Nomad Hands – Space Watch
Autoproduction
2017
Nomad Hands – Space Watch
Avec ce Space Watch de toute beauté, voici donc le premier album cosmique de Nomad Hands. Et c’est du lourd, croyez-moi. De toute façon, Nomad Hands, c’est du pesant, du massif. Pour s’en convaincre, il suffit de s’intéresser aux deux membres de ce duo fondé en 2001. À ma gauche, Olivier Briand. Tout d’abord formé au piano classique, c’est un cador toutes catégories des claviers et un grand maître des synthés qui connaît aussi bien Mozart que Miles Davis ou encore que Vangelis. Et s’il n’était que cela ! Mais c’est aussi – on le sait moins – un spécialiste des instruments des musiques du monde et – ça, on le sait plus – le grand organisateur du SynthFest de Nantes. Je n’ose même pas évoquer sa bouillonnante discographie, à la fois riche, étonnante, et variée ! Et à ma droite, il y a Mourad Aït Abdelmalek. Ne vous fiez pas à son allure bonhomme et à sa mine toujours souriante, ce gars-là – qui est réellement une crème ! – est ceinture noire dixième dan de percussions, toujours à la recherche d’un nouveau projet à parfaire de ses rythmes, toujours en quête d’un territoire musical inexploré qui sera son nouveau terrain de jeu. Aussi modeste qu’il puisse sembler de prime abord, c’est un expert, un penseur fin et appliqué, un amoureux méthodique de la frappe parfaite, élégante et racée, un maître obstiné du rythme tiré à quatre épingles. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’Alan Stivell – qui sait depuis toujours très bien s’entourer – a fait appel à ses services pour son Back To Breizh. Voici donc – en très résumé ! – ce qui concerne les deux membres de Nomad Hands. Quant aux aventures passées du duo, je laisse aux curieux le soin – et le plaisir ! – de s’y plonger, préférant ici mettre en lumière ce nouvel opus.
Avec cet album tout neuf, le duo de Nomad Hands, comme des prestidigitateurs habiles et malicieux, nous émerveillent et nous charment tout en nous montrant d’une main ce qu’ils veulent bien nous dévoiler et en laissant dans l’ombre ce que seuls les plus malins iront dénicher. C’est ainsi que le titre « Space Watch » nous invite prestement à nous intéresser au temps, aux horloges et à leurs mécanismes (watch = montre = montrer où en est le temps), alors qu’il s’agirait plutôt d’observer les signes du ciel et de donner un sens au temps (watch = observer = surveiller sans relâche du regard). Ok, ce n’est qu’un album, juste une heure dix de musique, mais ce n’était que pour vous donner quelques pistes de réflexion. Qui sait où ces pistes vous mèneront ? De toute manière, ces deux thèmes se rejoignent. Stonehenge invite aussi bien à l’observation du ciel (space watch) qu’il est lui-même une horloge spatiale (space watch).
Mais qu’en est-il de l’album en soi ? Sur sa photo, Olivier Briand nous prévient d’un sourire muet qui en dit pourtant long. Ceux qui aiment les synthés vont carrément adorer ! Arturia Drumbrute et Maxibrute, Korg MS-20, Moog Slim Phatty, séquenceur MAQ16/3 de chez Doepfer, système modulaire de chez MOS-LAB, et j’en passe. L’artillerie synthétique lourde est de sortie, casque (audio) obligatoire ! Les deux premiers titres, ramassés, efficaces, alertes et brillants, « Twice » et « Peter Is Bach », donnent clairement le ton. Space Watch s’inscrit résolument – d’une façon époustouflante devrais-je dire – dans les traces de la Berlin School. Amateurs de musique cosmique à l’ancienne, vous allez être servis au-delà même de vos vœux ! Je reviendrai tout spécialement sur « Peter Is Bach », qui mérite à lui seul un solide paragraphe. Le troisième titre, « Cognitive Connections », me fait sérieusement penser à ce précepte mystique : ordo ab chao, l’ordre né du désordre, la lumière née de l’obscurité. C’est comme un long et majestueux fiat lux. Le quatrième morceau, « What Time Is It? » est aussi comme une fleur qui s’ouvre, mais cependant dans un style séquencé plutôt vigoureux. Le suivant, « Making Sense », ne pourra que réjouir les fans de Tangerine Dream, puisqu’il est très inspiré de Ricochet, mais avec tout le respect, bien sûr, dû à ce chef-d’œuvre absolu. Quant au sixième titre, « Le Mécanisme d’Anthicythère » (objet bien connu de tous les amateurs de mystères !), il tire sa source de White Eagle, un autre album monumental de Tangerine Dream. « You Must Play Monotonus » semble inaugurer pour l’occasion un genre que je baptise Heavy Berlin School Style. C’est assez dire que les séquenceurs ont dû bien chauffer sur ce coup-là ! Terminons par le huitième et dernier morceau, « L’Horloge Cosmique 223 ». C’est de loin le plus complexe dans sa structure. De plus, alignant à un moment un superbe son de basse fretless, un solo de synthé de la plus belle eau et une rythmique sans faille, on a alors réellement l’impression d’entendre l’œuvre très élaborée d’un power trio dans tout son éclat. Un régal dont on a largement le temps de profiter, puisque le morceau dépasse les 14 minutes !
