Karfagen – Land Of Green And Gold

Land Of Green And Gold
Karfagen
Caerllysi Music
2022
Thierry Folcher

Karfagen – Land Of Green And Gold

Karfagen Land Of Green And Gold

Cela fait un moment que le nom de Karfagen revient régulièrement me titiller les phalanges mais jamais suffisamment pour me décider à écrire dessus. Alors, pourquoi se lancer aujourd’hui ? Peut-être en raison de l’actualité, peut-être parce que la formation ukrainienne réussit là où les Flower Kings échouent, ou tout simplement parce que Land Of Green And Gold est un chouette album, sûrement un des meilleurs du groupe. L’allusion à la formation de Roine Stolt n’est pas anodine dans le sens où les similitudes entre leurs univers ne manquent pas. Des emballages soignés, une musique raffinée, de longues pièces épiques et un habile compromis entre tradition et modernité. Le problème avec les Flower Kings, c’est que cela ne prend plus alors que chez Karfagen, il subsiste un je ne sais quoi d’attachant, de sincère et de profondément charnel. A chaque fois, je prends toujours autant de plaisir à écouter leurs albums qui tombent avec une belle régularité depuis la sortie de Continium en 2006. Presque vingt ans de carrière et un joli nom qui a trouvé sa place dans la sphère progressive traditionnelle, parfois intégriste mais toujours solide en gardienne d’un temple unique en son genre. Karfagen, c’est Antony Kalugin, un touche-à-tout de génie, à la fois concepteur, musicien et compositeur prolifique. Un artiste reconnu, jamais à cours d’idées et possédant un talent inné pour sortir des mélodies imparables. Il est important de noter qu’en parallèle à Karfagen, il poursuit d’autres projets et une carrière solo tout aussi passionnante. Land Of Green And Gold tombe à pic. C’est un disque de printemps, d’escapades pastorales, de communion avec la nature et de renouveau plutôt bienvenu ces temps-ci. Et puis, cerise sur le gâteau, il flirte tout du long avec un jazz rock assumé et véritable source d’inspiration. A telle enseigne qu’après la terre verte et la terre d’or, c’est vers la terre du jazz (« Land Of Jazz ») qu’Antony nous invite ouvertement en troisième et dernière partie.

Ce disque est riche, très riche. Il ne se passe pas un moment sans qu’un petit motif ou un changement de rythme viennent bouleverser la partition avec beaucoup d’opportunité et de savoir-faire. Le début de la partie Land Of Green intitulé « Kingfisher And Dragonflies (Part 3) » fait penser aux aventures champêtres d’Anthony Phillips propices aux belles balades (ballades?) dans une nature retrouvée. Cela ne pouvait pas mieux commencer chez les adorateurs du genre qui ne vont pas se faire prier pour continuer le voyage. L’enchaînement avec « Land Of Green (Part 1) » sera l’occasion de mettre en valeur la guitare d’Alex Pavlov dans des registres à la fois lyriques et toniques. Les échanges avec les claviers d’Antony sont superbes et le saxophone de Yan Vedaman lance une indication jazz rock pas encore dominante mais très prometteuse. Les dix minutes passent très vite, ce qui est bon signe, et « Land Of Green (Part 2) » poursuit la partie Green avec une touche soft jazz qui rappelle les beaux mariages dont le rock progressif est coutumier. Il serait coupable de passer sous silence les terribles événements dont l’Ukraine est le théâtre et d’oublier les populations civiles, premières victimes de la folie et du cynisme de certains. Bien que l’album ait été enregistré avant la déclaration de guerre, les couleurs ukrainiennes sont bien présentes sur la pochette. Le partage bleu et jaune n’est pas innocent et montre à quel point Antony est attaché à son pays. Il vit actuellement en Pologne avec sa famille mais espère, comme il le dit, revenir marcher dans les vallées vertes et dorées sans crainte et sans larmes. « Le soleil se lève toujours après la nuit la plus sombre » et « priez pour la paix », voilà deux phrases qui ont retenu mon attention dans une récente interview. Land Of Green And Gold est une œuvre belle et courageuse, une arme de séduction où les airs symphoniques et les mélodies enchanteresses servent avant tout à transmettre du bonheur et de l’optimisme.

