Ange – Cunégonde

Cunégonde
Ange
ArtDisto
2025
Thierry Folcher

Ange – Cunégonde

Ange Cunégonde

Fin 1971, Christian Décamps et ses potes franc-comtois de Ange publiaient « Tout Feu, Tout Flamme ». Un premier 45 tours inaugurant un édifice en perpétuelle construction et dont l’achèvement nous est proposé cinquante-quatre ans (oui, plus d’un demi siècle !) plus tard avec Cunégonde, ultime dorure d’une Sagrada Familia musicale, à la fois majestueuse et unique. Car il faut bien l’accepter ! Sans la présence de la figure charismatique du père fondateur au pilotage et à la voix, plus rien ne sera comme avant. Alors oui, je le sais, depuis 1999 et la Voiture À Eau, l’équipe actuelle œuvre avec talent dans la continuité et le respect des traditions. Mais ce serait anormal de penser que l’absence d’un personnage de la carrure de Christian Décamps ne va pas laisser un vide abyssal dans le futur de Ange. Je sais aussi que Tristan, Hassan, Thierry, Benoit et Séraphin (recrue angélique par excellence) seront capables de nous imbiber avec de solides arguments et peut-être même avec quelques textes du père. Mais tout en restant indulgent et compréhensif, je ne peux m’empêcher de croire qu’une page est définitivement tournée. D’un point de vue discographique, nous en étions restés à Heureux !, le dernier effort studio de 2018. Depuis, le monde n’a pas tourné très rond et seule la musique s’est proposée (et se propose encore) de nous aider à passer le cap de beaucoup de dérives humaines. Alors, trêve de discours et concentrons-nous sur ce nouvel objet renfermant l’incomparable matière angélique. Cunégonde, cela sent le Christian Décamps à plein nez. On reconnaît bien ici l’artiste friand de patronymes exotiques et de pirouettes verbales dont il a le secret. Déjà, ce prénom n’est pas commun et peut servir habilement le poète rimeur de bien des façons. Et c’est tout à fait ce qui se passe sur « Cunégonde », l’ultime morceau-titre qui éteint les projecteurs et baisse le rideau sur une carrière à nulle autre pareille.

J’ai découvert Ange au beau milieu des années 70 avec l’incontournable Au-Delà Du Délire. Et depuis, c’est une histoire d’amour où la fidélité, les coups de mou et les vrais moments d’extase ont jalonné une union forcément fusionnelle. Alors, comment voulez-vous que l’impartialité soit de mise en écoutant cette dernière offrande qui vous agrippe avec autant d’émotion. Vous conviendrez que c’est presque normal, une chronique qui hésite entre hommage, résignation et volonté de privilégier la musique. Mais, tout compte fait, je crois que je vais rester sur ce dernier aspect, car les états d’âme finissent toujours par lasser. Cunégonde, c’est donc neuf titres pour un peu plus de cinquante minutes d’excellent rock progressif made in France. Un score très honnête pour en arriver à ce résultat, même si la gestation a été longue (presque 4 ans) et compliquée. Mes premières écoutes furent plutôt bonnes dans le sens où les retrouvailles sont le plus souvent exaltantes et porteuses de positivité. Heureux ! était un honnête album avec quelques moments épiques (« Nancy – Jupiter À La Nage » et « Jour De Chance Pour Un Poète En Mal De Rimes ») côtoyant des chansons plus légères. Pour Cunégonde, c’est un peu différent, même si certaines plages se détachent du lot de façon évidente. Cependant, en prenant le disque dans sa globalité, j’ai la nette impression que le changement est déjà en marche. L’ouverture, c’est Tristan qui se l’accapare avec « Un Diamant Dans Le Cœur », une solide composition qui met la barre très haut et même un peu trop haut pour un « Fruit & Légumes » mal embarqué. Sur ce second titre, on voit bien que Christian peine (bientôt 80 ans) à donner du volume à son interprétation. Seulement voilà, de l’impression popisante du début (j’ai même pensé à Jonasz par moments), on bascule sur la fin dans le monde délicieux d’Hassan Hajdi, maître guitariste capable de mettre du rock bien acide dans la tiédeur ambiante. L’affaire était sauvée.

