Hawkwind – The Future Never Waits

Titre: The Future Never Waits
Auteur: Hawkwind
Éditeur: Cherry Red Records
Date de sortie: 2023
Chronique de: Thierry Folcher

Hawkwind – The Future Never Waits

Ne me demandez pas pourquoi j’ai craqué pour ce disque, je serais bien incapable de vous le dire. L’histoire d’Hawkwind est tellement vaste et tellement chaotique qu’on s’y perd un peu et à moins d’être un fan pur et dur, la fidélité pour ce groupe hors normes n’est pas chose facile. Pour ma part, c’est en souvenir des glorieuses années de Doremi Fasol Latido (1972) à Warrior On The Edge Of Time (1975) en passant par Hall Of The Mountain Grill (1974) ou encore en référence au démoniaque Space Ritual (1973) que je me suis toujours intéressé aux publications de cette formation qui a navigué tant bien que mal aux côtés des plus grands, mais sans jamais recueillir des lauriers pourtant bien mérités. Qu’importe, trente-cinq albums studio plus tard (oui 35 !) les faucons sont toujours là et en pleine forme même si le vétéran Dave Brock (81 ans au compteur !) est le dernier à faire le lien avec l’illustre passé et le line-up d’origine. Concernant mon accroche pour The Future Never Waits, j’ai malgré tout quelques éléments de réponse. Tout d’abord, un emballage réussi (cela a son importance) avec le plus beau lettrage d’Hawkwind qu’on ait vu depuis longtemps (piqué sur l’album Take Me To Your Leader de 2005 et sur quelques live). La pochette est vraiment belle et se trouve même en vente en tableau ou en poster, c’est dire qu’elle attire le regard. Mais bien sûr, cela ne fait pas tout et la musique est quand même l’élément majeur à retenir. Et, c’est là que les choses se compliquent (ou pas). Je pense que cet album est arrivé au bon moment, dans une période où la nostalgie commence à devenir tenace et que l’Humanité ne prend pas forcément le meilleur chemin qui soit. C’est vrai que les ondes de mort, de haine ou de détresse que l’on nous sert « ad nauseam » ne pouvaient recevoir plus bel antidote que cette musique vivante qui pulse et propulse notre esprit très loin des lourdeurs actuelles. Pour moi, Hawkwind représente le type même de groupe qui vous souffle son énergie en pleine figure et dont on devient vite accros. Le mot que j’associerais le plus à sa musique est « tourbillon ». Un tourbillon qui vous emporte et dont il est difficile de s’extraire, surtout lorsqu’on fait peu d’efforts pour ça. Voilà peut-être un début de réponse à mon engouement pour ce splendide The Future Never Waits qui commence à monter très haut dans ma hiérarchie 2023.

Cela dit, je m’étonne encore de la qualité des compositions et du bel équilibre entre les dix morceaux qui s’enchaînent sur plus d’une heure de transe sans ennui ni remplissage. Écouter un album d’Hawkwind c’est comme enclencher un générateur ou mettre la manette sur « on ». Avant il n’y a rien et l’instant d’après, l’espace s’anime et se pare de mille couleurs. Au début, la machine infernale toussote puis s’emballe pour enfin démarrer et ne plus s’arrêter. The Future Nerver Waits n’échappe pas à la règle avec son morceau titre en introduction qui, sur plus de dix minutes instrumentales, va faire décoller une affaire pleine de bruits, de faste et de douce majesté. Car, il faut bien le dire, en 2023, Hawkwind n’est plus le rouleau compresseur d’antan et la fougue des années de jeunesse s’est muée en un savoir-faire musical très accrocheur. Ce premier élan ressemble à une belle bagnole stellaire poussée par des claviers évocateurs et rythmée par le tempo régulier d’un battement de cœur ultrasonique. L’ambiance est plutôt paisible malgré quelques loopings inoffensifs et une volonté d’amener l’auditeur, très loin au fin fond du cosmos. Je peux vous certifier que le mirage opère et que le voyage est facile à vivre pour tous ceux qui ont connu les grandes heures de la musique électronique allemande. Je ne me cache pas pour dire qu’il y a bien longtemps que je n’avais pas plané de la sorte. Ensuite, avec « The End », les sons et le discours deviennent un peu plus agressifs. Cette chanson classique et intense envoie de belles banderilles vocales sur le monde d’aujourd’hui et ses aliénations. Ici, on retrouve la hargne et la distorsion que l’on aime avec un chant encore bien maîtrisé par papy Brock. Les caractéristiques montées et descentes musicales sont toujours là ainsi que les coutumières baisses d’intensité. Le moteur capricieux d’Hawkwind montre parfois des signes de faiblesse, mais une chose est sûre, il ne cale jamais.

