Gazpacho – Night (version 2012)
Gazpacho
Kscope
L’excellent et prolifique label Kscope continue son travail de réédition en ressortant le quatrième album des norvégiens de Gazpacho, « Night », originellement publié en 2007 et aujourd’hui entièrement remixé. Jusque là, il faut bien avouer que la discographie du jeune groupe n’inspirait pas grand-chose, sinon une indifférence polie. D’ailleurs, celui-ci n’avait pas déclenché l’hystérie collective en officiant en première partie des concerts de Marillion, à l’époque du splendide « Marbles ». Mais « Night », quelques trois ans plus tard, constituait un tournant majeur dans la carrière du groupe, et se posait comme le disque de la maturité, l’œuvre qui allait faire basculer son statut de simple suiveur vers une autre reconnaissance. En effet, avec cet opus, les gars de Gazpacho décident de lâcher prise avec un passé trop ancré dans une sauce néo-prog qui ne prend plus, et de partir enfin à l’aventure, laissant leur inspiration vagabonder autour d’une langoureuse séquence rythmique qui revient à plusieurs reprises tout au long de ce magistral concept album. Surpris par la qualité de leur production, ils se fixent des contraintes, et continuent à composer autour de ce motif pour finalement aboutir à une seule pièce de 50 minutes, qu’ils scinderont en 5 titres bien distincts.
A la fois hypnotique, planant et éthéré, « Night » tourne autour de la notion de frontière entre rêve et réalité, et se permet, en déployant un art-rock majestueux, de visiter différentes atmosphères. Les vocaux de Jan Henrik Ohme sont représentatifs de la thématique : fragiles, étranges, sur un fil entre le juste et le faux, plaintifs également. Le chanteur en devient même assez dur à suivre par moment. Les autres musiciens assurent quant à eux leur rôle à la perfection, privilégiant la texture du son (nappes de claviers aériennes, guitares tantôt en arpèges acoustiques ou en riffs incisifs électrifiés, arrangements orchestraux à base de cordes sublimes…) à un déballage virtuose et bavard qui n’est certes pas leur apanage.
« Dream Of Stone » est le gros morceau planant de l’album, basé sur ce fameux tempo lancinant et répétitif au-dessus duquel se déploient les mélodies, 17 minutes de bonheur qui ne se verront interrompues que par un magnifique et minimal dialogue piano/violon, avant de redémarrer vers un climax sans artillerie lourde, ce qui est bénéfique pour l’équilibre de la fresque. « Chequered Light Buildings » ressemble comme deux gouttes d’eau dans sa première partie à une ballade « Hogarthienne » (Marillion demeurant l’inspiration N°1 du combo, jusque dans le choix de son patronyme), avec cette même sensibilité à fleur de peau, tandis qu' »Upside Down » et son final celtique renoue avec les fastes progressives du premier titre. « Valerie’s friend » est le morceau le plus « heavy » de l’album (ceci étant très relatif), avec toujours cette sentimentalité propre au Marillion actuel, mais habillée désormais par l’indéniable style Gazpacho. « Night » s’achève avec l’étonnant « Massive Illusion », long titre qui sait habilement jongler avec les climats, tout en annonçant la fin de notre trip noctambule, par ses passages plus enjoués et lumineux, un peu comme un « Made Again » (dans l’esprit seulement, rien à voir au niveau forme), fixant un nouveau cap optimiste en conclusion du dépressif « Brave ».
Gazpacho réussit à percer avec cet album, et confirmera avec le très différent et sans doute meilleur opus du combo à ce jour, « Tick Tock », toujours influencé Marillion, qu’il faudra dorénavant compter avec eux sur la scène post-prog. « Night », vu sa structure et son concept, est plutôt à part dans leur production assez prolifique. Mais pourquoi ce réenregistrement, et quelle en est la plus-value pour l’album ? Il s’avère que le studio était équipé d’amplis défectueux, ce qui donnait alors un rendu des basses incontrôlable. Aussi, de nombreuses ambiances et parties instrumentales n’avaient pu être intégrées à l’ensemble faute de temps et de moyens. C’est désormais chose faite dans cette version 2012 et son mixage proche de la perfection, boosté par un son énorme, très supérieur à celui du « Night » original au visuel différent. A noter que cette classieuse édition digibook comporte un deuxième CD qui enchaîne les 3 premiers morceaux de l’album joués en live, sympathiques, mais loin d’être indispensables.
Avec « Night », Gazpacho affirmait sa propre personnalité et définissait une bonne fois pour toute son esthétique sonore, dans lequel le merveilleux violon de Mikael Krømer compte pour beaucoup. Si vous ne connaissez pas encore ce groupe qui monte, c’est très certainement par cet album que nous vous conseillons de débuter votre initiation. Bonheur, frissons et évasions mélancoliques garanties !
Fred Natuzzi & Philippe Vallin (8/10)
Parfois… il y des mélodies quasi nippones dans ce groupe (Upside Down par exemple)…
Très beau !
J’aime beaucoup !
@++