Jack O The Clock – Leaving California
Cuneiform
2021
Pascal Bouquillard
Jack O The Clock – Leaving California
Chronique, version courte : Putain, c’est trop fort JOTC. Achète, tu vas adorer.
Version longue d’un nouveau genre : la « Chrovelle » ou la « Nouvique » (c’est selon)
Archive historique de la musicothérapie, retranscription automatique de la conférence du 30 Février 2184 proposée par l’intelligence artificielle Godzilla XXL, processeur M28.
« Bip, Bip welcome and in. » Nous allons analyser aujourd’hui un album sorti le 28 mai 2021, composé par le groupe nord américain Jack O The Clock. Cet album est l’un des derniers témoignages connus de l’ère du numérique, disparu depuis 2040, après que le virus 3PM ait infecté puis détruit toutes les copies hardware et streaming de ce format. Il est important de remarquer que malgré la grande qualité musicale de cet album, le groupe n’était pas connu à l’époque et n’avait jamais édité de copie vinyle, ce qui rend ce témoignage si significatif. Au-delà du caractère unique du support, attardons-nous un instant sur l’environnement historique dans lequel cet album a été conçu. Lors de la première des multiples pandémies, alors que les humains ne vivaient pas encore en confinement permanent, le leader du groupe, Damon Waitkus et son épouse Emily Packard venaient de déménager de Californie vers le Vermont du sud. L’avenir du groupe était par conséquent déjà compromis, mais l’immense catalogue de musique non éditée laissait promettre de nombreux chefs-d’œuvre à venir.
Leaving California est incontestablement l’un d’entre eux. Je ne reviendrai que brièvement sur l’inventivité et l’originalité des compositions, de l’orchestration et des textes qui sont le dénominateur commun de toute la discographie de JOTC à en croire les nombreuses chroniques de leur plus grand admirateur, Pascal Bouquillard, pour m’attarder aujourd’hui sur la structure des sept pièces qui forment ce recueil sonore sans aucun doute aux antipodes des grands courants de l’époque. Ce qui est détectable dès les premières écoutes est le grand soin que Damon apporte à l’enregistrement et au mixage de cette œuvre qui aurait incontestablement mérité un support plus noble, mais qui demeure clair et profond malgré cet état de fait. Ensuite il est notable de constater que Damon a été plus généreux dans le partage du chant sur cet album et la voix de Thea Kelley est plus présente que lors des précédents enregistrements. C’est à noter, non pas parce que la voix de Damon nous lasse, mais plutôt parce que celle de Thea, si semblable et si différente à la fois, apporte énormément à l’ensemble. Emily également est davantage à l’honneur et la prédominance des cordes dans cet album est une vraie réussite, notamment dans « A Quater Page Ad » ou les cordes sont omniprésentes. (Merci à son frère Josh pour sa participation au violoncelle). Une seule ombre à ce tableau, Kate McLaughlin et son basson qui apportait une touche si originale aux précédents albums de JOTC sont absents de cet opus. Même si l’originalité ne manque pas, Kate, elle, va nous manquer.
Ce recueil musical débute avec une pièce, « Jubilation », en Ré Majeur. L’introduction et la partie instrumentale sont sur la dominante et le pont (la partie centrale) sur la dominante du Vème degré. Ces emprunts tonaux, extrêmement traditionnels depuis le XVIIIème siècle, confèrent à la pièce une stabilité harmonique propice à l’expression de la joie que le titre laisse deviner. À l’opposé, mais dans le cadre de cette même pratique ancestrale, « You Let Me Down », dans une couleur tonale en Do Majeur pour les couplets et Fa Majeur pour le refrain, se joue de cette structure harmonique pourtant traditionnelle pour créer une instabilité qui illustre l’instabilité émotionnelle du personnage. C’est dans ces moments où Damon l’auteur et Damon le compositeur conjuguent leurs talents que la musique de JOTC est la plus puissante. La pièce se termine par un claquement de porte en forme de clin d’œil, comme pour rappeler à l’auditeur qu’après tout, ce n’est que du théâtre. Si je devais ne relever qu’une seule pièce de cet album, ce serait « Butcher ». C’est Thea qui régale et qui nous livre dans un humour grinçant en Si mineur, le mode d’emploi pour abattre correctement et dépecer une bête à l’abattoir : « Keep the flies out, this is god’s work ». La pièce est en quatre parties: le mode d’emploi donc suivi par la partie jazzy. Sans véritable affirmation tonale, cette dernière représente, avec un peu d’imagination