Karfagen Land Of Green And Gold Band 1

Antony Kulagin lutte avec ses armes et aussi futiles soient-elles, elles n’en sont pas moins essentielles. Sa musique est d’une positivité et d’une puissance telles qu’il souhaite retourner au plus vite à Kharkiv pour enregistrer, encore et toujours. Mais pour l’instant, Land Of Green And Gold suffit à mon bonheur et je l’espère, au vôtre également. On continue avec « Solis Festum », une toute petite pièce où l’accordéon de Sergii Kovalov ajoute une note festive bien agréable. Puis « Land Of Green (Part 3) » reprend le flambeau d’un jazz rock dominé, cette fois encore, par la guitare d’Alex Pavlov et les cuivres de Yan Vedaman. Pour certains, cela paraîtra un peu daté et écouté mille fois mais bon sang, que de belles sonorités et quel bel entrain. La partie Green se termine par le bien nommé « Pastoral » et son court solo de guitare acoustique. Du vert à l’or il n’y a qu’un pas que Land Of Gold franchit allègrement avec « Garden Of Hope (Part 1) », un titre assez classique parcouru par un gimmick à la Flower Kings assez tenace mais bien diversifié dans des atmosphères changeantes. Mais le fait majeur, c’est l’arrivée du chant de Kalugin qui se dévoile enfin avec sa finesse et sa douceur habituelle. L’ambiance change et le jazz rock s’installe un peu plus avec « Land Of Gold » qui flirte pour sa part avec l’école de Canterbury grâce à un déploiement chaleureux de flûtes (Elena Kushchii), de claviers magnifiques et bien sûr, de guitares alertes. La basse de Konstantin Ionenko et la batterie de Ivan Goritski assurent l’essentiel avec le juste feeling et la propreté nécessaire que demande ce genre de prestation. « Garden Of Hope (Part 2) » enchaîne avec des intentions plus aériennes et plus recueillies dans un final où la voix d’Antony rappelle  Roine Stolt ou Richard Sinclair.

L’album se termine avec les fameux « Land Of Jazz » et « Land Of Jazz (outro) » présentés, de façon étonnante, comme bonus tracks. Alors c’est vrai que le tournant jazz ne fait pas de mystère et que le saxophone de Yan Vedaman s’impose en maître de cérémonie. Les notes sont plus libres et les intentions poussées vers des improvisations savamment étudiées. Mais le plaisir est toujours là et ce changement de tonalité n’est pas vraiment inopportun. Pour finir et être complet, si vous avez aimé cet album, sachez qu’Antony Kalugin a enregistré son petit frère, sobrement  intitulé Land Of Green (Bonus Disk). Quarante minutes de musiques libérées qui fleurent bon les envolées magiques de Camel avec en plus, le superbe « The Blossom » qui vaut à lui seul qu’on s’y intéresse.

Karfagen Land Of Green And Gold Band 2

Land Of Green And Gold est un excellent album à l’étiquette « rock progressif old school » assumée et revendiquée. A l’instar d’Andrew Marshall de Willowglass, Antony Kalugin se réclame comme héritier de cet âge d’or où les artistes prenaient le temps d’écrire de belles choses très mélodiques mais pas forcément en adéquation avec les attentes d’un certain public. Le rock et ses accords basiques ne pardonneront jamais ces écarts d’inspiration et jetteront l’opprobre sur des musiques qui ont su, malgré tout, résister. Encore une fois, n’ayez pas honte d’aimer cette musique, elle en vaut mille fois d’autres montées au pinacle de façon artificielle et avec des intentions douteuses. Antony Kalugin est sincère dans sa démarche et reconnaît lui-même qu’il ne deviendra jamais riche et célèbre avec ses créations. Mais son chemin de vie lui réclame de continuer ainsi, surtout en ce moment.

https://antonykalugin.bandcamp.com/album/land-of-green-and-gold-hi-res-24-48

 

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