A.C.T – Heatwave
ACTWORLD
2021
Rudzik
A.C.T – Heatwave
À chaque fois, c’est un réel évènement pour moi : la sortie d’un nouvel album d’A.C.T, certainement mon groupe préféré parce qu’il ne m’a jamais déçu. Que ce soit un LP ou un simple EP, c’est à chaque fois, blindé de frissons que je pose, les doigts presque tremblants, la précieuse galette dans le chariot de mon lecteur CD avant de la déflorer en appuyant sur « play ». En passant, je confirme que le streaming ne remplacera jamais ce moment unique.
J’ai beau chercher attentivement, mais je suis vraiment sincère quand je dis que tout au long de cinq albums et désormais deux EP, ce groupe ne m’a jamais déçu ce qui est assez exceptionnel, car comme le dirait ironiquement mais gentiment mon ami Fabrice de l’asso Eclipse, « tu n’es qu’un râleur, t’as toujours quelque chose à redire ! » (il faut vraiment que vous écoutiez son émission U.G.U.M. de rock progressif qu’il diffuse tous les jeudis soirs sur O2radio, vous ferez des découvertes chaque semaine). Rappelons qu’A.C.T donne dans un rock progressif popy mais imprévisible, d’une allégresse et d’une technicité folles. D’ailleurs le groupe, prêt à prendre tous les risques, s’est volontairement émancipé du label prog par excellence, à savoir Inside Out, depuis le formidable Silence sorti en 2006, uniquement parce qu’il s’y sentait à l’étroit. Pour casse-gueule qu’ait pu paraître cette décision, avec au passage un hiatus de huit longues années avant la sortie du remarquable Circus Pandemonium, A.C.T, tel Assassin’s Creed, a parfaitement digéré ce saut de l’ange dans l’inconnu. Alors qu’un autre AC mais DC celui-là, faisait du n’importe quoi en la matière (cf la pige d’Axel Rose), il n’y a même pas eu le moindre changement de line-up.
Un brin d’anxiété me prend quand je découvre un nouvel album des cinq fantastiques Suédois. Serai-je déçu cette fois-ci ? L’imprévisible sera t’il devenu trop prévisible ou bien auront-ils pris un virage trop radical ? Rebirth, leur dernier bébé, m’avait permis de mettre le doigt sur leur judicieux et savant dosage du « déjà-vu » avec le nécessaire renouvellement musical qui n’engendre donc pas la monotonie. Etait-ce vraiment une renaissance ? Non, ni une révolution, mais une jolie variation de leurs thèmes musicaux de prédilection.
Et voici que s’annonce Heatwave. Passée une étrange intro sur fond d’abeille vrombissante et de tic tac d’horloge, les premières mesures de « Checked Out » donnent l’impression qu’A.C.T continue dans cette veine du « déjà vu » continuellement revisité qui lui va si bien. Le son et les harmonies du groupe sont immédiatement reconnaissables, mais elles sont remarquablement mixées dans une étonnante rythmique funky metal avec des skanks de guitare propres au reggae et l’on sait (enfin moi je le sais) qu’il y a toujours des passages reggae dans les albums d’A.C.T. Pour autant, il s’agit d’un assemblage osé et réussi pour un morceau qui traite d’un amour déçu. Bon, tous les groupes écrivent sur ce sujet à un moment ou à un autre, mais il se trouve que la façon dont Herman Saming semble mettre les points sur les « i » à coup de « No, that is you ! » interpelle. On ressent beaucoup de conviction, non pas qu’il en manquait précédemment, mais celle-ci semble renforcée par une certaine authenticité exprimée dans les sentiments. À la lecture des lyrics (écrits par trois des membres du groupe), effectivement, il apparaît que les cinq titres (je ne compte pas la courte intro) qui composent l’EP semblent faire état de choses très personnelles qui ont marqué les musiciens d’A.C.T, peut-être exacerbées par cette ambiance délétère qui étreint le monde depuis un an. D’ailleurs, le groupe confirme cette implication personnelle très accrue exceptée pour le titre éponyme qui est une fiction sur le réchauffement climatique.
