François Thollot – Happy Lockdown
Autoproduction
2021
Lucas Biela
François Thollot – Happy Lockdown
François Thollot, un multi-instrumentiste qui partage le même patronyme qu’un autre batteur pionnier de l’avant-garde française, n’est pas inconnu des fans de Magma puisqu’il est le principal compositeur de l’entité Scherzoo, un projet instrumental signé sur le label Soleil Zeuhl. Au sein de Scherzoo, on l’a connu tour à tour batteur et bassiste, mais sur ses albums solo, il est tout seul aux commandes, et c’est assez troublant tant la maîtrise des différents instruments nous force à penser qu’il s’est entouré d’acolytes chevronnés.
Cette carrière solo, qui avait démarré en trombe au début des années 2000 avec deux albums la même année, avait été mise en pointillés pendant les 15 années qui suivirent au profit du Scherzoo mentionné plus haut. C’est la période de confinement qui a fait resurgir les errances solitaires de notre ami, avec pas moins de deux albums publiés à deux mois d’intervalle depuis le début de l’année 2021 ! Et comment mieux appeler ce retour en solo en période de confinement que Happy Lockdown !
Même si la musique de François Thollot se nourrit de celle de Magma, on est loin de l’atmosphère lugubre qui domine cette dernière. Ici, même si quelques claviers tirent la sonnette d’alarme, c’est l’humour de Canterbury qui infiltre les compositions. Le piano espiègle, la batterie amusée, les synthés rêveurs, le xylophone émerveillé, tout s’accorde pour apporter de la légèreté dans une musique exigeante. Et en effet, légèreté ne rime pas avec simplicité ici. C’est pour ainsi dire l’association des contraires que l’on retrouve dans cette œuvre. À l’image du titre de l’album, on s’amuse tout en étant concentré, on rêve tout en étant éveillé, on éclate de joie tout en étant enfermé dans sa bulle.
La dure réalité de notre existence nous est rappelée par le biais de quelques motifs de clavier ou de batterie répétés, là où l’insouciance et l’imagination sont suggérées par des parties plus libérées et lorgnant tantôt vers le fantastique tantôt vers l’humour. C’est un savant mélange d’influences qui nous est servi. Au menu, les errances abstraites du Rock In Opposition d’un Present, les danses farfelues de l’Avant-prog d’un Samla Mammas Manna, la chaleur estivale du jazz-rock d’un Chick Corea, l’agilité frivole du Canterbury d’un National Health et on pourra même goûter aux frétillements mystérieux d’un Miles Davis période In A Silent Way. Notre compositeur parvient à incorporer ses nombreuses influences dans une musique qui coule de source, telle un fleuve sur lequel navigueraient de nombreux navires qui contribueraient à approvisionner les populations alentour pour leur prospérité.
On regarde beaucoup hors de nos frontières, et en particulier du côté de Londres, les nouvelles fusions entre jazz et musiques modernes, mais regardons un peu ce qui se passe dans nos frontières : il suffit en effet d’aller à Lyon pour trouver une fusion tout aussi innovante. François Thollot, par le biais de ses projets, redonne ses lettres de noblesse à cette fusion qui avait tant marqué la période post-Woodstock, en lui apportant une saveur unique et des couleurs vives. Happy Lockdown a été suivi deux mois plus tard par un Virtually Spring tout aussi bon. En cette nouvelle période de confinement, profitons donc du temps que nous avons pour nous pencher sur deux albums qui marqueront très certainement l’année 2021.