Ange Cunégonde Band 1

Tout va bien donc, le son est parfait, les épisodes sont très divers et ce dernier volet n’aura pas à rougir face à ses illustres ainés. Il faut néanmoins souligner que l’équilibre entre le Père et le Fils penche plutôt en faveur du fiston qui s’approprie le micro avec autorité. Je le disais, le changement est déjà là et préfigure l’avenir avec peut-être moins d’inquiétude et de nostalgie. Mais revenons à l’album et à ce « Langage Des Fluides » sur lequel des claviers très chill-out installent une ambiance inédite plutôt accueillante. Tristan chante, Christian narre pendant que la prose assure et rassure. La magie est bien présente, la rythmique (Thierry Sidhoum et Benoit Cazzulini) toujours aussi efficace et la musique s’envole très haut. Ensuite, « Pace Nobilis » tout comme « Quitter La Meute » et « Cunégonde » nous sont proposés dans leur version studio avec précision et clarté. Et de ce fait, les mots de « Pace Nobilis » s’en trouvent sublimés, notamment par le timbre si particulier de Tristan. On redécouvre vraiment ces titres sortis du contexte live évènement du début d’année. Il en est de même avec le coup de poing de « Quitter La Meute » dont les alternances entre tensions et respirations sont parfaitement bien rendues. Le résultat est sans équivoque et nous amène dans un hard prog en fusion, difficilement comparable avec qui que ce soit aujourd’hui en France. Et puis, que dire de « Cunégonde », laissé en apothéose à Christian et à ses inégalables exubérances vocales. Le timbre est voilé, mais l’envie persiste et l’auditeur s’accroche sans peine à cette poésie où les images s’entremêlent avec bonheur. Comme souvent, le final est typique du style Ange et de ses folles envolées destructrices. Pour terminer, j’aimerais mettre en avant le très beau texte de « Un Passage De Rêve », mais aussi regretter les plus délicats « Prisonnier De l’Aube » et « Ennio ». Le premier pour le traitement un peu brouillon de la voix et le second pour un sentiment récréatif pas très utile. Bien sûr, c’est mon opinion et elle n’engage que moi. Cela dit, c’est vraiment du détail en comparaison avec la qualité générale du disque.

Ange Cunégonde Band 2

Cunégonde de Ange n’est pas une sortie ordinaire. Son inscription dans l’histoire du groupe et dans celle du rock français s’affiche comme un événement qui fera date. Il y a plus d’un demi-siècle, Christian Décamps et ses amis publiaient Caricatures (1972) sans se douter un seul instant qu’un parcours de folie et vingt-quatre autres albums allaient les mener au sommet du rock français, ni plus, ni moins. Une distinction difficile à assumer pour son futur (car il y en a un !) et celui de Tristan aux commandes. Lui-même reconnaît que la tâche ne sera pas aisée, surtout sur scène avec l’interprétation du répertoire ancien. Peu importe ! Il vaut mieux ça plutôt qu’un clap de fin définitif. La tournée Quitter La Meute commence début octobre et va sillonner toute la France pendant plusieurs mois avec, je le pense, un public fidèle pour les applaudir. Mais je suis convaincu que c’est l’après Cunégonde qui sera le véritable test grandeur nature. Ce nouvel Ange, sans son leader charismatique, mais armé de bonnes intentions et d’un indéniable savoir-faire, devrait pouvoir s’en sortir. Et puis, je ne serais pas étonné d’apprendre que le Père soit déjà en train d’écrire quelques belles pages pour le futur de… son Ange.

https://www.ange-updlm.com/

 

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