Ceci est réellement important car il impulse un changement d’ambiance considérable sur cet EP très sombre. Certes Circus Pandemonium l’était plus ou moins aussi, mais il s’agissait, là aussi, de fiction sur le thème du cirque. Absolument tous les titres d’Heatwave sont plus ou moins imprégénés de cette authentique tristesse mélée de colère bien que les sujets traités soient différents. Le morceau qui m’a vraiment mené au paroxysme de l’émotion est « Brother ». Le chant d’Herman semble tellement sortir de son coeur et de ses tripes avec une sorte de colère sourde qui transpire sur le refrain que j’ai cherché à savoir d’où venait ce trop-plein d’émotion. Or, c’est bien Herman qui a écrit les lyrics de la chanson en hommage à son frère aîné trop tôt disparu… « Endless is the pain, never again will you be shining ». Là où d’autres se seraient contentés d’une ballade facile à la « Candle In The Wind » (qui, personnellement, ne m’a jamais véritablement ému), A.C.T nous sert ce « Brother » royal à la fausse rythmique enjouée de piano électrique. Les claviers illuminent également l’intermède instrumental au cœur de ce morceau qui est relancé opportunément par la basse de Peter Asp, prélude à un solo d’Ola Andersson de toute beauté. Quel fabuleux hommage musical ! Sur un ton plus léger, j’ai demandé à Herman Saming quel était son secret pour toujours ressembler à un gamin (cf ma chronique de Rebirth, voici sa réponse : « C’est sans doute parce que je me comporte toujours comme un gamin. Tu ne peux jamais être plus vieux que ce que tu es au fond de toi. L’âge, c’est juste un chiffre ! ». Un exemple à suivre !!!
Revenons à nos moutons, il n’y a pas à s’y tromper, il s’est passé quelque chose de fort dans la musique d’A.C.T et mes angoisses précitées se sont déjà envolées. « Dark Clouds » continue sur le chapitre émotionnel quoique sous une forme inhabituellement plus classique pour ce groupe qui ne l’est pas : à grand renfort de chœurs et d’instruments à cordes. Si la richesse du jeu de Thomas Lejon à la batterie est moins prégnante sur Heatwave, on remarquera la qualité du toucher des rebonds dont il fait preuve sur ce titre qui lui confère une rythmique très élégante. On croit voir revenir à grands pas la joie intrinsèque du groupe sur le démarrage d’« Heatwave » qui apparaît plus léger. Le début des couplets me rappelle un titre d’E.L.O. (« On The Run »), mais ce serait occulter ce magistral refrain à trois temps, sorte de valse pesante et entêtante entrecoupée d’un passage instrumental très technique fortement breaké comme seuls savent le faire les musiciens d’A.C.T. Les nombreux effets de claviers aux sonorités versatiles de Jerry Salhin sont d’une justesse admirable. « The Breakup », avec son intro à la TOTO, clôture cet EP qui passe à la vitesse de l’éclair bien que, dieu merci, il en reste plus de sept minutes à dévorer. Là encore, ça part sur un mode très enjoué, mais une longue « rupture » (logique quand on s’appelle « The Breakup ») plus calme, quoique jamais apaisante, donne encore l’occasion à Jerry Salhin de faire feu, ou plutôt claviers, de tout bois. Jusqu’au bout de ce titre et de cet EP, avec sa dramatisation à grand renfort de cordes, cette sensation de tristesse n’est qu’à moitié estompée par ces rythmiques endiablées dont le groupe a le secret. Deux mots sur l’instrumental d’outro. Il paraît lié à l’intro sauf que les vrombissements d’abeille ont disparu et qu’on y retrouve la rythmique de clavecin d’« Heatwave ». Celle-ci ainsi que le tic-tac d’horloge s’arrêtent brutalement. J’ai supposé que cette outro était une allégorie de fin du monde ou d’une vie qui peut s’arrêter brusquement. Ola Andersson, que j’ai contacté à ce sujet m’a répondu « Bien vu de ta part bien que nous ne révèlerons rien à ce sujet, il y a un big plan derrière ces EP, tu verras… ». J’espère que ça ne sera pas comme les Cylons de Battlestar Galactica qui, pendant toute la série, ont un plan que jamais on ne nous expose. Ola m’assure que non, Heatwave étant, à ses dires, un prélude à quelque chose d’énorme. J’en ai l’eau à la bouche.
Je peine alors à pondre une conclusion car je suis encore sous la surprise… d’avoir été surpris ! Jamais je n’ai écrit une chronique aussi longue pour un EP. Moi qui n’ai que très peu de groupes vraiment fétiches et sans reproches, me voici encore et toujours sous le charme d’A.C.T. Le comble, c’est que je ne les ai même jamais vus en concert. Il y a des lustres qu’ils ne sont pas venus dans nos contrées (je ne les connaissais pas à l’époque), alors peut-être me faudra-t-il un jour faire le voyage en Suède pour aller les voir. Une folie mais, comme on dit, quand on aime, on ne compte pas.
