Hommage à Vangelis (1943 – 2022)
2022
Jean-Michel Calvez, Lucas Biela, Thierry Folcher
Hommage à Vangelis (1943 – 2022)
Il y a des coups qui ébranlent les structures, comme disent les sismologues, et si ça se répète trop souvent, on devine que l’effondrement nous menace. Or c’est ce qui vient de se produire. Suivant de près Klaus Schulze (KS pour les fans), voilà Vangelis qui nous abandonne aussi : comme TD, KS ou JMJ, un prénom ou un sigle suffisait à le nommer tel un code secret pour initiés ; pas besoin du patronyme complet. Et ce départ précipité nous laisse sonnés, orphelins, incrédules aussi, tant c’est inattendu pour nous, simples fans de musiques électroniques (et autres…), non informés des détails (et aléas !) de la vie privée de nos artistes favoris. Quoi, comment, Vangelis aussi ? Impossible, pas lui ! Vangelis nous semblait indestructible, une île, une montagne, un colosse, un Dieu grec incarné, à la fois terriblement médiatique et mégalo dans ses happenings musicaux, et terriblement secret, voire mystérieux, presque renfermé et timide dans sa vie privée, fuyant depuis toujours journalistes et interviews et ne se livrant que par sa musique, sa stature impressionnante… et ses rangées de gros claviers qui l’étaient tout autant que lui pour son public, sans doute.
Car c’est un impact visuel que l’on retiendra aussi du Dieu (barde, sorcier) grec qui vient de tirer sa révérence : ce satané COVID a encore frappé ! Au-delà de l’homme, et de sa musique sur laquelle chacun a ses albums et morceaux préférés, je retiens aussi ces pochettes mystérieuses à l’esthétique hyper léchée, qui ont ensorcelé l’univers graphique du rock progressif (auquel Vangelis était plus ou moins affilié, même si ce classement est réducteur et imparfait). Je pense en particulier au sidérant visuel de papier glacé portant Albedo 0.39, album emblématique de Vangelis (1976, en pleine ère analogique, glorieuse mais brève), où il se montre un maître absolu des séquences avec l’iconique et métronomique « Pulstar » que tout le monde a entendu, mais aussi maître de l’émotion et de la grandiloquence symphonique avec un « Nucleogenesis » menaçant, prophétique de désastres encore à venir : Tchernobyl, Fukushima… A cette époque qui était celle du vinyle-roi (33 tours donc mais surtout 30 centimètres proches du poster), les pochettes de Vangelis nous livraient accès à des univers inconnus, avant même d’avoir déposé la galette noire sur la platine. C’est le cas d’Albedo 0.39, mais aussi du très aérien Spiral (visuel conçu par Vangelis lui-même), du symphonique et ailé Heaven And Hell, de Beaubourg aussi (un cas particulier celui-là, virage brutal et radical avec son passé, une sorte de catharsis… mais aussi d’acte d’amour déraisonnable envers un clavier-monstre, le Yamaha CS-80). Sans oublier ces photos en close-up serré d’autres opus, le regard magnétique d’Opera Sauvage, le barde barbu et chevelu de Earth, ou l’oiseau flashé en plein vol, presque flou, de l’Apocalypse Des Animaux, un album moins délibérément électronique et flamboyant, mais qui garde encore la préférence émue de certains fans de la toute première heure.
Pour rester dans le registre visuel, Vangelis, bien sûr, c’est aussi un génial musicien de B.O., genre auquel il doit sans doute une large part de sa gloire chez toute personne sensible à la bande son d’un bon film… c’est-à-dire tout le monde ? À ce titre, bien plus que Klaus Schulze décédé récemment, Vangelis (avec Ennio Morricone, John Williams, Hans Zimmer et quelques autres, mais pas tant que ça…) parlait aux oreilles de tous, et il a injecté dans nos cervelles d’inoubliables thèmes, les plus encensés étant Blade Runner (malgré une histoire longue et tourmentée) ou Les Chariots De Feu, mais il y en a eu bien d’autres. Et ce qui frappe le plus dans la dualité du personnage, c’est donc son aptitude aux excès presque mégalomaniaques (Mythodea), avec ses claviers étalés sur la scène tel un arsenal de guerre aux mains d’un dictateur des sons, mais aussi ce don pour la ballade intimiste et romantique. Ce qui nous a sans doute offert des musiques parmi les plus belles au monde : le très lyrique « La Petite Fille De La Mer », puis « Irlande » sur Opéra Sauvage, un « Come To Me » éthéré, quasi-ambient, sur Voices, porté par la voix sublime et noyée de réverb de Caroline Lavelle, le thème si hypnotique « To The Unknown Man » sur l’album Spiral. Sans oublier l’étrange et lunaire interlude vocal « So Long Ago So Clear », toute première apparition de Jon Anderson aux côtés de Vangelis, sur le magnifique et orchestral, l’angélique et infernal Heaven And Hell. Pour rester dans la thématique vocale, comment ne pas mentionner les sublimes voix de ses compatriotes : Irene Papas (un premier album, Odes, en 1979, puis un second en 1986, Rhapsodies) et Demis Roussos, son ancien acolyte d’Aphrodite’s Child (la B.O. de Blade Runner). Et c’est sans doute ce qui nous touche le plus dans sa disparition, l’aptitude qu’avait Vangelis à toucher l’auditeur en plein cœur, bien plus que la technologie triomphante de claviers et séquenceurs nous en fichant « plein la vue » et les oreilles… toujours pour la bonne cause cependant, celle de la musique et de l’émotion. Or les deux, technologie de pointe et émotion, n’étaient d’ailleurs pas incompatibles, via son toucher inimitable du Yamaha CS-80, la véritable signature du sonore de Vangelis.
