Animal Triste – Night Of The Loving Dead (+ interview)
M2L
2022
Fred Natuzzi
Animal Triste – Night Of The Loving Dead
Au loin la lumière. Éblouissante, étonnante, hypnotique. Ici, dans nos cavernes, la même rengaine. Sortira, sortira pas. Pourra-t-on ? Alors on attend. On attend quoi, on se le demande d’ailleurs. Cette lumière pourtant, elle est là, il n’y a qu’à tendre les bras, soulever nos corps, et aller vers elle, l’étreindre. Certains ont osé. Ils n’en sont jamais revenus. Et il y a les artisans de cette lumière. Ceux qui ont profité du « nomansland » temporel pour œuvrer avec la lumière. Pour que les ténèbres se dissipent autour de nous et que l’on puisse danser dans ce halo puissant, salvateur et précieux. Celle qui n’est pas prisonnière d’un carcan trop serré, celle qui évade, qui révèle, qui réveille. Cette lumière, c’est un certain rock, une « machine love » qui régénère avec des salves incandescentes. De celle qui illumine les flèches des rebelles de notre époque, à coup de guitares dissolvantes, de basses qui arrachent l’intérieur, de batterie sensorielle, de textures apocalyptiques et de voix chamanique. Animal Triste, c’est l’échappatoire, le remède, du moins l’un des médicaments rock de notre époque. Avec leur premier album, ils ont poussé ce cri qui a tout ébranlé et remis en place un certain nombre de choses dans la musique. Aujourd’hui, seulement quatorze mois après la sortie du premier opus, ils reviennent pour aller plus loin, bouger quelques meubles et réaménager l’ensemble, comme s’il y avait eu le big bang, puis la création d’un univers plus « ordonné ». Night Of The Loving Dead, c’est l’album qui met les choses au point. Il pose les choses dans la durée et construit sur les fondations du premier opus un univers propre au groupe.
Force est de constater que la cohésion des membres du combo normand n’a fait que renforcer la substance créative au sein de leur musique. Yannick Marais au chant, Cédric Kerbache à la basse, Darko aux claviers et guitares, Fabien Senay aux guitares, Sébastien Miel aux guitares et Mathieu Pigné à la batterie et aux percussions n’ont pour mission que de relever le niveau du rock et de montrer à la face du monde que les idoles du passé sont toujours à vénérer (en musique comme en cinéma comme en atteste le titre de l’album), tout en continuant leur propre route. D’ailleurs Peter Hayes du groupe culte Black Rebel Motorcycle Club ne s’y est pas trompé en acceptant de jouer sur deux morceaux du disque. C’est dire si Animal Triste a gagné une crédibilité internationale qui fait chaud au cœur de son nombreux public qu’il s’est déjà forgé. A la première écoute de Night Of The Loving Dead, on sent que le groupe a voulu prendre plus de temps pour peaufiner et arranger ses compos. La direction devient plus diversifiée, mais on retrouve toujours cette envie de tout péter, cette passion qui sublime les œuvres.
« Machine Love » qui ouvre l’album est en droite lignée de l’effort précédent. Son intro menaçante où tout le monde rentre progressivement est hallucinante. Le groove s’empare de nous, on s’abandonne. Le travail sur le son est proprement jubilatoire. Yannick retrouve les échos d’un Morrison tandis que la musique transmet une énergie rock à réveiller un mort. « Tell Me How Bad I Am », premier titre avec Peter Hayes, impressionne par ses arrangements sophistiqués, avec de superbes parties de guitare qui se superposent. On est transportés immédiatement dans ce flm de vampires, tellement le vénéneux transparaît dans ce souffle épique. La construction de « The Gift Of Love And Fear » est aussi impressionnante et nos corps ne peuvent que s’abandonner encore et devenir des pantins tenus par les fils des guitares. Le piano apaisant de « Animal Years » nous remet sur terre et Yannick adopte une voix chaude et rassurante. La beauté de l’ensemble est fatale et on craque pour ces instants de révélation où le groupe justifie lui-même de sa propre existence car « Animal Years » ne témoigne de rien d’autre que de la joie du simple fait d’être ensemble, de créer et d’exister. « Mary Full Of Grace » rallume le brasier avec un sacré groove de basse et le son de guitare qui devient un peu la patte du groupe. Batterie brûlante brillante intense, on danse sur des braises du feu de Dieu.
« E.V.I.L » ouvre son espace diabolique à grands coups de guitares et d’ambiances délétères, avec ce chœur de fantômes qui hantent un désert venteux et mortifère. Second morceau avec Peter Hayes, « With Every Bird » se joue en mode cow-boy solitaire avec un Yannick en pleine maîtrise de son art et une construction musicale exemplaire. « After Life » possède un groove envoûtant qui nous emporte tambour battant, avant le plat de résistance, cette baffe dans la gueule nommée « Playgod ». Une intro tendue, une voix charismatique, une progression musicale hallucinante, une texture magnifique qui prend aux tripes. Un voyage sidérant, pur chef-d’œuvre. Pour terminer, un contre-pied, « Diamond Dreams ». Guitare acoustique en avant, chant plus clair, une direction qui surprend, mais qui témoigne aussi de la volonté d’aller se promener ailleurs, de montrer que dans cet univers, Animal Triste reste quand même Animal Triste.