Intéressons-nous maintenant plus particulièrement à « Peter Is Bach ». Pour les lecteurs peu au fait de la Berlin School, le Peter Baumann en question fut l’un des trois membres du Tangerine Dream de l’Âge d’Or. Ce qui, déjà, est remarquable dans le titre du morceau, c’est le jeu de mot, pas forcément aussi innocent que ça. Ok, Peter is back, c’est cousu de fil blanc. Mais il y a aussi et tout bêtement… Peter (Baumann) is Bach. Quand on sait que Peter Baumann est un maître des séquenceurs et qu’on met en face qu’Olivier Briand est un mordu de séquences, on peut sans trop de risques supputer que, pour Olivier Briand, Baumann soit le Bach de la séquence. Or, justement, « Peter Is Bach » est un morceau spécialement riche en séquences. À la Baumann ? Il y a assurément là un hommage appuyé, mais tout l’art d’Olivier Briand est de transcender cet hommage en nous délivrant une salve de séquences absolument superbes et de son cru dans un morceau tendu comme la corde d’un arc. On a même l’impression par moments que les séquenceurs se sont changés en autant de steel drums, étonnants, magnifiques. Bien sûr, Mourad Aït Abdelmalek n’est pas pour rien dans la réussite de ce morceau, qu’il rythme d’une frappe à la fois audacieuse, allègre et parfaitement maîtrisée.
Clairement, tout ceci n’est pas sans nous rappeler The Tape, dont le très regretté Philippe Vallin avait rédigé la chronique. Donc, dans The Tape, Olivier Briand avait déjà rendu un hommage plus que vibrant à Tangerine Dream et à Klaus Schulze, avec à ses côtés Mourad Aït Abdelmalek officiant d’une manière tout à fait grandiose sur quatre des morceaux. Alors, Space Watch serait-il une sorte de The Tape numéro 2 ? Il est loisible, sinon amusant, de le penser. Dans sa chronique, Philippe Vallin avait reproché à Olivier Briand son goût pour les hommages appuyés et répétés envers les maîtres de la Berlin School. Les termes étaient sans concession. « On attend néanmoins de ce grand monsieur des claviers davantage de surprise et d’audace à l’occasion d’une future parution. Car s’il enchaîne avec une aisance déconcertante des albums d’électro-progressive qui enchantent nos papilles nostalgiques, le musicien évolue néanmoins dans un genre de passionnés conçu pour des passionnés qui a tout dit ou presque, et qui, avouons-le, peine à se renouveler malgré la qualité des productions qui continuent à abonder. »
En ce qui me concerne, ce n’est pas un problème. Non seulement Olivier Briand assume, mais il vient même de « récidiver ». S’il avait rendu hommage à Miles Davis ou à Keith Jarrett, personne n’y aurait vu de problème, bien au contraire, ce sont des génies. Idem s’il avait rendu hommage à Mozart ou à Bach, ce sont des classiques. Or, et c’est bien le message de « Peter Is Bach », Peter Baumann y est considéré à l’égal d’un classique moderne, d’un Bach contemporain. C’est tout simplement l’attitude des fans de la Berlin School, de même que Chuck Berry fut le « (Roll Over) Beethoven » du Rock et que ses fans continuent à jouer ses standards. Que redire à ceci ? Seulement, et au risque de me répéter, qu’Olivier Briand + Mourad Aït Abdelmalek = Nomad Hands font ça avec un art confinant au sublime, sans oublier, et c’est bien ça le principal, de renouveler le genre à leur manière, exceptionnellement experte.
Frédéric Gerchambeau
10 questions à Nomad Hands…
C&O : Pourriez-vous vous présenter séparément toi et Mourad ?
