Imperial Triumphant – Alphaville
Century Media
2020
Jéré Mignon
Imperial Triumphant – Alphaville
Élitiste voire sélectif… Ce seront sûrement les premiers mots qui viendront à l’esprit à l’écoute du dense Alphaville. Car pour les oreilles non habituées, un nouvel album de Imperial Triumphant apparaîtra d’office comme un objet difficile d’accès tant l’obstination et le non conformisme sautent à la gueule. Trio originaire de cette grosse pomme qu’est New-York, Imperial Triumphant, après des débuts black metal, a commencé à se faire un nom au travers d’albums bien retors et en constante évolution stylistique. Décidant de charger la mule sans broncher, le groupe s’est fait la main avec des (dés)compositions pas si éloignées des expérimentations de Deathpell Omega, Gorguts ou encore du collectif The Residents, un mélange black/death aux rythmiques (forcément) cassées, aux harmonies (forcément) dissonantes avec des influences jazz bien senties (aussi lounge que free) et surtout un concept textural, artistique, voire mythologique, qui à mesure du temps à pris forme et ampleur.
Imperial Triumphant, d’abord, c’est une thématique : la mégalopole dans sa personnification la plus cyclopéenne. L’urbanisation, la promiscuité anonyme, l’architecture écrasante des édifices « idoles », une idéologie du vivre ensemble moribonde, inepte et anxiogène. Un mode de vie contrôlé et surveillé, un mal-être doublé d’un vague-à-l’âme qui fait qu’on se perd plus dans ses pensées lors d’un couvre-feu confiné que dans la réalité. Vile Luxury, dernier album en date sonnait déjà comme un intense avertissement. La valeur tentaculaire d’une ville, les architectes des points de fuite impossibles, les entrelacs de cultures plus ou moins partagées, mélangées dans une religion camouflée et sociologique rappellent autant les écrits de Michel Foucault, Roland Barthes, Pierre Merlin que de Gustave Le Bon… Si les références sont françaises, c’est que Imperial Triumphant tient aussi le titre de son nouvel album du film de science-fiction de Jean-Luc Godard datant de 1965 (après avoir ouvertement cité Fritz Lang et son Metropolis dans son précédent opus bien qu’on retrouve cet univers dystopique dans la pochette signée Zbigniew M. Bielak. Les symboles convoqués se confondent, se percutent dans des compositions alambiquées, techniquement vénères, invitant trombones, piano, mellotron, samples industriels, field-recordings, chœurs Barbershop (très en vogue au pays de l’oncle Sam) et percussions japonaises de manière taiko (avec la participation de Tomas Haake de Meshuggah) dans un aspect opératique qui rappelle cabarets et autres cabinets de curiosités.
Cependant, la démence n’est jamais loin. Tapie entre les couches industrielles et les suspensions atmosphériques, elle sait refaire surface dans des soubresauts chaotiques où la folie règne en maître créant des paysages aussi frénétiques que perturbants. Alphaville se mue en une sorte de cartographie horrifique. Traversée d’un couloir de métro ou d’un hall de gare, bruits et grincements venant d’un quai, surplus d’habitation, absence de communication, climat anxiogène et paranoïaque et toujours cette sensation d’être comme écrasé par des édifices manipulateurs, en incapacité de sortir d’une « zone » ou d’un chemin… En cela, Imperial Triumphant paraît lointain et difficile à appréhender. Le combo est bourré de références musicales et culturelles jusque dans l’apparence masquée des musiciens (en live), chacun renvoyant à un symbole, une idée pervertie de la société (américaine de surcroît mais pas que). Les américains ne recherchent pas la facilité. Les compositions sont aussi étranges, entortillées que calculées donnant cette impression d’assister à une représentation macabre dans un environnement art déco secret… Aussi Alphaville rentre dans cette case des albums qui se méritent. La densité de l’objet le force. Sa concision technique, sa compacité créative qui s’en dégage en est parfois suffocante, telle la page d’un livre qu’on n’ose pas tourner par excitation ou peur de ce qui peut nous attendre… Car plus on avance dans l’écoute et plus on s’engouffre dans ce monde morbide et égaré. L’album sait mettre mal à l’aise sur un jeu habile de strates, stridences, cris (Yoshiko Ohara déstabilisante) et autres passades rythmiques incessantes. Les ambiances varient ostensiblement (les spectres de Iannis Xenakis ou de Bernd Alois Zimmermann apparaissent au détour) mais gardent le cap de cette étrangeté mortifère où l’environnement mute prenant des atours de rêve sans fin ni début.
Bref, Alphaville ressemble à une porte derrière une devanture dont on désespère de trouver les clés avec le temps. C’est même plus une véritable analyse qu’il faudrait pour cerner les contours de cet objet avant-garde qui, je suis sûr, me donnera de nouvelles clés au fur et à mesure que je me perdrai dans les boulevards ou ruelles de ces morceaux. Alors ? Imperial Triumphant ? Sélectif ? Élitiste ? Pour les têtes creuses, sûrement… Pour les autres, un environnement dont on se plaît à déchiffrer chaque détail ou « incohérence ». Quelque part, c’est comme se retrouver devant un film de Stanley Kubrick. On peut trouver ça chiant, prétentieux mais c’est passer à côté de ce quelque chose d’entier qui touche à l’imaginaire. Imperial Triumphant réussit cet exploit.
http://www.imperial-triumphant.com/
becomes the harsh vocals, not the expanded instrumentation. Ezrin and Blanco’s monstrous bellows and witchy shrieks plunge experimental intrigue into a dystopian nightmare, an essential ingredient to the world Imperial Triumphant builds with