Limousine – Hula Hoop

Hula Hoop
Limousine
Ekleroshock Records
2023
Thierry Folcher

Limousine – Hula Hoop

Limousine Hula Hoop

En musique, nous avons tous des chouchous. Vous savez, ces petites choses qu’on installe dans notre jardin secret et qu’on préserve jalousement. Des amis fidèles qu’on voudrait enfermer pour ne pas risquer des réflexions un peu tièdes ou quelques coups de griffes immérités. Limousine en fait partie et si je dévoile ici son tout dernier ouvrage intitulé Hula Hoop c’est uniquement pour vous, les habitués de notre webzine et ses étonnantes découvertes. Cela dit, le monde de Limousine est bien connu chez Clair & Obscur puisque après L’Été Suivant chroniqué en 2019 ce fut au tour de Laurent Bardainne et son Hymne Au Soleil (2022) de venir occuper nos colonnes. Et c’est de bonne guerre car la musique de Limousine possède des atouts incomparables qui vont bien avec notre démarche. Une espèce de jazz feutré aux accents électro, pop, world, ciné ou ambient totalement convaincants et bien maîtrisés. De la musique plaisir avant tout sans prise de tête ni de recours aux diktats de la mode. Sur ce nouvel album la formation précédente est reconduite, à savoir, David Aknin aux percussions, Laurent Bardainne au saxophone, Maxime Delpierre à la guitare et Frédéric Soulard aux claviers. Une équipe soudée, forte de plusieurs années de collaboration et qui arrive à maturité pour briser le sceau de la musique instrumentale et s’octroyer des parties vocales plutôt bienvenues. La tentation d’aller plus loin et d’accompagner les compositions de paroles était bien trop grande, d’autant plus que leur titre « Hula Hoop (Pour Toi) » avait déjà montré la voie (la voix?) avec la parution en 2021 d’un EP révélateur sur lequel le chanteur franco-allemand Victor Solf s’était bigrement bien intégré. Une chanson que l’on retrouve ici en version instrumentale et chantée, un peu comme un clin d’œil au passé et au présent. Je lis souvent que la musique de Limousine est propice au relâchement, à l’abandon. Et je ne peux que souscrire à ces déclarations, tellement la mise sur pause est immédiate et bienfaisante. Le genre d’effet « paracétamol » qui soulage et redonne goût à la vie.

Le cinquième album du groupe s’appelle donc Hula Hoop et nous dévoile onze nouveaux titres dont certains sont enrichis par les voix de Lucas Santtana, Amber Burgoyne, Akhenaton, Malik Djoudi et bien sûr Victor Solf. Le disque débute par la reprise instrumentale de « Hula Hoop (Pour Toi) », déjà bien digérée mais tellement belle qu’elle en devient inépuisable de plaisir. Le saxophone tout d’abord puis les claviers s’emploient à recréer l’atmosphère si particulière de Limousine et à faire germer d’étranges vibrations aussi rares que recherchées. La véritable première claque arrive juste après et s’appelle « Foi Assim » (« c’était ainsi » en brésilien). Une délicate ballade tropicale qui nous renvoie instantanément aux souvenirs du monumental Getz/Gilberto de 1964. Attention, je ne me hasarderai pas à faire de périlleuses comparaisons, mais ce que je peux dire, c’est que le ressenti est ici le même. Cette association magique entre la voix du brésilien Lucas Santtana et le saxophone de Laurent Bardainne est une pure merveille qui nous fait voyager et nous procure de réelles sensations de bien-être. Les paroles sont anecdotiques et servent uniquement à mettre en valeur une voix qu’il faut voir comme un instrument à part entière. C’est à cet instant que l’on mesure le réel pas en avant de nos amis parisiens capables aujourd’hui de passer sans heurt d’une romance exotique à l’expérimentation sonique d’une composition de la classe de « Spritz ». Ce dernier titre est lui aussi un petit bijou de construction qui me rappelle par moments les échos urbains des anglais de Skinshape. Trois premiers morceaux magnifiques où le classique s’imbrique dans la nouveauté avec délicatesse et savoir faire. Mais aussi, trois morceaux très différents dans leurs intentions et dans l’approche expérimentale chère au groupe.