Le groupe rassemble donc ses forces et les exp(l)ose dans ces morceaux jubilatoires, parfois jouissifs, qui continuent de tracer un sillon rock incandescent. Night Of The Loving Dead, comme pour le premier album, c’est la pilule rouge de Matrix. Mais maquillée en noir. Celle qui vous fait voir la vérité. Celle qui vous fait bouger, rêver, ressentir, vivre. C’est un essentiel de votre vie musicale, si tant est que vous aimiez le rock. Et si vous aviez oublié ce que c’était, Animal Triste est là pour vous le rappeler.
http://www.ephelide.net/projet/938-ANIMAL-TRISTE
https://www.facebook.com/animaltriste
Crédits photos: Leonard Titus, Sandra Benyachou
Clair & Obscur a interrogé le batteur d’Animal Triste, l’inoxydable Mathieu Pigné, qui nous a confié quelques secrets de fabrication pour Night Of The Loving Dead.
Frédéric Natuzzi : Ce second album sort juste un peu plus d’un an après le premier. Pourquoi aussi vite ?
Mathieu Pigné : Tout simplement parce qu’on en avait très envie, le premier album avait tellement été enregistré à l’arrache -mais dans la joie- qu’on a eu envie de réitérer l’expérience. Et puis nous étions en pleine pandémie et on avait du temps, de l’énergie à revendre.
FN : Dans quel état d’esprit étiez-vous pendant son écriture ?
MP : Nous étions « resserrés », soudés comme jamais avec la certitude qu’on avait de quoi faire mieux que le premier. L’époque était morose quand même, cet album était un phare dans la nuit.
FN : Aviez-vous une direction particulière en tête pour cet album ?
MP : Juste celle d’aller plus loin, beaucoup plus loin et de tout nous autoriser sans tomber dans le piège du sur-arrangement.
FN : Comment avez-vous composé ces morceaux cette fois-ci ? Tous les six ensemble ?
MP : Oui tous ensemble, avant de rentrer en studio on s’envoyait des démos et chacun repassait dessus avec ses nouvelles idées. Nous avions une idée globale des chansons avant d’aller les enregistrer, plus que pour le premier. Mais on s’est quand même laissé une grosse part d’improvisation en studio.
FN : Le premier album était un cri, celui-ci semble vouloir établir les choses dans la durée. Est-ce là votre album qui définit votre « pacte » avec la musique ?
MP : C’est exactement ça, le premier album on a lancé des notes en l’air pour voir où elles allaient retomber. Là on a fait pareil mais on savait où viser.
FN : Penses-tu qu’avec Night Of The Loving Dead , vous vous éloignez un peu du rock qui rend hommage ? Comme si avec le premier opus vous aviez convoqué vos idoles du rock, témoigné votre admiration, et qu’avec cet album, vous leur disiez « au revoir mais on ne vous oublie pas » ? Le titre pourrait être en rapport avec ça !
MP : Le titre a plus un rapport justement avec la place du rock, ce rock qu’on nous annonce mort depuis longtemps qui mais rôde à la porte comme une armée de zombies et qui peut forcer la porte à tout moment. Des zombies magnifiques, des amants électriques. Et puis c’était un moyen pour nous de faire un hommage à tous ces réalisateurs qu’on adore – Romero, Carpenter – et qui sont un peu galvaudés aujourd’hui. On est très loin d’avoir dit adieu à nos idoles, on a juste pris un appartement à coté de leur maison hantée.
FN : Que représente Peter Hayes de Black Rebel Motorcycle Club pour Animal Triste ? En général, on trouve des duos avec un chanteur, rarement un guitariste !
MP : Le prince des ténèbres, Carpenter quand tu nous tiens… ça représente énormément pour nous, c’est un groupe qui nous lie tous et qu’on évoquait déjà sur le premier album en référence absolue. Savoir qu’il aime notre musique et qu’il a envie d’y apposer quelques notes c’était assez inimaginable.
FN : A-t-il été facile à approcher ? Comment s’est passée sa contribution sur les deux titres où il participe ? La guitare très Doors de « With Every Bird » , c’est lui ou l’un de vous ?
MP : Le plus difficile a été finalement de trouver son contact, mais dès qu’on l’a eu, tout a été extrêmement fluide. Il nous a très vite proposé ses idées, ses entremêlements de guitares, de claviers, ses sons shoegaze qu’on aime tant. D’ailleurs nous sommes toujours en contact, il nous a envoyé un sms très mignon avant notre premier concert. Je travaille avec lui en ce moment sur le mix du prochain City Of Exiles. Sur « With Every Bird » c’est un peu tout le monde, ses guitares se croisent à celles de Seb qui fait du slide dessus et Fab qui s’occupe de la rythmique.
