Demande A La Poussière – Kintsugi (+ Interview)
Autoproduction
2024
Lucas Biela
Demande A La Poussière – Kintsugi
Née de la rencontre de musiciens venant du hardcore et du black metal, la formation Demande A La Poussière n’en évolue pas moins dans un style moins agité. En effet, lourdeur et noirceur s’y mêlent sur fond de rythmes le plus souvent lents. Avec leur troisième album, Kintsugi, aux côtés des fidèles Edgard Chavelier à la guitare et Vincent Baglin à la batterie, et de Neil Leveugle, bassiste depuis leur second album, c’est un Simon « Gévaudan » Perrin fraîchement recruté que l’on retrouve au chant et à la guitare.
Sur le thème de la reconstruction de soi, des textes empreints de douleur et de désespoir prennent vie à travers des appels habités. Et c’est surtout la multiplicité des voix qui nous interpelle dans ces exhortations. Outre le talent d’acrobate que l’on note dans cette navigation entre rage affirmée, supplications terrifiantes, commandement lugubre, dégoût déliquescent, et même susurrements glaçants, c’est un dialogue qui s’instaure entre les âmes tourmentées et la tentation du vide, de l’abîme, de la pénombre. Dans ces échanges de voix, on se retrouve particulièrement ému dans un morceau comme « Le Sens Du Vent » quand un mince espoir qui ne tient qu’à un fil se retrouve balayé d’un revers de la main par des ténèbres assommantes. Et que dire du chant désinvolte de « Partie » se voyant vite perdre ses illusions jusqu’à sombrer dans un désespoir inconsolable. A travers toutes ces intonations, nos amis ont su très bien retracer le combat entre la lumière et l’obscurité, entre l’agrippement à l’espoir et la chute vers le désespoir.
Et pour agrémenter ce tour de force vocal, l’accompagnement musical s’est paré de couleurs le plus souvent sombres. Ainsi, les épais murs noirs de guitare nous enferment dans des climats oppressants, là où les rythmes lancinants de la batterie dessinent les contours d’une douleur tapie dans l’ombre, mais croissant insidieusement à la manière d’un cancer. Sur le morceau-titre ou encore sur « Ichinawa », des accélérations appuyées par les guitares affolées apporteront des grains de terreur à la machine distillant un breuvage sombre. On notera que, malgré un parti pris lent, le travail sur les rythmes reste néanmoins varié. On a certes vu les blast beats et accélérations pimenter les ambiances, mais dans les moments plus lents, notre attention n’en est pas moins retenue. Ainsi, avec « Vulnerant Omes, Ultima Necat » on sera saisi par les rebours de la batterie, comme une porte séparant la lumière de l’obscurité qui s’ouvrirait et se fermerait au gré des tensions. « Fragmenté » surprend également par un rythme quelque peu plus enjoué, notamment par l’apport des cymbales dansantes. Avec des guitares tendant le bras (le manche ?) à la lumière, et un passage acoustique où la guitare sèche ne se laisse pas déconcentrer, c’est le côté versatile de notre formation qui est mis en lumière. Oh bien sûr, l’atmosphère reste sombre, mais l’espoir guette. Sur « Brisé », on trouvera également quelques belles trouvailles rythmiques. En effet, entre deux ouvertures lumineuses, Vincent insistera sur certains éléments de son kit, comme pour mieux appuyer les notes de désespoir. On pourrait multiplier les exemples, mais on se contentera de retenir que le travail sur les rythmes, aussi bien du côté de la batterie que des guitares, est remarquable.
Kintsugi est une œuvre sombre qui se distingue par un éventail large de types de chant et une rythmique versatile. Après le départ de Christophe « Krys » Denhez, Simon « Gévaudan » Perrin a su relever le défi et a contribué à écrire une nouvelle page marquante dans la discographie de Demande A La Poussière.
https://www.facebook.com/DALPdoom
https://dalpband.bandcamp.com/album/kintsugi
Entretien avec Demande A La Poussière :
Lucas : Depuis le premier album, comment a évolué le line-up ?
