Ed Wynne – Shimmer Into Nature
Kscope
2019
Thierry Folcher
Ed Wynne – Shimmer Into Nature
Connaissez-vous quelqu’un capable d’écouter intégralement (je dis bien écouter et pas seulement mettre en fond sonore) un disque des Ozric Tentacles ? Moi pas. Et pourtant, en dépit de cette constatation amère, je possède certains albums de leur pléthorique production (20 albums studio depuis 1985) et n’éprouve aucun regret ni aucune gène à plonger de temps en temps dans leur space-rock psychédélique décoiffant. Car c’est là tout le paradoxe de ce groupe qui, malgré la répétition des schémas « ad nauseam », a toujours su me captiver et me remplir d’une affection particulière pour leur univers. Alors peut-être cela vient-il de leurs pochettes, idéalement représentatives de ce style musical avec leurs couleurs chatoyantes et leurs décors surréalistes ? C’est certainement vrai, mais pas seulement. En fait, ce que j’apprécie le plus dans ce rock débridé, c’est cette capacité à nous faire décoller immédiatement des lourdeurs terrestres. Un peu à l’image de Gong ou Magma, les Ozric sont une belle bande d’allumés complètement investis dans leur trip. Pour preuve, le nom du groupe ferait référence à des céréales extra-terrestres. Seulement comme je le disais, j’ai du mal à écouter ces boucles répétitives trop longtemps et je finis par me lasser. Pour moi la meilleure recette, c’est petits bouts par petits bouts et c’est très bien comme ça. Une dose homéopathique certes, mais nécessaire. Bon, et Ed Wynne dans tout ça ? Et bien, Ed Wynne C’EST Ozric Tentacles. Il en est un membre fondateur, le concepteur, le compositeur et le principal acteur. Sur Shimmer Into Nature, son premier effort solo, il est quasiment seul à bord à peine aidé pour quelques effets, percussions et claviers.
Autant le dire tout de suite, Shimmer Into Nature aurait très bien pu faire partie de la discographie des Ozric. D’un point de vue musical, on est dans la continuité de Technicians Of The Sacred, le précédant et volumineux dernier album en date. Ce qui change, c’est que sur ce nouvel opus, Ed Wynne participe à un besoin louable et mérité de se mettre en lumière. Même la très belle pochette le représente guitare en main et amène pour une fois une présence humaine dans le visuel. Autre piste intéressante, c’est la signature avec le label ultra dynamique Kscope. Un label dédié principalement à la musique progressive et qui œuvre avec passion pour la promotion de ce genre musical. Nul doute qu’Ed Wynne ne pouvait trouver meilleure vitrine pour mettre en avant ses créations musicales. Pour son inspiration, il nous explique qu’elle est venue de ses voyages autour du monde et de sa fascination pour les paysages grandioses capables de nous transcender. Sa musique serait en quelque sorte un moyen d’évasion et de jubilation mentale face à cette nature chatoyante. Shimmer Into Nature est peut-être aussi le résultat d’une échappatoire, d’une fuite du cercle familial qui forme aujourd’hui l’épine dorsale des Ozric. Chose rare, l’album est assez ramassé et dépasse à peine les 40 minutes. Cette volonté d’être plus concis est aussi une nouveauté dans le monde psychédélique d’Ed Wynne et permet (pour ma part) d’écouter le disque en entier et sans grande lassitude.
Comme chez Ozric Tentacles, on va retrouver la recette habituelle faite de claviers cosmiques, de basses endiablées, de percussions tribales et de guitares incisives. Et bien évidemment, uniquement de la musique sans paroles pour rendre la formule universelle et compréhensible. De plus en plus, les compositions d’Ed Wynne me font penser au Tangerine Dream actuel, à moins que ce ne soit l’inverse. Lorsqu’Edgar Froese a imposé la guitare au sein du célèbre groupe teuton, il s’est considérablement rapproché des schémas psychédéliques et quelques fois un peu longuets des Ozric. Mais la plus grande ressemblance entre ces deux groupes majeurs c’est qu’ils ont la même volonté de fournir à l’auditeur une possibilité de décollage immédiat et si possible sans substances hallucinogènes. « Glass Staircase », le premier titre de Shimmer Of Nature va rapidement vous mettre en transe à l’aide de ses boucles de basses et de ses fulgurances de clavier parfois assez jolies. L’ensemble est coloré, puissant et très bien assemblé. La surprise va venir immédiatement après avec « Travel Dust » qui s’affiche ouvertement comme un reggae cosmique. Un reggae qui arrive à flirter avec du jazz rock tant et si bien qu’on entrevoit furtivement la guitare de Pat Metheny. Sur « Oddplonk » on va croiser par instant du Röyksopp et du Kraftwerk pour un titre bien entraînant et mélodieux. « Shim » est pour moi le morceau le moins intéressant, celui qui se rapproche beaucoup trop des Ozric Tentacles et sur lequel il ne se passe pas grand chose. Par contre « Wherble » qui clôt ce plaisant voyage nous apaise un peu plus avec ses claviers en forme de flûtes et son final en guise d’atterrissage.
Voilà, le Shimmer Of Nature d’Ed Wynne ne sera pas forcément désigné « album de l’année », mais je dois reconnaître que de simple curiosité mon attention s’est vite transformée en un plaisir d’écoute que je pourrais renouveler petits bouts par petits bouts comme me le conseille cette très bonne recette.
https://www.facebook.com/EdWynneOzric/