Mourad Aït Abdelmalek : Je puise mes couleurs rythmiques dans mes origines kabyles et bretonnes avec des influences celtiques, orientales et électroniques. « La musique par le rythme » pourrait être l’expression de mon cheminement comme batteur/percussionniste tout au long de ces années et les diverses expériences de groupes dans de nombreux styles… Coloriste des pulsations du monde, issu des beaux-arts, on me retrouve en studio et sur scène autour des musiques celtiques, orientales, électroniques et actuelles du monde. J’explore par des instruments traditionnels, électroniques ou de fabrication personnelle, l’essence même des rythmes.
Olivier Briand : Baigné dès mon plus jeune âge dans la musique par l’influence de mon père, c’est tout naturellement que je suis devenu un musicien multi-instrumentiste sur des instruments du monde et spécialisé par ailleurs dans les claviers après un apprentissage du piano qui m’a conduit vers l’improvisation et la composition spontanée. Les synthétiseurs m’ont particulièrement influencé et l’informatique m’a permis de devenir compositeur. J’ai travaillé sur scène dès le milieu des années 80 et je suis devenu ingénieur du son un peu par hasard.
C&O : Pourriez-vous maintenant nous présenter Nomad Hands ?
MAA & OB : Mourad et Olivier se sont croisés musicalement en 2001 et continuent de jouer ensemble depuis lors avec une complicité musicale qui ne fait que grandir au fur et à mesure de leurs rencontres scéniques. L’idée de ce duo repose sur la connaissance et la capacité à improviser ensemble. Une interaction musicale se produit dès lors que nous sommes ensemble et notre inspiration est commune. Notre univers va de la musique traditionnelle (avec une prédilection pour la musique orientale) aux musiques hybrides et métissées et à la world-music, jusqu’à l’electro (avec des variations rythmiques hypnotiques et des sets entièrement électroniques). Nous sommes un laboratoire musical toujours en recherche, avec une capacité d’aller dans des combinaisons inédites, avec une exploration permanente, utilisant les nouvelles technologies comme le sampling et la synthèse virtuelle. Nomad Hands c’est un mélange subtil de tradition et d’avant-gardisme, de respect et d’aventure, d’accessibilité et de complexité… La pureté du geste avec la précision informatique.
C&O : Alors, ce Space Watch, est-ce vraiment une sorte de The Tape n°2 ou quand même autre chose aussi ?
OB : The Tape, c’est un disque qui était fini (enregistré en temps réel, en audio et en multipistes) que j’ai fait écouter à mon ami et complice Mourad pour avoir son avis parce qu’il y avait déjà quelques éléments de batterie acoustique et électronique que j’avais faits dedans. Il m’a répondu qu’il pouvait rejouer dessus et également sur d’autres morceaux qui en étaient dépourvus, ajouter de nouvelles parties. Du coup, c’est un Olivier Briand avec un invité. Pour la suite, effectivement, ce projet s’est appelé The Tape 2 pendant un certain temps… Mais comme il a été pensé à deux et réalisé depuis le départ ensemble, c’est devenu un Nomad Hands. Au cours du processus de création, nos interrogations sur la métrique étant incessantes, nous avons dirigé la thématique autour de celui-ci et l’avons mélangé avec l’inspiration astronomique. Alors que dans The Tape Mourad jouait uniquement de la percussion électronique, le choix s’imposa de répondre aux séquences informatiques par la batterie acoustique. Le disque est pensé pour être joué live avec un accompagnement de séquences informatiques, de la batterie et des claviers.
C&O : Quels ont été les instruments utilisés ?
OB : Il s’agit d’une batterie acoustique hybride adaptée au projet, mélangeant de nombreux éléments percussifs. La base est une batterie vintage Ludwig augmentée de fûts Gretsch, ainsi que de rototoms. Cloches métalliques, Jam blocks bois, sonnailles, complètent l’ensemble. Les cymbales sont Paiste, Zildjan, Istanbul. L’ensemble est joué avec fagots, balais, mailloches, baguettes et mains… Pour les séquences informatiques, uniquement des VSTi’s avec diverses techniques (programmation pas à pas, temps réel quantisé, arpèges joués…), par-dessus tous les chorus ont été joués en condition live avec principalement le VSTi SPIRE.
C&O : Ce Space Watch semble particulièrement orienté vers certains mystères anciens et cosmiques. Serait-il possible d’avoir des explications à ce propos ?
OB : Fan d’astronomie depuis mon plus jeune âge, le cosmos et son battement m’a toujours fasciné et les synthétiseurs ont toujours été associés à l’exploration spatiale.
MA : Éclairer le mystère permet de mieux le comprendre mais paradoxalement l’augmente ! Le monde est comme un tambour qui résonne, et la compréhension des rythmes permet celle du cosmos. Notre perception du monde est liée à notre histoire et à ses interrogations, nous avons pensé à cette thématique espace/temps comme fil rouge lors de la création des morceaux de Space Watch.
