Haken – Aquarius
Inside Out Music
2017
Haken – Aquarius
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on aime bien Haken à Clair & Obscur. En effet, avant le récent Affinity (2016), l’EP Restoration (2014), et The Mountain (2013), nous avions déjà chroniqué leur deuxième album, l’excellent Visions (2012). Inside Out ayant la bonne idée de rééditer (à l’occasion du dixième anniversaire du groupe) les deux premiers albums qui n’étaient pas sur ce label à l’origine, il était tout naturel de remonter le temps à bord de notre DeLorean musicologique pour nous intéresser à leur toute première véritable création discographique, Aquarius (2010). Enfin, car c’est aussi l’intérêt d’une réédition, l’album a été remasterisé par Jens Bogren, celui-là même qui a travaillé sur les deux dernières productions sonores du groupe.
Créé à Londres en 2007, Haken s’est stabilisé avant ce premier opus autour de son fondateur Richard « Hen » Henshall et de quelques amis et proches, dans la formation qui a encore cours à l’exception du bassiste d’alors, Thomas MacLean. Et pour un premier album, nos joyeux lurons ont frappé fort. D’abord, en créant un opus autour du concept et de la question du réchauffement climatique et, bien entendu, de l’eau. Ensuite, en entrant d’emblée dans la cour des grands, tellement Aquarius est pétri de qualités. Entièrement composé par le guitariste et claviériste Henshall et le chanteur Ross Jennings, Aquarius étend ses sept titres sur plus de 72 minutes. Et pourtant, aucune longueur. Et quelle maîtrise pour un groupe qui sort son premier album (bon d’accord, ce ne sont pas des débutants, plusieurs d’entre eux venant de To-Mera et Linear Sphere, mais quand même). Si le terme de metal progressif a été inventé, ce devrait être pour des groupes comme Haken. Tout y est : les guitares sauvages, les rythmiques alambiquées, des claviers enveloppants ou aptes à la cavalcade, un grand chanteur capable d’osciller dans un paquet de registres allant du lyrisme au growl. Mais, ce n’est pas tout à fait du metal progressif tel qu’entendu généralement, tellement Haken va chercher ses influences un peu partout : hard, jazz, art rock, fusion, pop, death metal…
Le nouveau mastering apportant toutes les qualités requises pour une meilleure écoute, chacun a loisir de découvrir ou redécouvrir un Aquarius vraiment bourré de qualités (l’album suivant, Visions, est également réédité, les deux nouvelles éditions proposant un second CD avec les versions instrumentales). Si vous espérez quelque chose de figé dans le marbre d’un seul style clairement identifiable, passez votre chemin. Oh, bien entendu, il y a des contours qui se dessinent au-delà de la variété des compositions. Que vous aimiez Dream Theater, Symphony X, Threshold, Pain Of Salvation, Spock’s Beard ou The Flower Kings, vous allez être servis. Mais, si en plus vous affectionnez Kansas, Styx, Blind Guardian, Frank Zappa, Yes, Devin Townsend, le foxtrot, l’orgue de barbarie, la musique d’avant-garde, la barbe à papa, le dixieland ou les mélanges salé-sucré, vous allez bien en reprendre une petite louche ! Attention, si vous êtes métalleux intégriste (c’est à peu près la même chose qu’un fondamentaliste proghead, mais généralement avec plus de cheveux, une surdité plus avancée, mais une mauvaise foi à peu près équivalente), Aquarius n’est pas fait pour vous. Certaines choses vont vous plaire (les guitares 7 et 8-cordes, le shred, un peu de growl, quelques rythmiques bien lourdingues), mais vous allez en détester (je ne vous ai pas parlé de les comprendre) d’autres (instruments étranges, passages trop calmes, trop mélodiques, et bien mous ma pauv’ dame, et je ne vous parle pas du jazz…).
En fait, Haken, avec ce premier album, se foutait bien de tout ça et avait bien raison. Musiciens talentueux, nos Londoniens ont frappé très fort d’entrée. D’aucuns y trouveront quelques faiblesses. Pour ma part, j’aime la fraîcheur d’Aquarius, son sérieux dans la déconnade, cette dextérité au profit d’une inventivité rafraîchissante, et toutes ces petites découvertes à chacune des écoutes. D’ailleurs, je me demande si ce premier opus ne reste pas mon préféré du groupe pour toutes ces raisons (eux-mêmes jouent toujours « Celestial Elixir » sur scène, ça doit être un signe). C’est à croire que s’il y avait quelqu’un pour donner un coup de fouet à un genre qui tournait un peu en rond (« I’ll be the roundabout »), ce serait un personnage mystérieusement fictif dénommé Haken !
Henri Vaugrand