Hawkwind – Stories From Time And Space
Cherry Red Records
2024
Thierry Folcher
Hawkwind – Stories From Time And Space
Alors là, je dois dire que je ne m’y attendais pas. Repiquer au truc aussi rapidement, ce n’était pas prévu. Rappelez-vous, l’année dernière Hawkwind nous offrait The Future Never Waits, un remarquable trente-cinquième album, unanimement acclamé et tout droit installé au sommet de mon Top Ten 2023. Une franche réussite que je voyais briller durablement dans cet endroit merveilleux où les galaxies lointaines dansent sur des rythmes vigoureux et lancinants. Un lieu secret, seulement connu par des types comme Dave Brock et sa bande. Alors, quand j’ai appris que cette belle équipe remettait le couvert, je n’ai pas vraiment compris et bien sûr, j’ai été assailli par pas mal d’interrogations. Pourquoi passer aussi vite à autre chose ? Ce futur album sera-t-il du même niveau ? doit-on s’attendre à du changement ou à une sorte de continuité ? Le premier élément indicatif fut le front cover de la pochette, très sobre, plutôt froid et en nette rupture avec le précédent. Alors, qu’en est-il réellement ? Eh bien, pas de panique ! Stories From Time And Space n’est que le prolongement naturel de The Future Never Waits. Du pur Hawkwind, de très bonne qualité et tout aussi envoûtant. Et il n’y a qu’à écouter le titre « Till I Found You » pour s’en convaincre. S’il reprend, note pour note, une partie de « Outside Of Time » du précédent opus, ce n’est pas pour rien. Au-delà de la qualité évidente de ce désormais classique du groupe, c’est certainement dû à la volonté de relier les deux albums. Mais il fallait que j’en sache un peu plus.
On vit une époque formidable, car après un petit tour sur le web et trente minutes d’interview plus tard, tout s’est finalement éclairé. À bientôt 83 ans, Dave Brock est toujours resté à l’affut des dernières découvertes scientifiques ou des derniers faits sociétaux. Et pour lui, le besoin d’en parler et de les transformer en potentielles musiques est plus fort que tout. A tel point que lors de la sortie de The Future Never Waits, la quasi-totalité du matériel actuel était déjà écrit. Je ne pense pas que Cherry Red Records s’en plaindra et les fans non plus (je plaide coupable). Les vrais artistes sont comme ça, ils ne vivent que pour et par la création. Pour eux, rien n’est pire que l’inaction ou le manque de stimulation face à une œuvre en devenir. Lorsque j’écoutais Dave Brock, j’avais du mal à croire qu’il était né en 1941 et qu’il avait presque une centaine de publications en relation avec Hawkwind derrière lui. Extraordinaire personnage, témoin vivant de l’âge d’or du rock et dont l’engouement qu’il porte encore aux sujets actuels, fait plaisir à entendre. Mais revenons à nos moutons et à ce gros bonus inespéré. Si j’ai précisé plus haut « front cover » pour la pochette, c’est que nous n’avions que cela à nous mettre sous la dent, mais une fois l’objet dévoilé dans sa totalité, c’est à une extraordinaire représentation Space Rock que nous avions affaire. Et je peux vous assurer que les treize titres du disque vont fusionner à merveille avec ces décors futuristes et ces paysages enchanteurs.
Autour de Captain Brock, sont à nouveau rassemblés Magnus Martin à la guitare, Tim « Thighpaulsandra » Lewis aux claviers, Doug MacKinnon à la basse et Richard Chadwick à la batterie. Et c’est parti pour une heure de musique débridée avec tout d’abord « Our Lives Can’t Last Forever », un premier titre mélancolique sur lequel Dave prévient que la vie n’est pas éternelle et qu’il faut s’attendre à tout. Une intro au piano plutôt inhabituelle, des synthés aux tonalités anciennes et un tempo modéré vont constituer la base de cet avertissement à ne surtout pas minimiser. Ensuite, « The Starship (One Love One Life) » continue lui aussi dans le message fort, mais cette fois de façon positive et beaucoup plus gaie (« Use your life well, don’t waste it away… »). Le tourbillon Hawkwind s’installe enfin et plus rien ne viendra le contrarier. Les fans sont aux anges et pour eux comme pour moi SFTAS est bien lancé pour gagner la partie. Sans trop m’avancer, je sais déjà que tout ce qui va suivre nous sera offert avec un cœur énorme et un savoir-faire à toute épreuve. C’est de cette manière que « What Are We Gonna To Do Now We Are Here » se présente à nous avec Michal Sosna au saxophone qui ouvre et termine le morceau. Deux interventions opportunes servant à encadrer une déferlante punk promise à de beaux jours sur scène. Je me rends compte aussi que Hawkwind n’a rien à envier aux maîtres actuels du Post Rock ou du Shoegaze avec en plus (et en mieux), un arsenal sonore qui n’appartient qu’à lui. La machine bien rodée tourne à plein régime et « The Tracker » se cale sur ce rythme fou pour nous arracher encore plus sûrement des lourdeurs terrestres. Un break cosmique pour faire décoller la belle affaire, une basse qui ne lâche rien et nous voilà avec la vue qui se brouille et les oreilles qui en redemandent.
Je donne peut-être l’impression d’en faire trop, mais comment expliquer tout cela avec banalité, c’est quasiment impossible. C’est le moment que choisit le petit instrumental « Eternal Light » pour nous préparer gentiment à la revisite de « Outside Of Time ». Ici, la version « Till I Found You » ne choque pas, l’intégration de cette mélodie diabolique est bien amenée et se démarque assez de l’original, à mon sens plus atmosphérique. Après cela, l’énergie, bien présente sur ce début d’album, va peu à peu laisser la place à la rêverie avec tout d’abord, la jolie guitare acoustique de « Underwater City » et en second lieu, avec les circonvolutions aériennes de « The Night Sky ». Moments de calme qui font du bien et qui préparent à merveille un étonnant « Traveller Of Time And Space » dont le sustain stridant n’est pas sans rappeler la guitare de Robert Fripp (https://clairetobscur.fr/robert-fripp-exposure/) sur la chanson « Heroes » du grand Bowie (https://clairetobscur.fr/david-bowie-toy/). Petit clin d’œil ou véritable hommage, un peu des deux à mon avis. Grand moment, là aussi, qui part un peu dans tous les sens et finit en guillerette impro jazz. Commence alors, une partie plus dispensable qui me fait penser à certains titres « back catalog », souvent offerts en supplément et possédant un intérêt moindre. Il y a tout d’abord, « Re-generate » au climat inquiétant et à la rythmique pas trop emballante, puis c’est au tour de « The Black Sea » et son côté sombre qui ne servira pas trop la pop de « Frozen In Time », en complet décalage avec le reste du disque. Seules les nappes de mellotron valent le coup et sont, comme à chaque fois, un véritable élixir de jouvence. L’aventure SFTAS s’achève malgré tout sur une bonne note avec « Stargazers » et son élégant passage sur la planète impro jazz, terriblement chaleureuse et accueillante.
Hawkwind ne s’arrête plus et d’après ce que je sais maintenant, le rencard pour l’année prochaine est grandement envisageable. S’ils sont toujours là, Dave Brock et son équipe possèdent suffisamment de talent, de tempérament et d’idées pour perpétuer ce beau rendez-vous annuel. Stories From Time And Space est une nouvelle réussite, un poil en dessous de Futur Never Waits, mais avec assez de qualités pour justifier sa place dans n’importe quelle collection consacrée à ce groupe génial et à nul autre pareil.