Eels – The Deconstruction

The Deconstruction
Eels
E Works Records
2018

Eels – The Deconstruction

Eels – The Deconstruction

Certaines pochettes de disques sont devenues tellement célèbres qu’on oublie parfois à qui elles appartiennent. Tout le monde connaît cette fameuse banane « warholienne » mais pas forcément le Velvet Underground. Le constat est identique avec cette petite fille aux yeux démesurés qu’on associe rarement au groupe californien Eels. Peu importe, ce visuel plutôt angoissant fut une sacrée carte de visite lors de la parution, en 1996, de Beautiful Freak leur tout premier album. Un recueil de chansons étranges et inclassables pour un groupe qui ne l’était pas moins. En effet, sous le nom de Eels se cache Mark Oliver Everett ou plus simplement E, le guitariste, chanteur, compositeur et âme torturée de la formation. Une voix douce et éraillée, des compositions simples et mélodiques, des sujets intimes et parfois glauques, voilà le savant cocktail qui allait séduire un large public.

Cependant après le succès de Beautiful Freak et de son tube « Novocaïne For The Soul » on ne donnait pas cher de l’avenir de Eels présenté comme un objet marketing destiné à lancer la nouvelle maison d’édition de Steven Spielberg SKG DreamWorks. Et pourtant, les albums suivants Electro-Shock Blues en 1997 et Daisies Of The Galaxy en 2000 allaient confirmer toute l’étendue du potentiel créatif d’Everett. De simple espoir, Eels va devenir un groupe culte, totalement marginal et insolite. En fait, c’est son côté clair & obscur (tiens, tiens) entre douceur et rugosité qui séduit. Souvent, les textes punk sont accompagnés d’une musique du style Disney comme le fameux « It’s A Motherfucker » sur Daisies Of The Galaxy. Et puis Eels, un peu comme Edward Hopper ou Twin Peaks, c’est l’Amérique fascinante et sordide à la fois. Les références musicales nous amènent fréquemment vers les années 50 ou 60, symboles du rêve américain, pour illustrer le plus souvent les drames personnels de Mr E. Les huit albums qui vont suivre seront toujours des rendez-vous attendus sur lesquels Eels va naviguer entre blues, folk, pop rock et musique de chambre. On retiendra le superbe double Blinking Lights And Other Revelations de 2005 et le très intime et nostalgique The Cautionary Tales Of Mark Oliver Everett de 2014.

Eels The Deconstruction Band1

C’est donc au mois d’avril 2018 que paraît The Deconstruction la toute nouvelle production de nos gars de Los Angeles. E, entouré de ses fidèles Koool G Murder à la basse et P-Boo à la guitare, nous propose quinze morceaux (dont trois interludes) d’une beauté renversante. Un parfait équilibre entre délicieux moments vaporeux « The Epiphany », chansons mid-tempo « Rusty Pipes », et rythmes plus enlevés « Bone Dry » . Sur certains morceaux les trois musiciens sont épaulés de façon discrète par le The Deconstruction Orchestra & Choir qui amène une touche symphonique voire cinématographique (« Sweet Scorched Earth », « Be Hurt »). Côté ambiance on se retrouve par moments dans les années 60 façon « Hit The Road Jack » sur « Bone Dry » ou façon « Clap Hands » sur « You Are The Shining Light ». Par ailleurs, Mr E n’oublie pas son diaconat sur le magnifique « In Our Cathedral » et son poignant gospel, une merveille.

Les trois petites pièces orchestrales sont l’occasion de montrer ce que l’on peut faire avec seulement quelques notes de guitare. Il faut écouter « The Quandary » et surtout « The Unanswerable » son prolongement pour se rendre compte à quel point Eels reste une formidable machine à mélodies capable d’éclairer son univers plutôt sombre. Sur ce douzième album, le propos oscille entre déconstruction et reconstruction, thèmes chers à E qui n’a toujours pas évacué ses tourments personnels (drogue, deuils, folie) et se sert de ses chansons comme exutoire. Sa grande force est de rendre la misère belle et la douleur positive. Une leçon de survie, même si on n’a pas forcément envie de se retrouver dans sa tête.

Eels The Deconstruction Band1

The Deconstruction est plaisant, bien construit et les quarante-deux minutes passent sans s’en rendre compte. Une fois de plus, l’ami Everett a gagné la partie même si cet album n’atteint pas les sommets de Blinking Lights And Other Revelations. Les vidéos sont, comme souvent, d’extraordinaires illustrations visuelles du monde foutraque de Mr E en passant allègrement de Tim Burton « Bone Dry » à une séquence plutôt cool « Today Is The Day ». Sur cette dernière, ne manquez surtout pas son apparition très explicite dans une limousine.

Eels a désormais une renommée largement suffisante pour ne plus avoir besoin d’un « joli monstre » pour capturer l’attention. Néanmoins, cet oxymore est l’exemple type de la façon dont Mark Oliver Everett construit son œuvre, tout en clair obscur.

Thierry Folcher

http://www.eelstheband.com/

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