Haken – Vector
Inside Out
2018
Rudzik
Haken – Vector
« The King is Dead, Long Live Haken ! » En effet, les Londoniens apparaissent comme étant désormais l’étendard d’un genre, le metal progressif, usé jusqu’à la corde par le roi déchu, Dream Theater. Là où les Américains ont fini par sombrer dans une rengaine de schémas recyclés et robotisés d’où l’inspiration s’est enfuie, les Londoniens réussissent l’exploit de se réinventer au détour de chaque nouvel album.
Vector ne fait pas exception à la règle. Sans tomber dans la facilité en plagiant, tiens par exemple Metallica, Haken a singulièrement musclé le ton à coups de riffs d’airain imaginés par leur bassiste Conner Green et leur guitariste Rich Henshall lors de la tournée au sein du (tiens, tiens !) Mike Portnoy’s Shattered Fortress. Nul ne sait s’il y a relation de cause à effet mais il semble bien qu’il y ait eu à cette occasion un transfert de décibels. On peut noter d’ailleurs l’importance grandissante de Conner dans le groupe, lui dont Vector n’est que le second album auquel il contribue depuis son intronisation.
« The Good Doctor » ouvre la pochette surprise de Vector, ce titre étant très caméléon et recélant des mélodies entêtantes, nous promenant en moins de quatre minutes de territoires connus à inconnus chez Haken. Un exemple ? Ce refrain hybride où les harmonies vocales sont typiques d’un Ross Jennings au sommet de son art en contrepoint de rythmiques et d’incursions de claviers étonnantes. Le ton est donné !
La déferlante sonore perçue à la fin de ce titre devient surtout prégnante à partir de « Puzzle Box » sur lequel les déchaînements de riffs atteignent un paroxysme duquel n’est pas exclue l’émotion principalement insufflée par le chant de Ross. J’en profite pour ouvrir une parenthèse ici, ayant assisté à la performance du Mike Portnoy’s Shattered Fortress au Loreley, j’avais été frappé par la qualité de la prestation de Mike et d’Haken mais déstabilisé par le chant de Jennings qui ne collait pas du tout avec celui de Labrie. Même Eric Gillette, le guitariste attitré de Mike Portnoy, Neal Morse et … de lui-même, s’en était sorti avec les honneurs sur les quelques morceaux où il chantait avec plus de bonheur. Ça n’était pas une question de talent bien sûr car Haken possède ce « je ne sais quoi » d’émotionnel entièrement dévolu au chant de Jennings. C’est certainement une des raisons qui lui permettent d’avoir désormais une longueur d’avance sur les dinosaures du metal progressif, même si un chant aussi typé n’est pas facilement transposable sur des covers de groupes dont le chant est également typé mais différemment (cf James Labrie).
« Puzzle Box » possède aussi son lot de surprises comme un intermède rythmique plus léger, sorte de djent atmosphérique. Paradoxalement, moi qui aime beaucoup les longues plages progressives, j’ai un peu saturé sur la surabondance de technicité qui a allongé la sauce de « Veil » malgré un long passage plus aérien à mi parcours qui tombait un peu comme un cheveu dans la soupe. Haken frise sur ce titre le huitième péché capital, celui de la démonstration qui a souvent fait beaucoup de tort au metal progressif. Alors, cet album est plutôt court (44 minutes), pourtant certaines longueurs auraient été évitables.
« Nil By Mouth » remet les gaz avec beaucoup d’influences djent, peut-être celles d’Adam « Nolly » Getgood, le bassiste formateur de Periphery qui a co-produit l’album avec le groupe. Charlie Griffiths et Rich Henshall, les guitaristes, s’en donnent à cœur joie mais on remarque aussi, comme sur tout l’album, les apparitions régulières et toujours judicieuses de sonorités originales issues des claviers du Latino Diego Tejeida qui rompent l’uniformité des riffs.
Comme si Haken avait quand même eu un peu peur d’y être allé trop fort, ils reviennent à un volume sonore plus contenu, laissant de nouveau la place à l’émotion pour un « Host » grandiose et non grandiloquent, de nouveau dominé par la voix d’une justesse impressionnante de Jennings. « A Cell Divides » avec ses rythmes syncopés montre une autre facette de Vector, en phase avec le concept général de l’album basé sur les troubles psychologiques d’un patient provoqués par sa mémoire ou son traitement … ou les deux ! Il faut savoir que ce concept a été impulsé par Tejeida dont la passion pour la psychologie l’entraîne à se faire régulièrement analyser presque pour le plaisir d’assouvir sa soif de connaissances sur ce sujet, lui qui, à défaut d’être musicien, aurait aimé devenir psy. A noter aussi que l’énigmatique jaquette est volontairement apparentée au test de Rorschach, série de planches graphiques présentant des taches symétriques proposées à la libre interprétation de la personne évaluée. Analysées par le psy, les réponses fournies servent à évaluer la personnalité du sujet.
Comme le dirait Florence Foresti dans sa célèbre imitation d’Isabelle Adjani, « je ne suis pas folle vous savez ! » et sans tomber fou de Vector, il faut admirer les efforts vertueux d’Haken pour sortir des chemins battus avec cet album, sorte de boîte de Pandore dans laquelle, fort heureusement, le meilleur est le plus souvent présent au détour de chaque surprise.