait. Mais en l’arrêtant aux environs de 4:11, on tient là un tube potentiel, ce qui n’est pas donné à tous les groupes produisant ce genre d’album ! Enfin, ce serait quand même dommage de couper l’excellent solo de guitare de Simon Arsenault…
Reste le clou du spectacle : « Dystopian Delirium », une pièce épique en cinq parties pour une durée de plus de 28 minutes ! L’amateur de progressif symphonique à tiroirs s’en délecte les babines d’avance… Et l’on reprend les choses au début avec le récitatif latin, très joliment arrangé a cappella, « I. From Sea To Sea ». Et là, surprise, arrive le puissant « II. Shadow Of Freedom », sorti tout droit d’un Dream Theater qui aurait encore quelque chose à dire ! Le duo Burnelle-Arsenault fonctionne parfaitement, de même que la paire rythmique Clouette-Régnier. Sans coup férir, c’est « III. Forsaken Dreams » qui prend le relais, avec sa lourde intro. Cette longue pièce (11:55) pourrait être attendue comme le climax de l’album. Mais Innerspace retombe dans les ambiances douces que le groupe semble affectionner. Bon, il faut bien reconnaître qu’ils le font plutôt bien ! Les cordes et le piano, accompagnés d’harmonies vocales très floydiennes à nouveau, tissent un beau tapis où la voix profonde de Phil Burton peut se poser et développer son propos triste et mélancolique. Le pont vocal (basé sur les « Alterum non laedere… ») est joliment arrangé (4:34 à 5:50), avant que le groupe ne lâche les chevaux avec une belle joute guitare-clavier, hélas un peu trop courte à mon goût (jusqu’à 6:43). Mais la basse et les claviers remettent les gaz (à 7:43) et Burnelle montre combien il est la bonne pioche du groupe, avec une gracieuse musicalité dans ses interventions. C’est lui qui va porter toute la fin du morceau – avant un retour au thème principal – et c’est une bonne initiative. Si ce titre est plaisant – la mélodie principale est vraiment très jolie –, il souffre un peu de trop nombreuses variations – qui raviront sans aucun doute certains prog addicts. « Stronger Than Death » n’apportera rien de supplémentaire, malgré les voix féminines finales – en léger et court clin d’œil évident au « The Great Gig In The Sky » de qui vous savez… Le final « V. Dusk » revient, pour conclure comme il se doit, sur vocalises et chants latins appuyés de belles parties de cuivres et de cordes…
Le lecteur attentif pensera peut-être que je suis un tantinet trop exigeant avec ce Rise. Qu’on ne s’y méprenne pas : j’aime beaucoup cet album qui frôle le « coup de cœur ». Que l’on me pardonne ensuite : j’en attendais énormément – peut-être trop – et quelques éléments me laissent un peu sur ma faim. Certaines longueurs – il semblerait même que le groupe a déjà en boîte de quoi faire un autre album –, des digressions trop nombreuses ou trop courtes, une tendance à ne pas appuyer sur l’accélérateur (mais c’est sans doute un choix, et c’est aussi un genre)… Mais surtout, c’est la production qui me déçoit un brin. Trop déséquilibrée, avec des passages vraiment très réussis (voix, cordes, cuivres…), elle ne permet cependant pas de révéler tout à fait pleinement les belles idées des musiciens, notamment pour les percussions et la basse.
Mais n’oublions pas : « Alterum non laedere, suum cuisque tribuere. » Innerspace propose avec ce Rise un album très ambitieux et le défi est relevé pour la plus grande part. En ce sens, c’est une belle réussite qui ravira, à n’en pas douter, les amateurs du genre. Le cap difficile du deuxième album désormais franchi, on attendra cependant encore un peu la confirmation du talent indéniable d’un groupe dont il convient de retenir le nom : Innerspace !
Henri Vaugrand
http://www.innerspace-band.com/
Un bien bel album qui se révèle au fil des écoutes… J’apprecie effectivement encore plus la deuxième partie de l’album qui donne juste l’envie de presser sur play pour renouveler le voyage… Je le conseille vivement à tous les amateurs de belles envolées et pas seulement aux inconditionnels de Pink Floyd. Moi je dis bravo…