Vincent : Beaucoup ! Le premier album, c’était plus une session de studio qu’un groupe. Le groupe s’est formé à la suite de l’enregistrement du premier album. Et donc sont restés Chris qui était à l’origine du projet, et moi-même. Jeff (Grimal) n’a pas continué. Edgard qui avait été à la production et l’enregistrement de l’album, a pris le poste de guitariste. Le bassiste n’est pas resté et ensuite Neil nous a rejoints en 2019. Le line-up est à peu près stable depuis 2019, et jusqu’à l’été 2022 où Simon nous a rejoints.
Lucas : En terme de style musical, comme vous venez d’horizons différents, qui a eu l’idée d’instaurer le style ou est-ce né d’une vision commune ?
Vincent : Le style est apparu lors du premier album. C’est beaucoup Jeff qui a apporté ses idées.
Lucas : Jeff…qui n’est plus là.
Vincent : Enfin, j’espère qu’il existe toujours.
Neil : Si si, il fait des belles peintures. Il fait des super trucs avec Kesys…
Lucas : Spectrale aussi
Neil : Oui, c’est un genre de mec prolifique. C’est lui qui a fait la pochette du premier album.
Vincent : C’est lui qui a apporté beaucoup de matière à l’origine. L’enregistrement du premier album, ça s’est passé sur une semaine. Ça a été une semaine de travail collectif, de création sur le moment. Jeff a apporté sa matière. C’est lui qui a crée l’univers de Demande A La Poussière. Mais malgré les changements de line-up l’univers musical est resté.
Lucas : En parlant du nom du groupe, l’impératif utilisé fait un peu écho à Regarde Les Hommes Tomber. Y a-t-il un lien ?
Neil : Non, aucun rapport, mais il y a souvent des confusions. C’est le titre du livre de John Fante, qui n’a aucun rapport avec Regarde Les Hommes Tomber.
Lucas : En fait, vous vous êtes dit que ça collait bien à l’univers ?
Neil : Je crois que personne ici n’a décidé de ça.
Vincent : Les décisionnaires ne sont plus là.
Lucas : C’est encore Jeff !
Tous : [Rires]
Neil : On va pas lui mettre tout ça sur le dos !
Simon : On est un peu comme Napalm Death, il n’y a plus personne du line-up original dans le groupe.
Vincent : Pendant l’écriture du premier album, il y avait ce roman de John Fante qui était là et qui a nourri les textes. Assez logiquement, le projet s’est appelé Demande A La Poussière
Lucas : Je reste sur le français car c’est la langue qui est utilisée dans votre musique. Et comme vous pratiquez un style qui a un retentissement international, je me demandais pourquoi le français ? Est-ce comme dans le black metal avec ses spécificités locales ?
Simon : On essaye de toucher un public surtout français, plus qu’international. La volonté de départ, j’ignore exactement ce qu’elle était.
Lucas : Ah oui, c’est encore Jeff
Tous : [Rires]
Lucas : On va appeler Jeff !
Vincent : Je pense que c’était plutôt Chris qui avait choisi le français. C’était assez naturel de vouloir faire le projet en français. Enfin, je crois que c’était dans le cahier des charges de départ.
Lucas : En parlant des textes, de manière globale le français y est très soutenu, sauf sur « Attrition » qui comporte bon nombre de termes familiers. Pourquoi ce changement soudain ?
Simon : Ah, ça c’est moi. L’usage de mots forts dans le français, surtout quand il est totalement inopiné, ça capte l’oreille de beaucoup de monde. Et c’était l’effet attendu avec ce genre de vocabulaire.
Lucas : Sur votre deuxième album, Quiétude Hostile, il y a un morceau avec du saxo, un saxo un peu meurtri qui donne une ambiance darkjazz. Est-ce que vous comptez vous ouvrir davantage à ce style par la suite ?