C’est incroyable comment cet album porte encore les stigmates d’Hawkwind plus de cinquante ans après la naissance du groupe. Les accords lourds et répétitifs, les petits trucs cosmiques, les narrations, les paroles plus scandées que chantées, tout est là, porté par un trio Brock, Martin, Chadwick bien rodé et bien secondé par le thérémine de Tim « Thighpaulsandra » Lewis et la basse de Doug MacKinnon. Une fière équipe qui s’enflamme carrément sur les dix minutes de « They Are So Easily Distracted ». Mais ô surprise ! Le piano se fait jazzy et les synthés se parent d’une couleur cuivrée comme pour nous amener vers des paysages peu fréquentés qui finalement vont très bien dans le contexte général du disque. Cependant pas de panique, la guitare ramène tout le monde à la raison et la fin séduit par sa mélodie aussi surprenante que jolie. Je ne sais pas ce qui se passe ici, mais j’ai tellement eu peur d’avoir mal compris l’épisode précédent que j’ai réécouté Somnia (2021) pour savoir si je n’étais pas passé à côté de quelque chose de grand. Alors, même si cet album est bien foutu, pour moi, il n’est pas aussi magique que The Future Never Waits, ce qui me fait dire que mon engouement présent n’est ni forcé, ni irraisonné. Et la suite ne fera que confirmer cette impression un peu enflammée mais totalement sincère. Après la surprenante escapade précédente, « Rama (The Prophecy) » remet les vêtements traditionnels du groupe et malgré quelques schémas éculés, le plaisir est instantané. La rythmique écrase tout sur son passage et ouvre la voie pour la voix justement et pour la guitare omniprésente et déchaînée. Un coup de poing terrible qui nous sonne et nous stimule à la fois. « USB1 » permet de souffler un petit peu afin de mettre en orbite le titre suivant, véritable perle mélodique à situer tout en haut d’une chaîne de montagne pourtant déjà très élevée. Dans un premier temps, « Outside Of Time » démarre sans trop savoir où aller avant de se décider à installer des nappes de claviers aériennes et de lancer des riffs de guitare qui vous perforent comme autant de neutrinos invisibles. On n’en meurt pas, c’est sûr, mais ça rentre dans notre organisme et fait bouillonner nos cellules. Le chant est de toute beauté, à la fois mélancolique et déterminé comme aux plus belles heures de cette formation magique dont la résurrection est désormais acquise.

On est forcément très affectés et lorsque « I’m Learning To Live Today » débarque, c’est sans résistance qu’on accompagne l’équipe sur ce titre classique au discours un peu simpliste, c’est certain, mais sur lequel l’énergie de la basse domine une partition psychédélique d’une redoutable efficacité. On approche de la fin et le glaçant « The Beginning » ne trouvera la paix qu’à mi-chemin avec une surprenante guitare acoustique et un chant « beatlesien » plutôt bienvenu et convaincant. Certainement le titre le plus étonnant du disque. Pour finir, l’hymne « Trapped In This Modern Age » termine la partition de façon enjouée malgré des paroles pas vraiment rassurantes. En fait, c’est nous qui sommes pris au piège et sans vraiment comprendre ce qui vient de nous arriver. Je porte en moi les gènes d’Hawkwind depuis tellement longtemps que cette magnifique remise à niveau se transforme en véritable bain de jouvence. Les années s’effacent et mon âme abîmée retrouve des sensations oubliées et un petit côté candide qui fait du bien.

C’est pour toutes ces raisons que The Future Never Waits s’est transformé en vrai coup de cœur et malgré les doutes de mon introduction, je pense avoir été capable de vous l’expliquer. Pour moi, il fait partie des œuvres dont je ne me lasse pas et que j’aime me repasser de temps en temps. Et puis, avec cet album, j’ai ressenti le besoin de revenir dans le monde truculent et fantastique d’Hawkwind. Une frénésie d’écoutes de choses anciennes et plus récentes s’est emparée de moi, à telle enseigne que je me demande si ce groupe ne réunit pas tout ce que le rock peut et doit exprimer. De la brutalité, des caresses, de la folie, du rêve, de la furie, une forme de naïveté qui peut faire sourire (sérieux s’abstenir), le tout énoncé dans un langage ouvert et accessible. Alors bien sûr, cela n’empêche pas de vivre d’autres expériences plus marginales, mais si le besoin se fait sentir de revenir aux fondamentaux, alors les gars d’Hawkwind possèdent un sacré catalogue à disposition pour se remettre la tête à l’endroit. Maintenant, vous savez pourquoi j’ai tant aimé ce disque et je souhaite bien évidemment que ce soit la même chose pour vous.

http://www.hawkwindmuseum.co.uk/tix2b.htm