Ash Ra Tempel – Starring Rosi

Starring Rosi
Ash Ra Tempel
Cosmic News / MG.ART
1973
Thierry Folcher

Ash Ra Tempel – Starring Rosi

Ash Ra Temple Starring Rosi

Le 4 décembre 2022, Manuel Göttsching s’est envolé pour rejoindre cette fameuse auberge des étoiles (Join Inn) où tous les allumés d’expérimental, d’électro, de psychédélisme et de krautrock aiment à se retrouver, sans restrictions ni tabous. Une auberge céleste où il fera bon se rendre quand le moment sera venu. Le fondateur d’Ash Ra Tempel fit partie de ces pionniers allemands qui au début des années 70 allaient complètement bouleverser un paysage musical jusque-là écrasé par la culture anglo-saxonne. Leurs longues improvisations électroniques vont créer des univers sonores inédits et d’une grande attractivité pour toute une jeunesse en attente de nouveauté et de rêve. Aux côtés de Tangerine Dream, Klaus Schulze, Kraftwerk, Can, Amon Düül et beaucoup d’autres, Ash Ra Tempel participera au phénomène, mais de façon plus modeste et avec une forme d’originalité qui l’éloignera par moments du modèle teuton pour s’essayer aux délires hippies de la côte ouest des États-Unis. Chez Manuel, c’est la guitare qui est à l’honneur comme l’atteste son premier album solo, le bien nommé Inventions For Electric Guitar (1975). Cela dit, que ce soit avec la six cordes ou avec les claviers, écouter sa musique c’est accepter de subir de longues séquences hypnotiques sans grande variation ni mélodie accrocheuse. La plupart du temps il n’y a que deux ou trois titres par disque pour des voyages qu’il faudra vivre avec concentration et motivation. Alors, pour illustrer cet hommage, si j’ai choisi Starring Rosi c’est parce que l’album me semble plus facile d’accès avec ses sept morceaux assez courts et l’apport non négligeable de la voix de Rosi Müller dans un registre psychédélique proche de Gilli Smyth, la grande prêtresse de Gong. Sans oublier, bien sûr, la participation en chair et en os d’Harald Grosskopf aux baguettes et de Dieter Dierks à la basse.

Attention, ces commentaires ne sont pas dus à une certaine frilosité de ma part car j’ai toujours craqué pour Ash Ra Tempel et son monde déjanté. Je me mets seulement à la place des néophytes, ceux qui découvrent la chose avec perplexité. La différence c’est le vécu, surtout le vécu d’une époque où la bande son de ces créations cosmiques s’est incrustée à vie dans mes cellules. Lorsque je remets Starring Rosi sur ma platine, des images fortes refont surface et une fièvre teintée de nostalgie m’emporte à chaque fois. Nous sommes en 1973, Ash Ra Tempel a déjà quatre albums à son actif avec un premier opus éponyme (1971) reconnu unanimement comme un classique du Space Rock. Un truc de dingue, en format trio avec Klaus Schulze à la batterie et Hartmut Enke à la basse. Ce coup d’éclat va marquer les esprits et donner à Ash Ra Tempel ses lettres de noblesse. C’est donc après l’excellent Join Inn, sorti lui aussi en 1973, qu’une nouvelle équipe se lance dans la réalisation de Starring Rosi considéré par beaucoup comme un tournant dans la carrière d’Ash Ra Tempel. Un changement de cap qui se prolongera par la suite sous le nom d’Ashra avec des schémas similaires et une musique un peu plus sage. Starring Rosi est donc le lien entre un passé ébouriffant et un futur plus conventionnel. Mais qu’en est-il réellement de ce disque à part, un peu oublié aujourd’hui. Cela démarre avec le rire dément de Rosi qui inaugure la partition en tant que « guest » omniprésente sur le visuel mais assez discrète dans la musique. Une juste mesure à la fois crédible et plutôt bien amenée par moments. Comme son nom l’indique, « Laughter Loving » se veut joyeux et aimant. Le « cosmic sound », généralement cérébral et froid, s’est mué en ballade pleine d’entrain sur laquelle la guitare de Manuel a revêtu une chemise à fleur plutôt seyante et colorée. Huit minutes de transe où la guitare et les synthés se laissent porter par une rythmique évocatrice des longues jams californiennes. Un régal pur et simple, bien loin des frimas de la Berlin School.

Ash Ra Temple Starring Rosi Band 1

L’enchaînement avec « Day-Dream » est d’une justesse remarquable. C’est là qu’on se rend compte que « Laughter Loving » n’était pas une fausse piste, bien au contraire. « Day-Dream » est dans la continuité avec une guitare acoustique et des échanges vocaux absolument magnifiques. Rosi Müller nous propose cette fois une version très convaincante de sa voix en parfaite harmonie avec celle en écho de Manuel. Superbe morceau venu des temps anciens mais toujours présents dans nos cœurs. Après ce début à forte charge émotionnelle, les courts « Schizo » et « Cosmic Tango » seront vécus avec moins d’intensité mais plutôt comme un bel enrobage, une sorte de décoration psychédélique à ce qui précède et à ce qui suit. Et la suite se nomme « Interplay Of Forces », un vaporeux envol vers les étoiles chanté, comme un signe, en allemand et en anglais par une Rosi repartie en lévitation. Ces presque neuf minutes mélangent habilement les deux influences majeures d’Ash Ra Tempel à savoir le « cosmic sound » éthéré et la folie des impros sans fin à la guitare. Peut-être un raccourci de « Amboss » et de « Traummaschine », les deux premiers titres de 1971. Et puis, c’est la surprise « The Fairy Danse », animée par une mélodie à tout faire craquer. A ce stade du disque on ne sait plus très bien où l’on est. Le choc est immense, Rosi à disparu, la Californie aussi et les fées dansent autour de nous comme si c’était normal. Et bien, je peux vous assurer que le lien n’est pas rompu pour autant, preuve que tout est possible dans l’univers musical de Manuel Göttsching. Tant et si bien que « Bring Me Up » reprend un solide tempo à la Santana pour terminer en beauté ce Starring Rosi qu’il faut absolument écouter si l’on ne veut pas louper, encore une fois, des disques et des groupes majeurs.

Ash Ra Temple Starring Rosi Band 2

Manuel Göttsching vient de nous quitter mais à l’instar des ses compatriotes Klaus Schulze et Edgar Froese, il laisse derrière lui une œuvre éternelle qui franchira les générations sans difficulté. L’engouement pour cette musique écrite pour certains il y a plus de cinquante ans ne faiblit pas et prouve à quel point elle est inspiratrice de la scène électro d’aujourd’hui. Le matériel et les méthodes ont changé mais le principe reste le même pour faire vibrer le corps et l’esprit. Que ces antiques précurseurs soient remerciés d’avoir su défraîchir un paysage jusqu’alors inconnu et de l’avoir rendu si hospitalier.

https://www.ashra.com/

 

Un commentaire

  • Charles ALUNNI

    Mille mercis pour ce juste et merveilleux rendu de nos sentiments anciens à l’écoute d’une telle perle…

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