Circuit Des Yeux – Halo On The Inside + Live report Circuit Des Yeux + Bibi Club, au Point Éphémère, Paris

Halo On The Inside
Circuit Des Yeux
Matador Records
2025
Lucas Biela

Circuit Des Yeux – Halo On The Inside + Live report Circuit Des Yeux + Bibi Club, au Point Éphémère, Paris

Circuit des Yeux – Halo On The Inside

Circuit Des Yeux, c’est le nom de scène de la Chicagoane Haley Fohr. Avec sa voix grave, elle crée un univers intrigant où se croisent l’angoisse et l’espoir, l’abattement et l’énergie, la lumière et les ténèbres. Vous l’aurez compris, la musique de notre Américaine est terre de contrastes. Son septième album déjà, Halo On The Inside est très porté sur les sons électro et art-pop, que des parois escarpées de guitares et des brumes épaisses de synthés viennent néanmoins bousculer.

Ainsi, la voix gorgée d’émotion de Haley peut nous accompagner dans des univers appelant à la danse. C’est le cas de « Truth » où les dodelinements de la basse et les heurts des percussions accentuent la transe à laquelle invitent les accents hypnotiques de la voix vaporeuse et de la guitare cyclique. Baignant dans une synthwave marécageuse, « Megaloner » pourrait également inciter au déhanchement. Ce titre est emblématique des sentiments qui déchirent la belle. Alors que des scintillements chamarrés et un chœur enjoué jouent la carte de la féerie, c’est à l’inverse, à travers une contrée désolée, que les riffs sinistres et le chant lugubre nous conduisent. On retrouve cette rencontre improbable entre sentiment de désespoir et appels à la fête dans l’envoûtant « Canopy Of Eden ». La basse troublée et ces vocalises sibyllines si bouleversantes apportent une touche de mystère au rythme entraînant d’une électropop kraftwerkienne. « Cathexis » présente à nouveau une structure sur laquelle on pourrait danser, mais la sérénité qui s’en dégage et le jeu berçant de la guitare orienteraient les mouvements plutôt vers un slow. Anges et démons semblent s’être réconciliés. Désillusion et espoir marchent main dans la main. En effet, les synthés et les cordes se tournent vers la lumière, la batterie avance avec assurance, la guitare jubile et les chants presque liturgiques convergent vers un idéal de paix.

Circuit des Yeux – Halo On The Inside band1

Ailleurs, ce sont les ténèbres qui règnent, même si la lumière parvient par moments à se frayer un chemin. Ainsi, « Organ Bed » surprend par les artifices lumineux déployés dans un contexte sombre où une guitare ébranlée accompagne un chant poignant. Autour de quelques bouillonnements rythmiques et de synthés étincelants, un saxophone déchirant rappelle néanmoins quelle est la couleur du morceau. Avec « Skeleton Key », tout sent la désolation. Les mots sont égrenés lentement, le piano courbe l’échine, la six-cordes est effarée, et les percussions ouvrent un cortège funèbre suivi par des riffs crépusculaires. Les guitares dronées de « Anthem Of Me » nous plongent encore davantage dans le chagrin. Le corbillard est toujours là, mais le tonnerre se met à gronder et la pluie est alors abondante. C’est dévastée que Hayley passe de son chant sépulcral à des falsettos d’un tragique saisissant. Le cataclysme est complet et il ne reste plus qu’à rejoindre une autre galaxie. On y parvient à travers un « Cosmic Joke » très noir où le calme angoissant de l’univers est bien mis en évidence. De retour sur Terre, on parcourt des territoires sur lesquels souffle un vent glacial, mais où une lueur d’espoir semble cependant se profiler. La mélodie discrète, bien que remuante de « It Takes My Pain Away » offre en effet des perspectives radieuses.

Circuit des Yeux – Halo On The Inside band2

Avec Halo On The Inside, Circuit Des Yeux réussit un équilibre difficile entre lumière et ténèbres. Jouant de sa voix aux tonalités le plus souvent sombres, mais capables de se couvrir d’éclat, Haley propose un univers contrasté où le mystère permet d’accrocher l’oreille et de nous faire vibrer.

https://circuitdesyeux.com/

Live report Circuit Des Yeux + Bibi Club, au Point Éphémère, Paris, le 12 mai 2025