FN : Mes deux préférés de l’album sont « Playgod » et « Machine Love ». J’adore la montée en puissance atmosphérique de « Playgod ». Comment avez-vous travaillé ces morceaux ?
MP : « Machine Love » est un titre de Darko qu’on avait déjà pas mal travaillé lui et moi jadis. Le remettre dans les pattes des gars et avoir leur vision du truc a été un vrai bonheur. Yannick s’est emparé du titre pour psalmodier dessus jusqu’à l’explosion finale et c’est vrai que j’en suis très heureux. « Playgod » est une chanson de Seb à la base qui était très aboutie déjà en démo. La voix de Yannick l’a complètement emmené ailleurs je trouve. C’est un peu un ovni sur l’album.
FN : Tu es le batteur de la formation, comment approches-tu la rythmique pour Animal Triste ? Travailles-tu en collab avec Cédric le bassiste au moment des compositions ? La batterie dans « Mary Full Of Grace » est particulièrement présente par exemple et celle de « Playgod » importante pour l’atmosphère.
MP : A part « Playgod » dont j’ai travaillé les breaks chez moi, je me suis laissé très libre de ce que je devais faire en studio. J’aime beaucoup faire ça, je connais la structure, je sais les intentions que je veux y mettre mais je me laisse une grosse marge d’improvisation pour garder ce côté « première fois ». Comme quand tu trouves un morceau en répète.
FN : Yannick chante dans « Machine Love » « You’re a beautiful conqueror ». Y a-t-il encore quelque chose à conquérir en matière de rock ?
MP : Je crois qu’il y a toujours quelque chose à conquérir en musique. Mais c’est quelque chose qui t’est propre. C’est nous même que nous avons voulu conquérir sur cet album. Et on a réussi parce qu’on l’aime très très fort.
FN : « Animal Years » semble être une justification à l’existence même d’Animal Triste. « All of the darkness strangely fades away, we saw the lights inside, we knew we had to stay » …
MP : C’est exactement ça. Tu as complètement raison. L’histoire ce cette chanson c’est l’histoire de ce groupe et de cet album. Tout ce qui est écrit c’est ce qu’il s’est passé.
FN : « Diamond Dreams » en clôture se démarque de l’ensemble. Pourquoi cette fin qui est à l’opposé de « Out Of Luck » qui fermait le premier opus ?
MP : Parce qu’on ne pouvait pas passer à côté de cette jolie chanson et qu’elle ne méritait pas de déluges électriques. Ce titre a été fait en live, tout le monde en même temps et c’était un si joli moment qu’il ne pouvait que conclure l’album
FN : La pochette, comme le titre, est fantastique. Qui en a eu l’idée ?
MP : Le titre c’est Yannick, on avait une short list de plein de noms qui nous plaisaient et puis un jour il a eu la lumière et on s’est tous tapé dans la main. La pochette – comme tout ce qu’on fait depuis le début – c’est Léonard Titus aka Jean Charles Durand. C’est un ami de très longue date dont on adore le travail. Il a lui-même construit le logo (les flèches d’Animal Triste) et il leur a foutu le feu dans son jardin. Ça aussi c’était un moment.
FN : Quelques mots sur votre tournée pour le premier album. Vous avez tous une grande expérience de la scène mais avez-vous été surpris par le public, le retour presse ou autre ? Et entre vous, arrivez-vous à vous surprendre ?
MP : Oui c’est marrant que tu dises ça car c’est exactement ce qui s’est passé. C’est-à-dire que jouer ensemble ça n’a jamais été un problème, on se connait depuis si longtemps qu’on a les mêmes réflexes et qu’on sait aller dans les mêmes intentions. Mais entre savoir et faire en live il y a quand même une nuance. Et là ça nous a un peu dépassé mais dans le bon sens. On ne s’attendait pas à ça, à cette expérience physique intense et à ce retour du public. C’est là que tu dis que tu ne te trompes pas. Beaucoup de gens nous ont dit que ça leur faisait du bien d’entendre de nouveau des guitares et qu’il y avait un coté ado libérateur et cathartique là-dedans. Comme quoi il n’y a pas qu’à nous que le rock avait manqué.
FN : Moi, ce qui m’a surpris, c’est le merchandising ! La casquette, c’est classique, mais la bière (excellente) ou le skateboard, là j’avoue que je ne m’y attendais pas ! Pourquoi tout ça ?
MP : Dans la même idée de comment ce groupe vit, on s’est dit que ça serait bien d’avancer local, on connait un brasseur à Evreux – brasserie SPORE- dont on aime le travail et l’éthique. Pareil pour les planches de skate. Drixé (notre merveilleux bassiste) est un skateur. Il connait bien le boss de magasins de skate. Ca tombait sous le sens, et puis c’est vrai que nos visuels se prêtent bien à ce type de collaboration.
FN : Y aura-t-il une autre tournée pour promouvoir Night Of The Loving Dead et quand ?
MP : On l’espère tellement. Pour l’instant ça sera des dates éparses car il y a un tel embouteillage à cause du covid…. Mais on va revenir oui. Vite et fort.
Propos recueillis par Fred Natuzzi (Janvier 2022)