Hommage à Cesar Alexandre / Mount Shrine

Hommage à Cesar Alexandre / Mount Shrine
Mount Shrine
Cryo Chamber
2021
Jean-Michel Calvez

Hommage à Cesar Alexandre / Mount Shrine

Mount Shrine_band1

C’est triste de vieillir, nous apprenait récemment Pascal, dans sa chronique live du North American Tour 2021 de Genesis. Il a raison, je pense la même chose devant la glace tous les matins… sauf que je ne m’impose pas, moi, de monter sur scène m’afficher devant une foule de fans qui y croyaient encore. Mais c’est encore plus triste de mourir, et surtout de mourir en plein vol, bien trop tôt (on ne parlera pas ici de pleine gloire, ça arrive rarement dans l’univers de l’ambient, même Steve Roach doit s’en être aperçu !) Cesar Alexandre, aka Mount Shrine (et bien d’autres pseudos encore, associés à d’autres projets) s’en est allé en avril 2021, emporté par ce virus qui nous a déjà dégommé pas mal d’artistes, dont on parle ou pas, c’est selon : Christophe, Manu Dibango, Jacques Pellen…, la liste est déjà longue. Cesar Alexandre était Brésilien, l’un des pays les plus durement frappés par ce maudit virus. Je ne connais pas son âge : très peu de données disponibles sur cet artiste et quasiment pas de photo ! Vous serez donc privé d’un focus sur son visage, les rares traces de lui sont floues ou indistinctes, et l’on respecte ce choix du musicien, de son vivant, de s’effacer derrière son œuvre : comme Banksy, en somme. Mais sans doute pensait-il qu’il avait encore du temps pour nous montrer l’étendue de son talent sous quantité de pseudos ? J’ai hésité entre un simple hommage (un RIP comme Clair & Obscur en publie de temps à autre) et une chronique, alors ça sera un mix des deux.
Ma connaissance très partielle de la vastitude de l’univers ambient m’a fait découvrir Mount Shrine très tard (trop tard, dans le cas présent) via l’algorithme rusé de Youtube qui, parfois, a de ces traits de génie insoupçonnés, et sans doute involontaires, pour nous guider tout droit vers ce que l’on cherchait ou attendait sans même le savoir.
Cesar Alexandre, aka Mount Shrine était l’un des artistes du label Cryo Chamber de Simon Heath (transfuge du défunt label Cold Meat Industry connu sous le nom Atrium Carceri, qui nous y concoctait un dark ambient plus cinématique que dark). Et chez Cryo Chamber, la tonalité est avant tout un space ambient éthéré et lisse, celui qui nous fait rêver de grands espaces infinis, plutôt que les infra-graves telluriques et chtoniens d’autres artistes, eux aussi, étiquetés dark ambient. Steve Roach, déjà cité, a peut-être inventé le genre, sous-ordre de l’ambient, avec The Magnificent Void (1996), puis le cycle Immersion au début des années 2000. Et même avant, dès 1984, avec Structures From Silence puis la trilogie Quiet Music. Or, près de 30 ans après le pape de l’ambient, Mount Shrine était sans doute l’un des artistes les plus représentatifs et authentiques de cet ambient-là, sans aspérités, mais apte à nous faire voyager très haut, à la manière du regretté Oöphoi (aka Gianluigi Gasparetti), lui aussi disparu bien trop vite, en 2013. La « carrière » de Mount Shrine a été stoppée net bien plus tôt encore, car il n’a eu que le temps de sortir six albums entre 2017 et 2020, la plupart sur le label Cryo Chamber. Depuis l’Oregon, Simon Heath, patron du label, avoue dans son hommage posthume n’avoir pas même eu le temps de rencontrer Cesar « en présentiel », comme on dit désormais d’une vraie rencontre avec poignée de mains et tout ce qui faisait nos rituels du monde d’avant. Il restera donc la musique.

