Father John Misty – Mahashmashana

Mahashmashana
Father John Misty
Bella Union
2024
Father Fred Cloudy Natuzzi

Father John Misty – Mahashmashana

Father John Misty Mahashmashana

Sur son dernier album, Chloë And The Next 20th Century, j’avais perdu de vue le Father John Misty que j’avais adoré sur I Love You Honeybear et God’s Favorite Customer. J’attendais donc de pied ferme ce sixième effort du chanteur brumeux, Mahashmashana. Josh Tillman n’est pas quelqu’un de prévisible et je dois dire qu’avec ce nouvel opus, je suis retombé amoureux de son univers où il mêle rêves étoilés et introspections réalistes, arrangements symphoniques et musique émotionnelle. Pour autant, tout n’est pas convaincant comme on le verra plus tard, mais ce disque est d’une classe folle, d’une beauté désespérée, par un chanteur désenchanté mais très incarné. L’imagerie est belle, même si elle est assez sombre. Tillman parle évidemment de lui-même (il en a l’habitude), mais aussi de l’état du monde. On ne comprendra pas forcément tout des paroles, néanmoins elles sont suffisamment évocatrices pour résonner. Une profondeur et une gravité rares chez Tillman qui se montrait beaucoup plus sarcastique auparavant. Une certaine forme non pas de sagesse, mais de vérité, comme si sa bulle de savon avait explosé, révélant au grand jour une réalité pas si glamour, tout en utilisant les artifices de ces orchestres typiquement hollywoodiens. Mahashmashana est un trip via différentes saynètes comme Tillman aime en faire. Et en huit morceaux pour 50 minutes, l’opus s’avère fascinant, prenant, intrigant… déprimant peut-être ? Mahashmashana signifie « grand lieu de crémation », tout un programme donc !

L’ouverture façon grand spectacle ne doit pas rebuter, car « Mahashmashana » fait partie des morceaux fleuves de Father John Misty où resplendit son écriture narrative dans une écrin classieux, référencé années 70. On est happé immédiatement et les cordes nous portent à travers ce film de neuf minutes. FJM n’a peur de rien, on le sait, et même si l’emballage paraît un peu too much, le titre est magistral. Même l’apparition d’un saxophone quelque peu kitsch n’abîmera pas la dimension solennelle de la chanson, une vignette admirablement bien construite et qui arrête le temps autour de soi. On s’éloigne considérablement de cet univers avec « She Cleans Up », reverb en avant, air psyché avec un FJM en mode Limiñanas, saxo déchaîné, un morceau rock surprenant et jouissif. La voix de Tillman est encore une fois superbe. Je pense que FJM est le seul à inclure son nom dans les titres de certaines de ses chansons. Il récidive donc avec « Josh Tillman And The Accidental Dose » ! Une nouvelle fois, il repart sur une narration à propos de lui-même ! Des cordes magnifiques emmènent cette mélodie sur des arrangements que n’aurait peut-être pas reniés Warren Ellis, voire Gainsbourg ! Toute la chanson est hypnotique, la fin est splendide et une place de choix est laissée à l’orchestre. « Mental Health » est une ballade enjolivée de cordes dans laquelle Tillman s’interroge sur la santé mentale du monde et le fait de vivre au bord des choses. Il enrobe son texte désenchanté de flûte, de sax et de violons aériens, rendant le tout féerique. Encore un coup au but, mais on est loin de ce qui nous attend dans la piste plus loin.

Father John Misty Mahashmashana Band 1

En effet, la seconde partie du disque s’ouvre avec « Screamland », le chef-d’œuvre désespéré de l’album et de la carrière toute entière de FJM. Il n’a jamais conçu un titre aussi émotionnel, aussi mélancolique. C’est tout ce que j’aime. Sa voix porte en elle un désespoir froid et descriptif. Le morceau commence comme du Nick Cave puis explose avec son refrain mantra et fout des frissons. Les cordes en étoiles filantes émaillent la chanson et quelle voix mes amis ! En invité de marque, la guitare d’Alan Sparhawk de Low m’emporte loin. L’état du monde est si bien décrit : un « état de grâce renversé ». FJM prône de se trouver soi-même dans ce monde de fous et c’est d’une beauté ultime, comme la fin du titre. « Being You » prend la suite beaucoup plus sobrement. Un clavier descriptif, une guitare acoustique chaude, un piano sensible, des cordes plus discrètes soutiennent une narration à propos de quelqu’un qui n’est pas là, qui fait semblant, emprisonné dans sa psyché. Les arrangements sont tellement bons ! C’est classe, cohérent et parfait. La façon de chanter de Tillman change une nouvelle fois et c’est du grand art. Dommage que la suite ne soit pas à la hauteur. Une descente moins heureuse que la montée… « I Guess Time Just Makes Fools Of Us All » retrouve un FJM en crooner disco funky, avec un improbable saxo pop. Inutilement étiré sur plus de huit minutes (mais avec un solo de congas !). Musicalement, on dirait une virée à Las Vegas dans les années 70. Le titre s’intègre très bien dans l’univers de l’album, mais reste le plus faible et le moins convaincant du disque. En clôture, « Summer’s Gone » possède un arrangement plus jazzy faisant penser à Chloë And The Next 20th Century. Désenchanté comme toujours, c’est la fin d’une époque personnelle qui est racontée. Mais après une collection de chansons aussi formidable, il est dommage de finir avec deux morceaux moins puissants.

Father John Misty Mahashmashana Band 2

Mahashmashana est un album impressionnant, même s’il contient des moments plus faibles. Il n’empêche, Father John Misty est à part dans la production musicale. Une voix exceptionnelle, un regard acéré sur notre société, une volonté de rendre hommage tout en marquant son cadre, des arrangements d’une classe évidente. Un artiste torturé, qui aspire à trouver sa paix intérieure, mais qui ne peut s’empêcher de penser que notre fin est imminente. Un album essentiel de l’année.

http://www.fatherjohnmisty.com/

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