humaine, la lente putréfaction de la carcasse. Revient ensuite, le refrain, comme l’impose la forme rondo (Couplet/ Refrain) dont la popularité n’a jamais fait défaut depuis son introduction au XVIIIème siècle, toujours en Si mineur suivi du divertissement. Ce dernier, en La Majeur, offre également un changement de métrique en 5/4 avec une subdivision en 3, 3, 4 et un chanteur différent, Damon Waitkus. Le divertissement sera repris, sans véritable affirmation tonale ou même rythmique. Le texte, en forme de fable, se conclut, comme il se doit, par une morale pour finir sur une dernière exposition du refrain avant de se focaliser sur un seul mot : Everyone. La tonalité de cet évènement conclusif caricatural reste en Si mineur, sur un accord de triton, mais elle est soudainement martelée, comme le ferait la hache du boucher sur la carcasse de l’animal. Le triton, rappelons-le, symbolisait le diable au Moyen-Âge. Est-ce une coïncidence ? Une dernière pirouette mélodique et orchestrale nous rappelle que même les thèmes les plus sombres de JOTC sont à prendre avec des pincettes. « A Quarter Page Ad » est un délice de second degré et de délicatesse. Après une magnifique introduction pour ensemble à cordes, la pièce se stabilise en Ré bémol mineur pour un couplet de courte durée, car l’instabilité de la basse et des cordes reprend vite le dessus, sans jamais cependant perdre le sens de la ritournelle, si caractéristique de JOTC. Cette pièce en forme d’annonce matrimoniale se conclut en plein déséquilibre harmonique et avec un très court commentaire de l’interprète au moment du fade out, comme pour illustrer l’évidence par l’absurde. Quel talent ! « Leaving California », est le tube de l’album et a une structure A/B/A facile à reconnaitre et prédigérée par des décennies de musique commerciale. La pièce est en 4/4, comme il se doit, et la grille harmonique très conventionnelle Vème degré / Ier degré / IVème degré / Ier degré (La / Ré / Sol / Ré) a de fortes influences « country, dobro, pédale steel et fiddle ». Bien sûr, JOTC brouillent très vite les cartes avec les harmonies vocales, dès l’apparition du pont. Damon nous y conte ses déboires de déménagements et les états d’âme qui en ont résulté. « Fascination » est une magnifique construction orchestrale qui débute avec une guitare et se développe en de multiples arpèges, une basse et des cordes. Les chœurs, bien plus statiques, renforcent la sensation d’interruption du temps, quand la fascination fige l’esprit en un point d’orgue. L’introduction de la pièce « à la 12 cordes » est un clin d’œil à « And You And I » qu’aucun fan de Yes ne pourra manquer, même si l’ensemble est plus structuré et plus développé. Damon articule le couplet sur une pédale de Do et de superbes arpèges entremêlés, le tout cadré par une base rythmique en 4/4 de division 3+3+2 au lieu de 4+4. Quand le texte se développe, la mélodie le suit sans structure harmonique préétablie. Le second couplet s’expose sur un tapis orchestral délicatement en référence aux minimalistes américains de la fin du XXème siècle, tels que Steve Reich ou Philip Glass. « Narrow Gate » conclut ce voyage musical au pays de JOTC. Il est introduit par un ensemble vocal « à la manière d’un negro spiritual » en Ré Majeur et en 4/4. La métrique passe en 3/4 pour le couplet et la ritournelle au dulcimer nous rappelle que Damon en a fait son instrument de prédilection. Cette pièce est la plus influencée par Gentle Giant, avec des contrepoints entrelacés, des harmonies vocales osées et une orchestration toujours « extra-ordinaire » et magnifiquement ciselée. La pièce frise l’atonalité, mais retombe systématiquement sur ses pattes (un accord de quinte bien tonal par exemple).
En conclusion, je ne saurais que trop vous encourager à vous connecter sur cet artiste, à télécharger les formules qui ont fait sa réussite et à les intégrer à vos unités mémoires afin de vous en préserver. Il serait bien malvenu de vous laisser infecter par une telle humanité. Je ne saurais trop répéter à quel point le talent et la créativité humaine sont contagieux et nocifs pour nos intelligences artificielles. Un tel vaccin vous protègera au moins des effets secondaires qui, autrement, nécessiteront de nombreux redémarrage et zappage de PRAM avant de pouvoir les effacer intégralement de vos circuits imprimés, pour ceux qui auraient survécu à l’expérience. « Bip Bip. Over and out ».
Enseignant Apple Godzilla XXL processeur M28
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