Oranssi Pazuzu – Mestarin Kynsi

Mestarin Kynsi
Oranssi Pazuzu
Nuclear Blast Records
2020
Jéré Mignon

Oranssi Pazuzu – Mestarin Kynsi

Oranssi Pazuzu Mestarin Kynsi

Vient le temps de l’introspection, du repli sur soi, d’un questionnement sur l’état du monde, son actualité comme son futur hypothétique. C’est cette suspension qui prend des allures de chimères, visions fantasmatiques, organiques plus proches du cauchemar que de l’innocente rêverie. Échappatoire, fuite en avant ou les deux ? Si on se penche un instant sur le cas Oranssi Pazuzu, on peut se dire qu’on est à mi-chemin. Entre un Sam Lowry de Brazil fuyant son quotidien dystopique et totalitaire en s’enfermant dans les songes et un parcours de cache-cache horrifique digne d’un film d’horreur japonais ou d’un giallo baroque de la grande époque. Étrangement, c’est le Dark Water de Hideo Nakata qui me vient le plus en tête à l’écoute de Mestarin Kynsi. Autant une porte ouverte aux rêves faisant chavirer la réalité qu’une déambulation basculant dans l’étrangeté aussi angoissante qu’atterrante. Cinématographique donc.

Oranssi Pazuzu Mestarin Kynsi band 1

Car Oranssi Pazuzu a tout d’une bande-son. Son crescendo, son ambiance habile entre Docteur Mabuse, dystopie carcérale et envolée surréaliste libératrice. Mais quand on parle de libération dans Mestarin Kynsi, ce n’est pas une montée vers des nuages et le soleil en arrière plan mais plutôt des yeux qui fixent et écarquillent les pupilles au fond de l’eau stagnante d’un étang isolé. C’est une lumière à la couleur étrange, parfois criarde, des bulles qui pointent hors de l’eau, des remous sans contrôles et une présence volatile dont on n’arrive pas à se défaire. C’est une porte ouverte vers un imaginaire fébrile, anxieux, s’étendant à perte de vue. L’étrangeté à son paroxysme, empruntant divers embranchements, du space-rock à occultisme, l’improvisation en passant par cette diction hachée et fréquente semblant guider les instruments autant dans les pics d’intensité que dans les accalmies contemplatives. Car si la voix particulière de Jun-His, sorte de corbeau en pleine représentation théâtrale, reste dans un registre black metal vacillant, le reste plonge d’autant plus fort dans le psychédélisme ne demandant qu’à l’auditeur d’y tendre les mains et de s’y perdre. Plus synthétique, triturée et friande aux expérimentations, la musique des finlandais semble basculer directement de l’autre côté de la banalité, jouant sur les répétitions et les ruptures brutales de tons, pas loin des Swans.

Oranssi Pazuzu Mestarin Kynsi band 2

Mestarin Kynsi a tout d’un exil sans passeport, l’isolement est roi. Ce n’est pas pour rien que le groupe cite ouvertement la pièce minimaliste et itérative de Steve Reich qu’est Desert Music. Ces motifs répétés inlassablement jusqu’à créer un décalage troublant appellent au vague-à-l’âme, aux questions de vie et de mort, une sorte d’expulsion existentielle. Le piège du passé, du présent et du futur… Le temps en fait. Mestarin Kynsi se présente ainsi comme une parenthèse convoquant autant l’immensité que le détail anodin, le cosmique avec le quelconque au travers d’un filtre au kaléidoscope. Le groupe a mis le temps de construire et parfaire son style. Maintenant, il est unique tout en gardant cette part de liberté, cette quintessence qui avec le temps a gonflé, mûri et éclos de sa chrysalide avec Värähtelijä. Et Oranssi Pazuzu de proposer quelque chose de neuf, d’aléatoire, de frais sortant allégrement des sentiers battus pour une surprise aussi soudaine qu’une apparition spectrale dans un film d’épouvante qu’une ambiance pernicieuse, méphitique et détaillée jusqu’au simple détail, dissonant, chicanier, massif voir incohérent, même imperceptible. Aussi longtemps que je contemple ces yeux au fond de cet étang qui semblent me faire un clin d’œil, je reste ébahi par cette débauche aussi étrange, attractif que métaphorique, et encore une fois, les mots semblent manquer pour décrire le simple ressenti que procure Mestarin Kynsi, proche d’une transe distordue, subtile, abrupte et artistique rappelant dans ses meilleurs instants cet happening sonore qu’était Waste Of Space Orchestra.

Les yeux fixent, l’eau goutte, une main se matérialise, le rêve paradoxal peut débuter, s’étirer et se perdre dans une échappée…

https://oranssipazuzu.bandcamp.com/

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.