A Rudzik qui ne les a jamais vu en concert …
Effectivement, ils ne passent pas souvent chez nous …
Je les ai vus pour la première fois au Trabendo à Paris le 3 mars 2003 – je garde les tickets des concerts 😉
J’y étais allé pour revoir Saga dont la performance avait été un peu en deçà de son immense talent … Mais avec le temps, je pense que ce n’est pas Saga qui était en petite forme mais que j’avais pris une claque monumentale avec la 1ère partie : ACT … C’était l’époque où Herman avait un lot complet de chapeaux qu’il enfilait à chaque titre (on voit une mauvaise video sur youtube qui le montre en action). A la sortie du concert, on a plus parlé de ces suédois que des canadiens : pour ma part, un vrai coup de foudre.
Puis je les ai revus à Porchefontaine près de Versailles en juillet 2006 sous une chaleur de plomb puis à la scène Bastille en 2007 !
Et ensuite … plus rien pendant 7 ans, plus de passage en France, le long silence qui a suivi l’album du même nom … Je croyais que c’était fini, qu’ils abandonneraient car, il faut bien le reconnaître, comment expliquer la confidentialité de ce groupe énormissime !!! de quoi se désespérer, se dire que le talent ne paie pas et qu’il vaut mieux faire le kéké dans un clip sur 2 ou samples avec des filles en string …
Et alors que je les avais un peu oubliés, je vois sur une alerte fnac, qu’ils passent chez eux à Stockholm, le 16 mai 2014 au Bryggarsalen Restaurang … Ça tombe pile le jour de l’anniversaire de ma femme qui est aussi fan que moi …
Oui, j’ai fait la folie dont tu parles dans ta chronique, j’ai pris 2 billets d’avion pour aller les voir (ce concert est visible sur youtube avec une qualité de son très moyenne et coupé avant la fin, de manière inexplicable 🙁
On les a trouvé extraordinaires avec une maturité de briscards mais au fond des gamins éternels. J’ai eu la chance de discuter un peu avec Ola, le guitariste et échanger sur son talent à la 6 cordes. Il est fantastique mais pas de secrets, il m’a dit qu’il bossait comme un fou. Très ouvert malgré sa réserve de nordiste, il était sur le cul que 2 français viennent les voir jusqu’en Suède.
En dehors du concert, je ne regrette pas notre escapade en Suède et Stockholm est une ville pleine de charmes et de surprises.
Amitiés à tous les fans de ce groupe méconnu et fantastique, on se verra, je l’espère au prochain concert en France, s’ils nous font ce cadeau …
En voilà une belle tranche de vie comme j’aurais aimé la vivre. En tout cas, je peux sentir que nous sommes complètement en phase sur l’incroyable talent (et non, ils ne passeront pas dans cette émission) de ce groupe hors norme. J’ai moi-même beaucoup échangé avec Ola pour préparer cette chronique, un mec d’une gentillesse et d’une disponibilité épatante. Du coup, j’ai pu glisser quelques éléments plus personnels dans cette chronique (et d’ailleurs en garder aussi certains « trop personnels ») pour un EP qui l’est également. Je ne cire pas les pompes dans cette chronique, ça n’est pas mon genre. Il y a beaucoup de sincérité dans ce que je pense de ce groupe qui ne m’a jamais déçu. J’espère qu’effectivement, nous pourrons un jour assister à un de leur show ensemble… entre fans conquis quoi 😉
Un grand merci pour nous avoir partagé ta passion et toute cette aventure suédoise.
Amusicalement
Rudzik
Nïco, j’étais également au Trabendo et à Porchefontaine. On a donc dû se croiser 🙂 2 très bonnes prestations, et je confirme qu’A.C.T avaient volé la vedette à Saga.
Je crois que Trabendo marquait un véritable creux dans la carrière de Saga … Un coup de fatigue je crois, qui arrive à tous les groupes qui font la route depuis 30 ans … Mais ce jour là, ce petit groupe suédois inconnu aurait volé la vedette à bien des stars.
Petit clin d’oeil aux amateurs de Saga : un nouveau disque (Symmetry) à demi umplugged qui m’a fait redécouvrir qu’ils sont « always there », comme ils disent, 50 ans plus tard !!!
Bel article, Rudzik et d’autant plus émouvant qu’effectivement la question demeure primordiale : comment un groupe aussi talentueux est-il aussi peu connu ?
Pour ma part, c’est mon ami Gérard Quillien, disparu il y a deux ans, qui m’avait fait découvrir cette pépite. Depuis, j’écoute toute l’oeuvre et je suis chaque fois bluffé. Quelle maestria, quel talent dans les compositions…
Le petit dernier ne faillit pas à la règle.
A écouter donc séance tenante, et pour ma part avec une pensée pleine d’affection pour mon cher ami parti bien trop tôt et qui aurait adoré ce nouvel ep
Raymond