Limousine Hula Hoop Band 1

Ensuite, « Helios » vient apporter les quelques trépidations nécessaires à ce disque, jusque là plutôt rêveur. Bon, ce n’est pas non plus un ouragan de notes mais l’allure s’accélère un peu et l’auditeur est satisfait. La rythmique est très inspirée et les quelques clap hands qui l’accompagnent servent un saxophone devenu subitement incontrôlable. Nous voilà légèrement secoués mais que dire en comparaison de ce rap destructeur nommé « Le Glaive » qu’un Akhenaton en pleine forme nous assène à la façon d’un coup de poing pas vraiment habituel dans l’univers paresseux de Limousine. Le gars d’IAM ne se pose pas de questions et fait ce qu’il a à faire. Au-delà des paroles à prendre ou à laisser, il faut bien lui reconnaître un savoir-faire incontestable. En tous cas, la grande leçon à retenir, c’est que les barrières les plus hautes peuvent exploser lorsque les talents sont capables de se compléter ainsi. En écoutant ce morceau, je ne sais pas qui s’éclate le plus entre un Akhenaton très à l’aise sur ce genre d’orchestration ou les gars de Limousine, tout-fous dans ce registre peu habituel chez eux. Jolie surprise et belle ouverture vers un nouveau public à conquérir. Après un traditionnel « Terroirs » qui remet les pendules à l’heure, la grande sensation se nomme Amber Burgoyne. Sa prestation sur « The Limousine Blues » m’a véritablement scotché et je ne sais pas si je dois mettre en avant la qualité du morceau ou le magnétisme de la voix de cette jeune britannique. Mais ce dont je suis sûr, c’est que l’ensemble est à tomber par terre. La composition, les arrangements, les coups de médiator de Maxime Delpierre et la voix touchante d’Amber sont absolument fascinants sur cette chanson, hélas bien trop courte.

Il reste encore quatre titres à venir mais à ce stade, le retour de Limousine est déjà une réussite. Je me demande même si le quatuor n’a pas accompli son plus beau voyage avec Hula Hoop. L’attrait de la nouveauté y est pour beaucoup mais le tourbillon dans lequel on est entraîné commence à ressembler à une folle expérience sensorielle. « Back In Koh Mak » nous renvoie à l’album Siam Roads de 2014 et vers ce jazz d’inspiration asiatique tellement évocateur que le pourtour de cette île thaïlandaise se dessine avec une étonnante précision. Ensuite, c’est au tour du poitevin Malik Djoudi de venir nous charmer avec un « Some Blue An Yellow » très soul et sur lequel flotte quelques accents de Matthieu Chedid. La mélancolie est de mise à l’évocation des couleurs ukrainiennes si malmenées en ce moment. La fin approche et « White Line » relance le bolide à vive allure dans une fantaisie électro de la ligne blanche d’une route infiniment accueillante. Morceau de transition pour servir sur un plateau « Hula Hoop (Pour Toi) », chanté cette fois par Victor Solf. Séance de rattrapage aussi belle que nécessaire pour finir avec élégance ce dernier opus de Limousine.

Limousine Hula Hoop Band 2

De Hula Hoop je retiendrais en priorité la diversité des compositions ainsi que leur solide complémentarité. Jamais voyage en Limousine n’aura été aussi riche et passionnant. Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est la félicité qui nous envahit et le besoin de partage qui nous démange furieusement. La pochette, pas terrible à mon goût, a néanmoins le mérite d’afficher le nom du groupe en grosses lettres bien voyantes. La lecture de cette chronique (du moins je l’espère) et la simple curiosité devraient inciter certains à franchir le cap de ce visuel un peu âpre pour découvrir une Limousine tellement belle et tellement agréable à conduire qu’elle va vite devenir une compagne familière. Pour ma part, je m’empresse de la ranger dans mon petit oasis personnel.

https://www.facebook.com/LimousineBand

 

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