Arny Margret – They Only Talk About The Weather
One Little Independent Records
2022
General Eclectic
Arny Margret – They Only Talk About The Weather
En règle générale, j’ai toujours une affection particulière pour les premiers albums des artistes. Il y a quelque chose de brut et d’authentique dans cette phase où l’énergie et l’espoir se mêlent. C’est là que l’on capte le plus de vérité, avant que l’industrie ou les attentes du public n’influencent leur son, leurs arrangements ou même leur voix. Ce sont des moments privilégiés propices à la sincérité. Le premier opus de Arny Margret, auteure-compositrice-interprète islandaise d’à peine 20 ans ne déroge pas à la règle. Sorti en 2022 ce premier LP intitulé They Only Talk About The Weather est une première déclaration au monde où la voix touchante d’Arny nous berce avec ses sonorités acoustiques et un charme tout nordique. Arny Margret (qui s’écrit en fait Árný Margrét) grandit à Ísafjörður, petite bourgade nichée au cœur des Westfjords au nord-ouest de l’Islande. Entourée de nature et de musique, dès l’âge de six ans, elle rejoint une école de musique où elle s’initie au piano. À 14 ans, c’est la guitare qui l’attire, et dans la solitude de sa chambre, elle passe des heures à en apprivoiser les accords. Dans une quête d’indépendance musicale, elle forge progressivement sa voix et son identité sonore. Un parcours qui se concrétise en 2019 avec la sortie de son premier EP My Last Serenade, marquant ainsi le début d’une aventure prometteuse. Il faut bien dire que malgré son isolement apparent, le pays de glace et de feu n’est pas le pire endroit pour cela. L’île s’est révélée au fil des décennies une véritable pépinière de talents, influençant l’ensemble de la scène musicale indépendante. On pense évidemment à Björk, Sigur Rós, Kaleo, Of Monsters and Men ou Emiliana Torrini mais les oreilles fines évoqueront également l’héritage de feu Jóhann Jóhannsson ou l’exubérante scène métal. Bref du beau monde parmi lequel Arny, discrète et talentueuse, compte bien ajouter son nom.
Le premier titre « Whatever It Means » sent bon les soirées hivernales au coin du feu avec une ballade acoustique épurée, guitare et voix étroitement mêlées pour offrir une sensation rassurante de confort. Paroles éthérées qui donnent le ton d’un opus où la nature et la solitude sont deux thèmes omniprésents et presque indissociables. Et quand Arny nous dit « Quand tu vis entouré d’arbres / La honte et le soleil / Et la chaude brise d’été/ Avec ton cher ancien moi, tu sauras ce que cela signifie », on ne sait plus trop si le sujet de la chanson est la personne aimée ou la nature autour d’elle. Avec « Cold Aired Breeze », on ne se réchauffe guère malgré une batterie discrète et des chœurs en fin de chanson qui enrichissent le rythme et l’harmonie. On a envie de s’enfoncer doucement sous la couette. « Le froid s’est accroché à ma fenêtre /De là vient la brise froide et aérée / J’ai mis mes chaussettes épaisses / Et mon pull double épaisseur » nous murmure Arny de sa voix envoûtante.
Les chansons s’enchainent avec des mélodies simples mais qui, grâce aux modulations de la voix de la jeune Islandaise, évitent la monotonie. Parmi les morceaux à retenir, « The World Is Between Us » se distingue. Véritable concentré de ce que l’album a de meilleur à offrir, le titre réunit tout ce qui fait la singularité du projet. Le duo guitare/voix, signature d’Arny, s’y déploie avec une fraiche simplicité, mais avec des subtilités, comme des passages vocaux doublés qui apportent une texture supplémentaire aux arpèges. On retrouve des intonations vocales qui rappellent ceux d’Emiliana Torrini ou parfois aussi de la norvégienne Anja Garbarek. La basse et une seconde guitare s’entrelacent, cette dernière prenant davantage d’ampleur lors du second refrain. Les fredonnements viennent adoucir l’ensemble et peu à peu, la chanson gagne en intensité, culminant dans un dernier chorus plus étoffé, avant de s’apaiser dans une conclusion évanescente. La vidéo, réussie, rend cette atmosphère palpable avec des images et des fondus enchaînés évocateurs. Elle tisse un lien poétique entre l’univers intérieur d’Arny et les rivages enneigés de l’Islande. Le titre éponyme, « They Only Talk About The Weather », qui n’arrive qu’en sixième position du disque, reflète la tendance humaine à éviter les conversations profondes, se contentant de banalités superficielles. « Ties » et « Untitled » deux belles ballades poursuivent cette introspection offrant des moments de réflexion poignants. Il y a une fragilité à fleur de chanson et une classe affolante chez la miss Margret. Quelque chose de rassurant aussi, qui fait d’elle l’amie qu’on a toujours rêvé d’avoir. « Abandoned » clôture l’album dans un souffle délicat, tissant un arpège aussi léger qu’une confidence murmurée. Ce folk épuré ne cherche pas à impressionner, mais s’insinue inexorablement. Et une sensation persiste, celle d’être les seuls à partager ce moment rare d’intimité. On ne s’étonnera pas d’apprendre qu’Arny cite Gregory Alan Isakov parmi ses influences majeures, allant jusqu’à confier : « Je pense que sa musique a été le point de départ de tout ».
Voilà donc un bel ensemble étoffé de dix chansons qui certes ne révolutionne pas le genre mais mêle agréablement une nostalgie chaleureuse et une austérité toute nordique. Portée par sa guitare acoustique, la jeune Islandaise s’aventure hors de sa zone de confort et de sa naturelle discrétion. Elle le dit elle-même : « Je suis une personne très timide et introvertie, donc au début je n’utilisais pas ma voix comme je le fais maintenant. Je l’utilise davantage aujourd’hui qu’à l’époque, mais c’est juste un processus, et j’essaie toujours de m’améliorer. Je pense que je serai toujours en train de trouver ma voix ». Grâce à cette évolution, Arny toujours intimement connectée à son environnement, nous plonge dans un univers musical sensible et poignant. Les incursions subtiles de basse, de batterie et de piano viennent rehausser l’émotion sincère de ses compositions, qui auraient sans doute gagnées en relief avec quelques éclairs de vivacité supplémentaires, sans pour autant nuire à l’homogénéité du disque. Son approche tout en demi-teinte, souvent mélancolique voire atmosphérique, confère une magie poétique à l’album, portée par sa voix subtile, au risque toutefois d’en ennuyer certains. On en vient presque à paraphraser Shakespeare : « Où va le blanc quand fond la neige ? » Peut-être disparaît-il, mais la musique, elle, demeure. Un peu grâce aussi à Arny Margret.