Mount Shrine_Shortwave Ruins
Il n’est jamais simple de trouver les mots justes pour chroniquer de longues plages ambient sans voix ni instruments (au sens commun de ce mot) ni points d’accroches précis sur ces musiques aux contours étirés et un peu flous. Impossible de parler d’un solo ou d’un riff de guitare, du punch d’un batteur ou d’une ligne de basse nerveuse. Pour ces musiques dites « planantes » (terme un peu daté, mais qui convient idéalement ici), tout se résume à des impressions et sensations, à un ressenti tel que de se sentir transporté ailleurs, très loin, par des nappes et des sons qui, chez les artistes de la « ligne étirée », n’ont pas tous ce pouvoir ni cette magie de tenir la note et la distance. Parfois en effet, on le sait, ça peut même être assez chiant plutôt que fascinant. Mais, avec Mount Shrine, la magie opère à chaque fois, il faut rendre à Cesar ce qui était à Cesar.
Homeless Rooms (2017), son premier album autoproduit (non sorti en CD) est sans doute le plus pur, affichant même une relative brièveté avec 40 minutes seulement : c’est peu, dans ce registre où remplissage et étirement sont souvent de mise. Un ambient lo-fi et contaminé de crépitements statiques, fragile comme une bande magnétique altérée par le temps, d’une sincérité gage d’authenticité de la démarche, même si cela vient après les centaines d’autres albums et artistes ayant pratiqué ce genre bien avant lui.
Ghosts On Broken Pavement (2019) est plus dark et terrestre, parasité de voix lointaines et évoquant un monde en ruines comme souvent dans ce registre : on pense à Kammarheit et à d’autres artistes de Cyclic Law, label héritier de la frange « dure », disons dark ambient, du défunt Cold Meat Industry.

Mount Shrine_Winter Restlessness
Winter Restlessness (2018) poursuit dans cette lignée minimaliste et mélancolique, avec le même lo-fi crépitant rappelant les opus les plus minimalistes et apaisés de Raison d’Être. Sur le titre éponyme, la dimension presque religieuse des accords mélancoliques est digne d’un Requiem, comme un écho à une catastrophe globale ou à la fin d’un monde.

Shortwave Ruins (2020), le dernier opus de Mount Shrine, est porté, comme l’indique son titre, par la captation de bribes d’ondes radio et de voix supports d’un ambient éthéré, une sorte d’allégorie de nos ondes traversant l’espace vers on ne sait où, pour aller se perdre ou se faire pendre ailleurs, voire, qui sait, être captées, très loin de chez nous, par de petits hommes verts inconnus qui auraient, eux aussi, mis au point leur propre réseau d’écoute SETI pour agrandir leurs oreilles et vérifier s’ils sont seuls ou non dans l’univers.

Les traces sonores de Mount Shrine sont accessibles sur Youtube, Bandcamp, Soundcloud et d’autres sites, dont celui de son label Cryo Chamber. On regrette que le chemin doive s’arrêter là, stoppé net par ce virus qui n’en a pas fini de jouer de la faux et de nous rafler sans distinction ceux qu’on aime, ou ceux qu’on aime écouter. Si ça n’était pas encore le cas pour Cesar Alexandre, aka Mount Shrine, entrez dans son univers, écoutez son chant du vide et, comme moi, vous vous direz qu’avec plus de chance – ou né dans un autre pays ? – il aurait pu aller très loin dans l’espace et même ailleurs, et nous avec lui.

https://cryochamber.bandcamp.com/

https://mtshrine.bandcamp.com/

https://soundcloud.com/mtshrine

 

Un commentaire

  • Kaven Dar

    Bel hommage à Mount Shrine que ce court texte, un artiste disparu bien trop tôt et que j’ai commencé à écouter bien trop tard.
    Merci aussi car en vous lisant, j’ai pu découvrir Steve Roach que je ne connaissais pas.

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