Compagnie 1,618 – Ti Quan

Ti Quan
Compagnie 1,618
2015
Parnassie

Ti-Quan-Compagnie-1618

La compagnie 1,618 (le début du nombre d’or, pour qui ne l’aurait pas reconnu !) est une formation dirigée par Philippe Festou et Géraldine Paoli, mettant en scène des spectacles centrés sur l’expression musicale, mais usant de toutes les possibilités et des moyens requis par le spectacle vivant et la scène. Ti Quan (un titre en deux langues juxtaposées, qui signifie « 10 sources ») est joué par une formation à effectif réduit (6 à 7 au maximum, selon les morceaux et instruments utilisés) et qui doit restituer cette œuvre sur scène en juin 2015 pour sa création, avec une mise en espace inhabituelle, à savoir un jeu en deux endroits différents. Un procédé déjà utilisé dans la Renaissance et le baroque italien, mais d’une tout autre façon, bien entendu, souvent à l’intérieur d’une église, dans le cadre de musiques sacrées à plusieurs chœurs et ensembles instrumentaux, ce qui n’est pas tout à fait le cas, pour Ti Quan ! De fait, on est donc ici dans le registre intimiste de la musique de chambre, et l’œuvre enregistrée ne peut sans doute pas restituer tous les effets prévus sur scène (notamment ses dimensions visuelle et multimédia).

Le CD en fournit donc la version studio, un avant-goût compacté en une dimension (sonore) du spectacle total (disons même « multi-sensoriel ») annoncé lors des performances live de la même œuvre, et qui mettra en œuvre une véritable immersion du public dont tous les sens seront sollicités (y compris la perception de l’espace sonore, et jusqu’à l’odorat, via une infusion sur-mesure du même nom). Ti Quan « élabore une partition d’états humains de 10 archétypes et caractères universels » selon ses concepteurs. L’œuvre se présente comme une série de 10 tableaux sur lesquels interviennent deux voix solistes, une sorte de mi-opéra ou plutôt, de cantate contemporaine (la présence d’une voix de soprano autorisant cette analogie ?). Les voix y sont donc peu nombreuses, mais dédoublées et multipliées en tant que de besoin, usant pour cela d’un procédé original (bien que déjà connu en poésie et plus encore en musique contemporaine), de paroles mêlant plusieurs langues (il y en a 14, ici !).

Le texte polyglotte assemble mots, phonèmes et extraits de phrases pour la beauté et la variété des timbres, et non pas pour la seule « cohérence linguistique » du message. Un procédé nullement gênant, lorsqu’il s’agit de musique, c’est-à-dire de sons. Chant soprano et texte déclamé entrelacés (par deux voix différentes) fusionnent assez bien, et s’avèrent même intéressants en tant qu’effet musical, allant de la voix chuchotée à l’appel, à la scansion tendue, au rire (Alegria) et presque au cri, changeant sans cesse de langue, y compris au sein d’une succession de mots d’une même strophe. Des passages assez rythmés (aidés en cela par les percussions) soutiennent le discours, dont le sens sera bien entendu plus ardu à suivre dans son intégralité pour l’auditeur, dès lors que les paroles servent avant tout le son, le rythme et la musique.

Langage et style musical par lui-même sont proches des courants actuels de la musique dite contemporaine, variés et animés, pas toujours mélodiques, lorsque la voix soliste chantée ou parlée nous interpelle sur tous les modes, rejoignant la théâtralité de l’opéra et du récitatif. Et l’usage d’un large éventail de percussions (pas si courant en musique de chambre, tout bien réfléchi) rend cette œuvre vivante et presque « ethnique » à certains moments (disons méditerranéenne et orientale, grâce à une variété de percussions, de rythmes et d’effets, parvenant à l’écarter du seul registre de la musique « classique » et à la rendre accessible et assez séduisante pour le non-initié. Pour la raison évoquée plus haut, les paroles peuvent rester plus hermétiques, mais ça n’est donc pas gênant, dès lors que l’on entend ou perçoit avant tout celles-ci comme des sons, et la voix comme un instrument intégré à la musique, avec ses propres timbres et effets, s’ajoutant à ceux d’une flûte et d’une clarinette agiles et virtuoses.

La variété (des climats…) est le maître-mot ici. Et, malgré une certaine rudesse ou vivacité assez surprenante, de temps à autre (mais cette liberté de ne rien s’interdire est l’une des prérogatives des musiques contemporaines), cela peut s’entendre et se vivre comme la bande-son d’un spectacle. Spectacle dont il faudrait bien sûr pouvoir accéder à la dimension visuelle… mais qui peut (ou presque… ?) se suffire à lui-même sous sa forme « audio only », à condition d’accepter d’entrer dans sa dramaturgie comme dans une histoire racontée. La passion, l’engagement absolu et le sens du théâtre et du rythme qu’y mettent ses interprètes (sur le plan vocal notamment) parviennent sans trop de mal à soutenir l’attention, même si cette œuvre, du moins sur disque, sera sans doute réservée avant tout à un public « averti », à savoir ouvert et déjà familier des dissonances, variations de tempo, du langage atonal (voire parlé) et autres artefacts de ce type de musiques, moins mélodiques que vivantes et stimulantes, comme l’est aussi le jazz, tout compte fait.

Quoi qu’il en soit, et avec ces limites que l’on est invités à franchir (ne serait-ce que pour sortir de la « zone de confort » des musiques trop prévisibles et du déjà vu), la Compagnie 1,618 fait feu de tout bois avec Ti Quan pour nous offrir cette carte de visite en forme de CD audio, prélude à un spectacle multimédia et bien vivant.

Jean-Michel Calvez (8/10)

http://www.compagnie1-618.org/wp/compagnie-1-618/

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