Hania Rani – Ghosts

Ghosts
Hania Rani
Gondwana Records
2023
Thierry Folcher

Hania Rani – Ghosts

Hania Rani Ghosts

Dans la famille Gondwana, tout se ressemble et tout est différent. Tout se ressemble, car c’est un même état d’esprit qui anime les artistes de ce label et tout est différent, car chacun, dans son style, dévoilera ce qu’il a de plus personnel. La seule ligne de conduite est de maintenir la qualité et de ce point de vue, on ne peut pas dire qu’Hania Rani ait trahi ce principe. Ghosts est son troisième album solo et fait suite au doux piano d’Esja (2019) puis aux petits pas en avant de Home (2020). En l’espace de quelques années, l’évolution de son écriture a été spectaculaire, dévoilant un potentiel qui va bien au-delà de sa pratique du piano et du chant. Ses collaborations pour le cinéma (Music For Film And Theatre en 2021 et On Giacometti en 2023) ont permis d’ouvrir d’autres portes, certes moins évidentes, mais toujours utiles dans sa continuelle volonté d’aller vers des expériences sonores inédites. Ghosts a bénéficié de tout ça et doit sa diversité à toutes ces années de prospection sur le son, les instruments et les nombreuses possibilités techniques actuelles. À présent, un rapide, mais nécessaire focus s’impose. Hania Rani, dont le véritable nom est Hanna Raniszweska, est née en Pologne en 1990 et a fait ses études à l’université de musique Frédéric Chopin de Gdansk. Un parcours de jeunesse qui a grandement façonné son approche classique de la musique. Le genre d’éducation qui demande du travail, mais surtout un peu de folie pour pouvoir en sortir et se défaire d’un certain académisme. Et c’est vraiment le pari qu’elle a réussi en se lançant dans des compositions très personnelles, capables de drainer un public tout aussi friand de pièces purement classiques que d’aventures plus modernes.

Lorsqu’on écoute les treize titres de Ghosts, on est frappé par leur variété, mais aussi par leur capacité à s’intégrer dans l’environnement très particulier qu’Hania nomme : « The edge of life and death ». C’est en se souvenant d’un sanatorium désaffecté au cœur des montagnes suisses et de toutes les âmes qui le hantent, qu’elle a construit son projet comme un voyage imaginaire à la frontière de la vie et de la mort. Drôle d’inspiration pour cette jeune personne de 34 ans qui a surtout voulu dédramatiser le concept de mort, toujours aussi tabou dans nos sociétés occidentales. C’est donc un voyage vers la beauté, l’étrange, l’amour et l’inexplicable qui attend l’auditeur pendant une bonne heure de musiques envoûtantes. Il faut savoir qu’avec Ghosts, les entrées sont multiples et toutes les sensibilités, satisfaites. C’est ce qui fait le charme de cet album protéiforme, jamais ennuyeux et qui a réuni un public encore plus large autour de la jeune polonaise. Une consécration méritée et un nom qui commence à être reconnu à travers le monde. Ghosts s’ouvre avec « Oltre Terra » (au-delà de la Terre en italien), une mise en action que les synthés rendent fantomatique et propre à couper le lien avec le monde réel. C’est une forme de méditation qui s’installe et qui ne lâchera plus tous ceux qui vont suivre les pérégrinations d’Hania dans son univers pour le moins insolite. L’enchaînement avec « Hello » se fait dans la continuité, même si le tempo s’accélère et que le chant devient la principale source d’émotion. La voix haut perchée, son dédoublement et des paroles sans équivoque vont construire une danse hallucinée apte à faire tomber les barrières et revoir nos certitudes.

Hania Rani Ghosts Band 1

Je suis partagé entre raison et adhésion. Garder la tête froide, c’est bien, mais les théories d’Hania, aussi farfelues soient-elles, sont l’essence même de ce disque et les bouder ne servirait à rien. Alors, pourquoi pas ! Continuons dans ce climat et accueillons « Don’t Break My Heart », une chanson mise au point, transpercée par des mots d’amour et magnifiquement interprétée par Hania et son piano fétiche. Une sorte de blues à la cadence tranquille (avec Duncan Bellamy de Portico Quartet aux percussions) et aux murmures d’outre-tombe. On est bien obligé de constater que la mise en scène est très élaborée pour une chanson toute simple. Le talent d’Hania Rani réside aussi dans cette démarche singulière à vouloir donner aux sons une mission aussi importante que les mots. Et les surprises vont s’enchaîner. Avec « 24.03 » ce sont les synthés vintage de Jean-Michel Jarre que l’on entrevoit de façon, il faut bien le dire, un peu anachronique. Il y a aussi la présence en duo de Patrick Watson sur « Dancing With Ghosts » et de celle d’Ólafur Arnalds sur « Whispering House ». Deux invités prestigieux, deux mondes différents, mais deux associations qui marchent et se complaisent dans les méandres fascinants d’Hania. Je pourrais vous parler aussi de « The Boat » et de ses notes cristallines qui évoquent l’électronique de Klaus Schulze ou même des boucles entêtantes de « Komeda », un morceau de plus de dix minutes, absolument génial, dont la cadence souterraine fonctionne un peu à la manière de « On The Run » de Pink Floyd. Je vous avais prévenus, Ghosts est fabriqué pour toucher un auditoire très large et très ouvert. Des passionnés de musique avant tout et qui, malgré les références que je viens de citer, vivront un voyage inédit et très séduisant.

Hania Rani Ghosts Band 2

Hania Rani a passé le cap des incertitudes. Elle sait désormais qu’elle peut continuer dans cette voie et que le public la suivra sans faiblir (l’accueil de Ghosts en est la preuve). Par ailleurs, Nostalgia son premier live officiel, sorti l’année dernière, est un beau témoignage de cette passion qui grandit autour de sa musique. Et si vous avez encore des doutes, je ne saurais trop vous conseiller de visionner (sur YouTube) sa prestation filmée en 2022 dans la cour d’honneur des Invalides. Un concert avec musiciens, superbement capté et qui devrait finir par vous convaincre de l’ajouter parmi vos artistes favoris. C’est du moins ce qu’il se passe pour moi, avec en plus cette griserie toute particulière liée à ses futurs projets. Ghosts a mis la barre très haut et ce que nous réserve l’avenir devrait être encore meilleur. La grande consécration n’est pas loin, mais des faux pas sont toujours possibles. Alors, on se revoit pour en parler ?

https://haniarani.com/

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