C&O : Space Watch combine des morceaux courts mais efficaces et des morceaux plus longs et plus alambiqués. Pourriez-vous nous expliquer la manière dont vous avez composé cet album ?
OB : Au tout début étaient les séquences que j’avais faites et qui parfois résidaient dans un tiroir depuis quelques années à titre embryonnaire. Après une écoute et une sélection faite par Mourad, nous avons retravaillé les durées des tracks et les structures. Un premier CD d’accompagnement voit le jour et Mourad travaille dessus. Par la suite, une seule journée de prise de son avec la batterie acoustique en studio pour garder la fraîcheur de l’improvisation et l’authenticité du geste. Ensuite une séance de sound design pour créer les sons de lead et peaufiner le mixage dans l’espace du mix avant de jouer. Puis des séances pour enregistrer les parties lead, et au final, mixage et mastering.
C&O : Il est facile de constater des inspirations très Berlin School dans cet album. Space Watch est-il un album Berlin School et si oui quel définition donnez-vous à la Berlin School ?
MAA & OB : Il est réducteur de dire que l’album est uniquement de la Berlin School même si quelques passages sont une claire inspiration voire un hommage à la Berlin School, les choses sont plus complexes que cela et ce cadre est dépassé car nous avons intégré de multiples influences. Certes, certains codes sont respectés, mais nous avons surtout un propos rythmique qui est l’essence de la composition et qui donne lieu à des morceaux courts qui ne sont pas dans le schéma bruitages/nappes/séquence/solo propre à la Berlin School. Nous revendiquons un savoir-faire issu de notre expérience, et c’est ce mélange qui produit le résultat final. Certains comparent notre travail à celui d’Heldon par exemple… Nous essayons d’avancer dans la recherche et l’innovation, mais celle-ci s’appuie sur des références qui dans le cas de Space Watch vont vers des chemins similaires à ceux empruntés par nos amis allemands, donc oui et non.
C&O : « Peter Is Bach », autrement dit Peter Baumann is Bach… Ce titre mérite des explications, non ?
OB : Au tout début, j’ai bricolé des séquences, en 2014 me semble-t-il, qui étaient dans l’esprit de « Peter Bauman », j’en ai fait deux versions, en changeant quelques sons, que j’ai appelées, « Peter Is Alive » 1 et 2… Bien avant son récent retour… En février 2017, j’ai fait écouter à Mourad, qui m’a dit être motivé pour jouer dessus, j’ai donc collé les séquences pour faire un titre unique que j’ai appelé « Peter Is Back » puis, après l’enregistrement de la batterie de Mourad et du rajout du solo et du Mellotron, au moment de la PAO du CD, j’ai trouvé que cela serait lui rendre un hommage plus fort encore, tout en faisant un jeu de mot que d’appeler le titre « Peter Is Bach » puisque la prononciation (sauf quelques puristes) en français était la même. Il faut reconnaitre que son influence dans TD comme ses albums solos, a été majeure dans le petit monde de la Berlin School, que je considère maintenant comme un style classique, puisqu’elle a au moins 50 ans et qu’elle est encore jouée, ce qui n’est plus le cas de la cold wave des années 80 par exemple. Par ailleurs et quelle que soit l’émergence de nouveaux styles, ériger Peter Bauman au rang de MAÎTRE de cette musique classique est tout aussi naturel que d’autres qui continuent à jouer du clavecin ou écouter Elvis…
C&O : Plus largement, quelle analyse faites-vous de la musique électronique actuelle et de son évolution ?
MAA & OB : Dans les grandes lignes, j’ai bien l’impression que musicalement on perd en complexité… Quatre accords qui se baladent parfois maxi, du son pas toujours bien réglé à mon goût… Un manque de culture, de références et de réflexions. Encore faut-il définir ce qu’est la musique électronique, car sinon un esprit d’avant-garde, le seul usage commun d’un instrument ne définit pas le style. Il y a la musique à danser, à chanter, celle qui cherche… Nous sommes des chercheurs…
C&O : Et l’avenir ? Des projets ?
MAA & OB : Oui déjà un premier concert sur la scène du SynthFest France pour défendre LIVE le CD Space Watch est prévu le 1er avril 2018, sans poisson ! Dans ce concert, sera révélé notre projet suivant, qui lui sera bien intégralement conçu comme étant de la Berlin School, mais avec une thématique particulière… Mystère bientôt révélé… Un autre CD est sur le feu pour 2018…
Propos recueillis par Frédéric Gerchambeau