Circuit des Yeux Bibi Club Live Report
Avant Circuit Des Yeux, c’est Bibi Club, un duo post-punk canadien, qui a l’occasion de faire parler de lui sur la scène du Point Éphémère. La voix cassée au timbre suppliant est assez intrigante, mais trouve difficilement sa place dans les premiers temps entre les guitares tour à tour dissonantes et enivrantes et les boîtes à rythme insistantes. L’équilibre est mieux assuré quand les machines se font plus discrètes et la six-cordes entre en introspection. La confirmation vient avec la reprise de « Lhasa », où les beaux appels mélancoliques de la guitare et un environnement moins secoué siéent mieux au chant. Dans les implorations pleines de douleur du morceau de clôture, autour de discrètes percussions et d’une guitare veloutée, on pense même à Sinead O’Connor. En revanche, c’est toute l’énergie de Cyndi Lauper qui déborde quand le morceau sort de ses gonds. Tout au long du set, les guitares torturées sont du meilleur effet et apportent une touche angoissante à faire palpiter le cœur. Dans la musique de notre duo, on pourra noter que les éléments techno associés aux guitares acerbes s’associent avec bonheur au côté fleur bleu des mélodies. Avant que les yeux de Haley Fohr ne pétrifient la salle, ce sont ceux de Nicolas Basque et d’Adèle Trottier-Rivard qui l’ont hypnotisée.

Circuit des Yeux Bibi Club Live Report band1

Et en effet, en brouillant les pistes à la manière de Chelsea Wolfe ou de Myrkur, la musique de Circuit Des yeux a de quoi donner le vertige. Avec sa voix grave proche de celle de Shannon Funchess de Light Asylum, Haley Fohr fait cohabiter sur scène aussi bien art-pop que… doom metal ! Eh oui, on n’avait pas vu venir ce dernier, mais le côté lancinant et poisseux de ce style restitue bien les visions sombres de notre Chicagoane. Ainsi, dès l’ouverture, après un air folk agonisant sur lequel la voix sépulcrale prend aux tripes, c’est bien une marche doom que la jeune femme et ses acolytes effectuent. On retrouvera à la fin du concert cette ambivalence folk/doom. Ainsi, autour de couleurs pastorales, comment ne pas être touché par ces belles envolées à pleurer à la Mary Falk d’October Project, avant que l’ensemble ne tourne à l’orage. Dans une autre procession doom, le chant éploré de Haley se marie à nouveau à merveille avec les riffs lourds. La guitare y résonne tel le tonnerre et le chant lyrique inattendu vient renforcer la douleur. Ailleurs, quand un psychédélisme spastique rend le rythme plus erratique, les guitares semblent plus troublées. Le désarroi d’une Diamanda Galás saisit alors Haley, et à travers ces angoisses baignant dans des eaux dronées, c’est la collaboration du regretté Scott Walker avec Sunn O))) qui préoccupe nos pensées. On peut même aller jusqu’à s’imaginer une petite fille chantant une comptine dans une forêt sombre, tellement l’opposition entre candeur et intentions maléfiques saute aux oreilles. Quand l’accompagnement se fait discret, notre âme se trouve toute remuée par le chant émouvant de la belle Américaine. Sur une musique planante, la voix secrète presque murmurée porte en effet en elle des germes d’angoisse qui touchent notre sensibilité. De même, accompagné de drones, le chant sibyllin nous frappe en plein cœur. Mais comme notre Chicagoane aime les contrastes, on ne s’étonnera pas de voir les ambiances se parer de couleurs vives. Ainsi, sur « Megaloner », le rythme avance fièrement et les synthés brillent de mille feux. Le registre vocal y est alors plus théâtral, même si la douleur est toujours présente. « Canopy Of Eden », également titré du dernier album en date, va même plus loin dans l’enjouement. Claviers bouillonnants et basse entêtante se sont donnés rendez-vous sur une piste de danse. Le lien avec les ténèbres est cependant maintenu par ces échos qui glacent le sang à la manière des banshees de la mythologie celtique.

Circuit des Yeux Bibi Club Live Report band2

Sur la pièce où se mêlent rythmes tribaux et guitare hypnotisante, « Truth », aux accents quelque peu 80’s, la basse apparaît sinistre mais funky, tandis que les falsettos de Haley mettent en évidence le côté allègre de la jeune femme, la rapprochant alors de cette autre artiste singulière, Happy Rhodes. La référence aux années 80 ne s’arrête pas là, car peu de temps après, un air funky sur des drones contemplatifs nous rappellerait ces formations post-funk où une trompette angoissée côtoyait des rythmes dansants. Ainsi, avec son univers dichotomique et sa voix captivante, Circuit Des Yeux a envoûté le public ce 12 mai 2025.

Crédits photo chronique : Dana Trippe
Live report : Vivien Gaumand, Willem Melssen

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