Neil : Le morceau auquel tu fais allusion, c’est « Expiravit ». Avec Dima de White Ward, groupe ukrainien. On avait fait un concert à Paris avec eux, et on devait partir en tournée avec eux en 2022. Malheureusement, l’actualité en a voulu autrement. Avant même qu’on sache que ça se dirigeait vers la guerre, on avait de bonnes relations avec eux, on était très contents d’avoir Dima en invité sur l’album. Et ce qu’il a fait sur l’album, c’est purement génial : c’est quelqu’un qui improvise très bien, et qui a un style très direct et très fluide. Moi, j’apprécie beaucoup. Donc, petite pensée pour lui au passage, car il est mobilisé avec les forces de l’Ukraine. White Ward font donc la tournée sans lui. Malheureusement, c’est la réalité qui se rappelle à nous de façon violente. Pour en revenir au saxo, c’était une idée de l’inviter sur un morceau qui s’y prêtait, et ça a super bien marché.
Lucas : Je confirme. Si à l’occasion, vous pouvez en faire d’autres comme ça..
Neil : Ben, j’aimerais bien.
Vincent : On pensera à toi.
Neil : Dans l’écriture du dernier album, on a été un peu moins expérimental, on a été un peu plus sur le texte, donc on s’est moins ouvert à ça. Ceci étant dit, on est tout a fait capable de partir dans des choses ambiantes et expérimentales. Là, on est sur un album plus centré sur le texte, sur les chansons, et qui part un peu moins dans l’ambiance.
Lucas : Par rapport aux textes, quels sont vos thèmes de prédilection ?
Neil : Sur Kintsugi, on est sur la blessure émotionnelle, la dépression, les épreuves de la vie et la reconstruction de soi.
Lucas : Pensez-vous que votre style lent et lourd est le style qui correspond le mieux à ces thèmes-là ?
Neil : On s’est trouvé à soutenir des textes avec cette musique-là. Sur Kintsugi cependant, le processus a été un peu différent. On a traversé des moments compliqués, Simon et moi, chacun pour des raisons différentes. Au moment d’écrire l’album, on n’a pas pu être là. On était dans le train à s’occuper de nos soucis, de nos problèmes de deuil. On a écrit, écrit, écrit, et finalement on a apporté des textes sans musique, des textes purement autonomes. La musique a été créée par Edgard de façon indépendante. Il a accumulé des riffs, il faisait des choses, il créait des ambiances. Puis on a fait un travail de tri, de sélection, d’appairage et on a essayé de trouver le meilleur moyen de soutenir justement les textes. Donc, c’est la grosse différence de cet album : on n’est pas parti de musiques sur lesquelles on a fini par créer les paroles, mais on est parti de textes, de thèmes déjà épurés (car on avait de la matière, on a rassemblé quelque chose qui était cohérent) et on a pris la musique qui se prêtait le mieux au soutien du propos. On est assez content de la cohérence du travail. Pour répondre à la question, je ne sais pas si c’est la meilleure musique pour soutenir ça, mais c’est ce qui pouvait le mieux illustrer ces textes.
Lucas : J’ai épuisé mon lot de questions ! Est-ce que vous voulez rajouter quoi que ce soit ?
Neil : Déjà !
Vincent : On a essayé de faire court ! [c’était une demande de l’interviewer de faire des réponses courtes]. Tiens, on n’a pas dit qu’on allait en tournée ?
Neil : Mais non, on n’a pas dit qu’on allait en tournée ! On part en tournée avec Vesperine. Est-ce que tu connais Vesperine ?
Lucas : Non… C’est pas le titre d’un album de Björk ?
Neil : Vesperine, pas Vespertine ! Groupe de post-metal, post-rock, post-quelque chose. Très centré sur le texte. On part en tournée avec eux, le 4 mai, le lendemain de la sortie de l’album. On va se faire une semaine de petit tour de France, dont le 7 mai à Paris
Lucas : Et donc il seront en première partie ?
Neil, Vincent : pas tout à fait en première partie, en milieu, en plat de résistance. On fait un plateau, on tourne à deux mais sur cette date, il y a aussi le projet black metal atmosphérique Limb.
Vincent : on peut remercier aussi Studio Matière Noire qui a fait les clips de « Kintsugi » et « La Parabole Des Aveugles », et Vade Retro qui a fait l’illustration de la pochette de l’album et du merch.
Propos recueillis par Lucas Biela le 18 avril 2024 au Hard Rock Café du bd Montmartre à Paris