Lingua Ignota – Sinner Get Ready

Sinner Get Ready
Lingua Ignota
Sargent House
2021
Jéré Mignon

Lingua Ignota – Sinner Get Ready

Lingua Ignota Sinner Get Ready

On avait laissé Kristin Hayden avec Caligula, un album marquant qui a bien picoté votre serviteur, en même temps qu’il prenait une place grassouillette dans ces sempiternels classements de fin d’année. C’est que Caligula était gargantuesque, viscéral jusqu’à la nausée, jusqu’au boutiste et particulier voire anormal dans le paysage musical dont je m’abreuvais et m’abreuve encore. Alors que la dame devait parcourir l’Europe pour asseoir sa notoriété grandissante et, accessoirement, payer ses factures de santé rocambolesques, voilà que cette dernière s’est retrouvée prisonnière en Pennsylvanie, son nouvel habitat, après avoir quittée San Diego, en présence de son futur ex-compagnon Alexis Marshall (vocaliste du groupe noise-rock, fort recommandable, Daughters)…

Une année blanche a suivie… La compositrice se retrouve coincée entre les montagnes bleues des Appalaches, ses tourments, au sein d’un état rigoriste, parmi sautes d’humeurs, pandémie, faiblesse physique et psychologique (sûrement pas aidée par le caractère torturé d’Alexis Marshall, j’en veux pour preuve son album solo). Messages cryptiques sur les réseaux sociaux, opération de la colonne vertébrale (à ce stade, Kristin est inéligible à la sécurité sociale…), la dame aurait très bien pu accoucher d’un Caligula volume 2 en poussant les potards de sa frénésie et de ses traumatismes (physiques, sexuelles et psychologiques) au paroxysme cellulaire imaginable.

Lingua Ignota Sinner Get Ready Band 1

Cependant, il n’est n’en rien… Sinner Get Ready en est même l’opposé. Pourtant, comme son prédécesseur, ce nouvel album est indéchiffrable, sans repères, accroches ou étiquettes. C’est un électron libre qui va au-delà des barrières mais qui sonne le glas de la confrontation. Écouter Lingua Ignota retient autant l’attention qu’il laisse une empreinte moite devenant plus grande à chaque écoute au point d’occulter le champ de vision. Si les deux morceaux d’ouverture semblent suivre Caligula dans leurs dissonances (pianistiques surtout) nerveuses et diatribes irascibles (uniques voix hurlées de l’album),

I don’t give a fuck
Just kill him
You have to
I’m not asking

la suite des titres formant Sinner Get Ready se révèle aussi intense qu’étrange, créant une ambiance alogique, à se demander si on ne navigue pas entre rêve élégiaque, témoignage brumeux et transe intimiste. Une libération peut-être… Du moins, les esquisses d’un nouveau chemin émotionnel.

Kristin Hayden emprunte un virage plus « pacifié », utilisant une quarantaine d’instruments ayant rapport avec les Appalaches, la compositrice avouant que l’emplacement géographique, et par là son Histoire, sa Culture, a été une influence majeure dans le processus d’écriture. Aussi pouvons-nous entendre banjo, mandoline, guitare folk, orgue, instruments à cordes multiples se superposer aux intonations vocales de la jeune femme de 35 ans frémissantes, assurées, intimidantes, tremblotantes, décalées, presque fausses même. Car Lingua Ignota en édulcorant ses relents industriels, black metal et tout un pan de la musique extrême qu’elle affectionne, a privilégié une humanité. Désarmée, privée, isolée, voire toute aussi lugubre et tendue, mais paradoxalement plus libérée… Contemplative aussi, la dame ayant plus utilisé la monotonie minimale et la saveur picturale du drone (par touches subtiles et/ou englobantes) comme toiles de paysages chargés d’Histoire aussi bien rurale que religieuse l’environnant. C’est comme ressentir le poids de la terre sous nos pieds nus, le vent créant des sillons de larmes sur le visage et laisser le temps faire son office de rédemption et de sentence. Sinner Get Ready m’apparaît plus comme une aventure métaphorique, émouvante, finement orchestrée, bien que grinçante. Et d’émotions larvées, ce nouvel album en regorge dans une empreinte de mystère (abus sexuels, rigueur religieuse, dépression, spleen, mélancolie… Faites votre choix). En jouant sur les imperfections humaines et structurelles (merci encore à Seth Manchester pour la production), Lingua Ignota laisse sa langue inconnue envahir l’espace, moins dans une invective humiliante éructée à la gueule dans sa rage mais d’avantage dans une allégorie spirituelle, distante mais non moins pleine et obsédante.

Lingua Ignota Sinner Get Ready Band 2

Bien que complexe, Sinner Get Ready mérite attention, lâcher-prise et humilité. Kristin Hayder s’est toujours dévoilée dans ses pochettes. Barbouillée de pleurs sur All Bitches Die, plus sûre d’elle sur Caligula et ici camouflée telle une relique timide dont l’auditeur doit dévoiler au fil des écoutes le masque, contours, rides, sourcils et expression. Souffrance et délivrance… Je suis admiratif… À noter que « Perpetual Flame Of Centralia » est, peut-être, le plus beau titre que j’ai pu entendre cette année…

https://linguaignota.net/

 

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