Live report Sunn O))) + Jesse Sykes, à l’Elysée Montmartre, Paris, le 6 avril 2024
2024
Lucas Biela
Live report Sunn O))) + Jesse Sykes, à l’Elysée Montmartre, Paris, le 6 avril 2024
Le Soleil, Mars, la Terre… Nous voilà partis pour un exposé d’astronomie ? Que nenni ! Je vais vous conter ici la prestation scénique des Américains de Sunn O))). Eh oui, ce nom curieux se lit Sun. Mars, c’est le nom qu’ils avaient initialement pris. Et Earth, ce sont les pères du drone metal, le style qu’ils pratiquent, et dont un des membres fera partie du trio qui les précède. Car oui, avant de nous plonger dans la musique dronée de nos héliophiles, c’est le trio de Jesse Sykes, Phil Wandscher et Bill Herzog qui nous attend. Un petit tour des présentations. Jesse Sykes est à la voix et à la guitare acoustique, Bill Herzog (le fameux membre d’Earth) à la basse et aux chœurs, et Phil Wandscher (anciennement avec le groupe alternative country Whiskeytown) à la guitare et aux chœurs. Retenez bien « alternative country » car c’est important pour la suite. Ce sera une musique intimiste qui parviendra à nos oreilles. Nul besoin donc des fameux bouchons présentés à l’entrée pour leur prestation. Sur des ballades folk/americana s’étirant dans le temps, c’est une voix mélangeant douleur (personnifiée par les rictus sur le visage), et affection, qui nous saisit. Cette affection se retrouvera dans le « I love you » que la chanteuse lancera au public, celui-ci lui renvoyant alors un « We too ». La guitare apporte ces belles intonations alternative country (ah, vous voyez pourquoi c’était important de le mentionner plus haut), tandis que des gosiers des deux compères de la belle sortent de belles harmonies vocales. Le temps est suspendu, mais on notera tout de même que le sérieux sera rompu quand notre ex-Whiskeytown manifestera son étonnement vis-à-vis de la taille de sa bière (« it’s so tiny! » [c’est si petit !]).
Avant que le temps ne soit à nouveau suspendu avec notre duo solaire, nous patientons au son de roulements de batterie free jazz et d’angoisse à la Stravinsky. Pour les présentations des deux membres de la tête d’affiche, c’est simple : Stephen O’Malley à la guitare et Greg Anderson à la guitare. Les deux se connaissaient déjà avant l’aventure Sunn O))) puisqu’on a pu les entendre au sein de l’excellente (mais méconnue) formation doom/death Thorr’s Hammer. Ils seront accompagnés d’une dizaine d’amplis (rien que ça !), pour rendre leur son le plus épais possible. Avant leur entrée sur scène, on voit une sorte de ballet de nuages se mettre en place (décidément, Igor Stravinsky ne veut pas nous lâcher !). Cependant, ces fumigènes ne seront pas là pour disperser la foule (sic) mais pour appuyer l’épaisseur des ambiances. C’est encapuchonnés tels des moines que Stephen et Greg viendront faire vibrer le public (et le sol !). S’instaure alors un dialogue entre les deux guitares. Et on reste chez…roulement de tambour… Stravinsky ! avec cette chorégraphie où les bras montent lentement pour toucher du bout des doigts le ciel (ou plutôt le soleil ? – Mais je doute que nos deux docteurs ès drones s’inspirent du mythe d’Icare…). Non, on pourrait plutôt penser à un rituel païen, avec les guitares présentées en offrande au soleil (celles-ci aussi seront levées). Tout au long du concert, la scène sera le théâtre de fumées épaisses, de nuages se superposant dans les jeux de lumière, et de rayons de soleil. C’est qu’il faut recréer les interactions entre la Terre et le Soleil auxquelles nos deux amis tiennent tant. Mais loin de l’image de quiétude qu’on pourrait se faire, c’est à un grondement lourd et poisseux que nos oreilles sont livrées. Ces longues plages sombres et vrombissantes ponctuées de retours angoissants sont une marque de fabrique de notre duo. Sur un morceau comme « Brando », de leur collaboration avec le défunt baryton avant-gardiste Scott Walker (voir la vidéo à la fin du compte-rendu), c’est justement ce qui donnait du relief et de la tension. On pourrait comparer ces motifs à de la matière en fusion lente avec des épanchements de-ci de-là, ou à d’immenses cathédrales sombres qui finissent englouties dans des mers inhospitalières (oui, le clin d’œil à Claude Debussy est voulu).
Le duo présentera deux longues plages sonores, marquées par des sons terrifiants et qui se marieraient bien avec les images d’un film adapté de l’œuvre de Howard Phillips Lovecraft. Et ce serait d’autant plus vrai sur la deuxième piste, quand la brume s’assombrit et les rayons prennent une couleur noir anthracite. Un concert de Sunn O))), c’est ainsi une expérience visuelle mais également immersive. Qu’on soit debout ou allongé dans la salle, la musique du duo est en effet propice au recueillement. Allongé vous allez me dire ? Eh oui, certains spectateurs ont profité des sons dronés couchés. Ce n’est pas sans rappeler le concept des « sleep concerts » qu’affectionne tant l’ami Hery Randriambololona (alias Ujjaya). Par son côté contemplatif, la musique de nos deux guitaristes se rapproche en effet de l’ambient (et surtout de son volet sombre, le dark ambient).
Le 6 avril 2024 à l’Elysée Montmartre, le temps était suspendu : avec quiétude dans un premier temps, puis avec davantage d’inquiétude par la suite. Mais quelque soit la configuration, les astres étaient alignés et la communion avec le public était au rendez-vous.
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