Même dans ses moments les plus expérimentaux, Beaubourg fin des années 70, puis Invisible Connections, l’unique album qu’il a publié chez Deutsche Grammophon, au milieu des années 80, le maître des claviers parvenait à créer des atmosphères presque cinématographiques et évocatrices, bien loin des expérimentations froides de la musique contemporaine atonale. Notons que ce deuxième album « expérimental » préfigurait même le « dark ambient ».
Dans la carrière de Vangelis, les rencontres ont donc leur importance, et celle avec Jon Anderson fut assurément l’une des plus belles. Pressenti un temps pour remplacer Rick Wakeman au sein de Yes, « le grec » refusera le poste, mais entamera avec son chanteur une étonnante collaboration artistique. Jon et Vangelis vont publier sous cette appellation quatre albums dont le point culminant, The Friends Of Mr Cairo (1981) reste toujours plébiscité par les fans de ces deux artistes. Les douze minutes du morceau-titre épique (qualificatif idéal ici !) alternent bruitages, séquences audio originales du film et parties chantées de Jon, le tout enveloppé dans la musique de Vangelis, d’une extraordinaire beauté. Jon n’a jamais aussi bien chanté, et Vangelis est ici à son summum. Il est certain que l’association de ces deux monuments ne durera pas, mais ça n’est pas plus mal. Ils ont uni leurs talents au bon moment, et il faut reconnaître que les deux albums qui ont suivi sous ce double nom n’ont pas atteint le même niveau d’intensité. De cette parenthèse artistique, il restera une amitié, une combinaison géniale de talents, et le don fait à la postérité de plages merveilleuses et intemporelles. Nous ne pouvons qu’en être reconnaissants.
Sans oublier l’espace, enfin, qui a guidé ses choix et sa vie, qu’il a désormais rejoint et auquel il a dédié une grande partie de ses musiques après des débuts bien plus « terrestres », les superbes B.O. animalières qui l’ont fait connaître… mais aussi l’infernal trio Aphrodite’s Child de 666. L’espace fut même parfois au cœur de sa création, de façon explicite et officielle, comme le monumental Mythodea de 2001 célébrant la mission Mars Odyssey de la NASA ou, plus récemment, le Rosetta de 2016. Et de même ce qui sera à jamais son tout dernier opus, Juno To Jupiter, ode à la sonde spatiale Juno, dernier grand voyage mis en musique, truffé, presque hanté de références aux dieux grecs (y compris visuelles) avec, encore une fois, l’aide de voix. Celle d’une soprano (comme sur El Greco), mais aussi celles d’astronautes, et autres sons ou bandes-son directement issus de l’espace où il flotte désormais en silence (ou peut-être pas, qui sait ?)
Bon voyage vers tout là-haut, in Heaven And Hell, l’artiste !
Immense tristesse que la disparition de ce génial créateur, de Rain and tears à Juno que de belles émotions musicales, avec en point d’orgue pour moi 666 et Earth pour leur audace
Merci à Clair&obscur pour ce bel hommage
Avec les disparitions de Klaus Schulze et d’Alan White les temps sont douloureux
RIP Maitre Vangelis
La musique de Vangelis m’accompagnait depuis 1973, sa disparition, c’est tout un pan de ma vie qu’on m’arrache. Le Maître s’en va, mais son oeuvre reste heureusement. C’est avec L’apocalypse des animaux que j’avais découvert sa musique, j’avais 15 ans et ce fut une « révélation » (apocalypse !) d’où la découverte ensuite de 666 et Earth. Aegian Sea reste pour moi l’une de ses plus belles créations.
Très bel hommage effectivement. Bravo.
Et grosse tristesse également pour Klaus Schulze que j’avais découvert la même année que Vangelis.