Nick Cave & The Bad Seeds – Wild God
PIAS
2024
Fred Natuzzi
Nick Cave & The Bad Seeds – Wild God
Nick Cave est arrivé au bout du chemin qu’il avait commencé suite aux tragédies personnelles intenses qui ont marqué cette dernière décennie. Les enseignements contraints de la perte, du deuil, ont forcément laissé dans l’esprit de ce poète sombre des blessures profondes dans lesquelles il a dû plonger afin de les surpasser. Cette recherche a donné naissance au sublime et émouvant Ghosteen, puis à Carnage, déjà plus axé vers la lumière. La surprise de ce Wild God, c’est que la lumière y est aveuglante. C’était déjà rare chez Nick Cave avant Skeleton Tree, alors ici, on respire à plein poumon, et on admire la beauté qui s’en dégage. Car toujours chez Nick Cave, c’est la beauté qui est en exergue. Sa voix grave va chercher les hauteurs, elle est claire, elle est ouverte comme jamais et s’exprime forte et assurée. Finies les lamentations, il est temps d’être heureux. Soyons-le avec lui. J’écris ceci parce que certains se sont chagrinés que ce « retour » à la lumière engendre un album peut-être inégal, moins réussi que les précédents. Oui, l’opus n’est pas aussi réussi que les trois derniers, mais il a le mérite de marquer un tournant. Dix titres variés, avec des Bad Seeds exceptionnels, et avec comme d’habitude Warren Ellis en tête, des idées musicales qui surprennent, qui renouvellent le spectre d’exploration de Nick Cave, tout en rappelant son passé. Wild God irradie l’essence de son œuvre, il plane au-dessus, en tisse la carte, ne renie rien, mais s’en détache. La magie de la musique en somme : se renouveler tout en gardant une patte inimitable. Quitte à déplaire, voire décevoir, comme l’a dit Nick Cave en interview.
« Song Of The Lake » remet la machine en route, une narration mi-spoken mi-chantée comme le fait si bien Nick Cave. Dès les premières mesures, on découvre un univers angélique, portée par des chœurs qui rappellent l’époque Abattoir Blues, il y a déjà 20 ans. Il coupe court aux lamentations avec ces « never mind, never mind ». Une telle joie musicale est d’habitude l’aboutissement d’un chemin, d’un album. Ici, Nick nous annonce la couleur dès le départ. L’opus sera joyeux. Du moins autant qu’il puisse le faire ! « Wild God » prend une tournure pop, chose que l’on n’avait pas entendue chez lui depuis un long moment ! Une sonorité de clavecin par-ci, une élévation spirituelle par-là et le titre devient un classique ! Sa deuxième partie (qui ne met pas assez en avant les Bad Seeds à mon sens) au chant habité et sa chorale gospel est fabuleuse. Autre orchestration surprenante, celle de « Frogs » qui accompagne le chant de Nick, plus aigu, élégiaque, d’une précision extrême. On pense à Mercury Rev pour le feeling général, et ce n’est peut-être pas un hasard puisque c’est Dave Fridmann qui mixe l’album, ancien bassiste de… Mercury Rev ! « Joy » reprend le thème du fantôme et pourrait être la touche finale à Ghosteen. Il est temps de laisser l’obscurité et de faire place à la joie. Toujours accompagné de ces chœurs angéliques, le charisme de Nick Cave transcende ce moment sombre et l’amène à la clarté. Le piano refait son apparition avec bonheur sur « Final Rescue Attempt » mais le titre reste un peu en dessous, ne suscitant que peu d’émotions. Il faut dire qu’il est un poil surchargé. Des chœurs peut-être inutiles, un lyrisme percussif de trop, autant de choses qui perturbent l’écoute.
« Conversion » retrouve une atmosphère proche de Ghosteen, plus solennelle, avant que la batterie ne lance une seconde partie plus gospel où la voix de Cave est noyée, une communion qui semble cathartique. La beauté de « Cinnamon Horses » est indéniable. Le chant de Nick Cave est absolument parfait et l’orchestration prend aux tripes. Un must. « Long Dark Night » nous fait revenir 30 ans en arrière tant le morceau ressemble à ce qu’il faisait dans les années 90. Et puis une guitare acoustique se fait entendre, ce qui est assez rare. Un moment feutré où la voix de Nick ne cherche rien d’autre qu’à chanter. « O Wow O Wow (How Wonderful She Is) » est un hommage à Anita Lane, co-fondatrice des Bad Seeds et ancienne compagne, décédée il y a quelques années. Le titre est sympathique, l’auto-tune un peu moins, mais le feeling est joyeux, à l’image du rire d’Anita sur le message laissé sur le répondeur qui figure à la fin du morceau. Une chanson peu convaincante tout de même. « As The Waters Cover The Sea » clôture en deux minutes Wild God par une sorte de prêche à l’église, la chorale gospel prenant le pouvoir sur le chant de Cave. Que penser de ce titre ? Ma foi, je suis dubitatif.
Wild God est surprenant à bien des égards. Partagé entre la joie d’être (de nouveau) au monde et ses obsessions devenues quasi mystiques, tout en gardant l’essence même de son œuvre, Nick Cave livre avec ses Bad Seeds un disque à la fois libéré et contraint. Tutoyer les anges et garder une part torturée. C’est tout l’enjeu de Wild God que je verrai plutôt comme un album de transition. Forcément moins réussi que les précédents, il offre quand même de sacrés moments, retrouve une certaine liberté que les Bad Seeds exploitent surtout du côté percussif pendant que Warren Ellis s’occupe des textures sonores. Et un Nick Cave moyen reste toujours un bon album !