Deafening Opera – Blueprint
Deafening Opera
Autoproduction
Formé en 2005 à Munich par le chanteur Adrian Daleore, les guitaristes Moritz Kunkel et Thomas Moser, le bassiste Christian Eckstein, le batteur Konrad Gonschorek et le claviériste Tilman Espert (remplacé en 2009 par Gérald Marie), Deafening Opera déboule aujourd’hui bille en tête avec l’excellent « Blueprint ». Troisième étape de sa discographie après « Synesteria » (2009) et l’EP « 25.000 Miles » (2011), « Blueprint » évolue dans un rock progressif alambiqué et haut en couleurs, souvent musclé (ah, les bons gros riffs de « 25 000 Miles » !), parfois décalé, et au final peu avare en fines incartades dans la grande tradition symphonique du genre. Au rayon des influences, toutes parfaitement digérées, on peut citer pêle-mêle les premiers Led Zeppelin, le Faith No More de « Angel Dust », le Korn de « Life Is Peachy », le meilleur de Porcupine Tree (et de son alter-égo polonais Riverside), l’esprit « foutoir maitrisé » des premiers opus d’Echolyn, mais aussi (et c’est trop bon !) la folie contagieuse du grand Frank Zappa. Ecoutez donc pour vous en convaincre les outrancières parties vocales du labyrinthique et jubilatoire « Dripping Hot Chocolate » ! Il s’agit là très certainement d’une des toutes meilleures compositions de l’album, en tout cas celle qui fait mouche immédiatement et qu’on se repasse en boucle avec bonheur.
Pour revenir aux groupes référentiels énumérés un peu plus haut, il faut savoir que cet inventaire à la Prévert ne donne qu’une bien pâle idée de cet opus spectaculaire et finalement très original, ce qui est assez rare aujourd’hui dans la famille musicale « progressive » pour être souligné. Doté d’une audace et d’un talent assez ahurissants, le groupe nous offre sur cette rondelle faisant le printemps, neuf compositions qui boudent de A à Z la traditionnelle structure couplet-refrain, réussissant le pari osé de créer et recréer la surprise à chaque instant. Les premières écoutes du CD risquent d’ailleurs de désarçonner certains auditeurs, tant cette musique est imprévisible et exige une concentration maximale si on veut en goûter toutes les saveurs et subtilités.
Jugez-en plutôt par vous-mêmes : jonglant avec les rythmes et les atmosphères, la formation nous fait passer, en l’espace de seulement quelques secondes, de la crise d’angoisse frénétique (« Blueprint ») à la mélancolie méditative (« Jericho I Am »). Les mélodies sortent d’on ne sait où, survolées par le chant maitrisé, nuancé et protéiforme d’Adrian Daleore, aussi à l’aise sur le puissant « No Man’s Shadow » que sur l’intimiste « Paralelno », interprété dans un français parfait, avec juste ce petit accent aux sonorités bataves pas du tout déplaisant. Pour le reste, le groupe s’exprime dans la langue de Shakespeare, histoire de mieux passer les frontières.
Ajoutez à ce cocktail d’enfer une basse grondante à souhait, des guitares volubiles aux accords magiques, des parties de claviers (orgue Hammond mis à part) résolument ancrées dans l’air du temps, une batterie sèche et nerveuse, le tout bonifié par une production à la hauteur de l’ouvrage. Vous comprendrez alors que l’on tient-là un disque superbe de modernité, d’ampleur et d’ambition, qui se paye au passage un joli pied de nez aux clichés en tous genres. Un bon conseil pour la route : ne passez pas à côté de Deafening Opera, car il y a fort à parier que le futur du rock prog s’écrira dans son sillage !
Philippe Vallin & Bertrand Pourcheron (8/10)