Emily Jane White – Immanent Fire

Immanent Fire
Emily Jane White
Talitres
2019
Jean Michel Calvez

Emily Jane White – Immanent Fire

Emily Jane White Immanent Fire

Si on pense à Emily Jane White, une « petite voix » dans votre tête vous soufflera que c’est d’abord une VOIX, de celles qui marquent et savent émouvoir, comme Kate Bush, Laura Marling, Joanna Newsom, Tori Amos, Alela Diane, Agnes Obel et quelques autres encore (pas tant que ça, tout bien réfléchi !) se distinguant par leur timbre, leur style, leur présence vocale ou autre chose encore, qu’on a du mal à saisir mais qui est bien là, insaisissable mais « inimitable ». De ces voix uniques qui restent en mémoire, qui vous scotchent et ne s’oublient plus, une fois entendues.
Mais très vite, une autre voix intérieure viendra s’interposer. Objection : Emily Jane White, c’est d’abord une VOIX ! Celle d’une pasionaria, d’une porte-parole engagée dans des causes qui comptent lourd, comme Joan Baez, Tori Amos (oui, encore elle : on pense au « Me And A Gun » de ses débuts), etc. Bref, des voix et des textes qui marquent parce qu’ils sont graves, indispensables, urgents. Les combats d’Emily Jane White sont de ceux-là, ils nous parlent, et sa voix – et de même sa VOIX – nous interpelle, fût-elle toujours susurrée presque en douceur. « Ok, mais tout ça c’est dans l’air du temps, #MeToo, la conscience écologique, etc., sont passés par-là », diront encore certains, un peu trop vite. Oui mais, ne pas oublier que bien avant #MeToo (eh oui, #MeToo, deux ans d’existence seulement !) et avant l’éveil (plutôt tardif, lui aussi) des consciences sur l’état de notre planète mille fois blessée et souillée, Emily Jane avait déjà ouvert la voie… et la voix, dès 2008 et son premier album, Dark Undercoat, chez Talitres, déjà. Cette fois le titre, Immanent Fire, vise à ranimer notre feu intérieur endormi et à éveiller nos consciences coupables de tant de négligences, dont celle d’avoir oublié et négligé la nature.

Emily Jane White Immanent Fire band1
On se souviendra du léger « pas de côté » de son dernier album en 2016 (et de même sur Bloodlines qui l’a précédé), d’une voix un peu plus lointaine et embrumée d’échos, noyée dans la réverb et les effets électroniques d’un shoegaze/ambient hyper léché à la Enya ou à la Cocteau Twins, y perdant sans doute un peu en précision et en focalisation sur les textes. Mais la voilà de retour pile comme on l’aime (et comme on la préfère) : simple et directe, unplugged ou presque, c’est-à-dire sans trop d’effets ni d’artifices surajoutés. Naturelle, en somme. Sans pour autant négliger les techniques de studio les plus sophistiquées avec une impeccable expertise, recréant sur certains titres l’illusion d’un orchestre à cordes. Production signée Anton Patzner qui intervient aussi comme multiinstrumentiste (violon, synthés, percussions, piano, drums), sur cet album où officie une équipe somme toute réduite de musiciens.
Comme sur ses premiers opus, instruments acoustiques et cordes sont à l’honneur sur plusieurs titres (Anton Patzner au violon, Lewis Patzner au violoncelle). Ce qui nous vaut de superbes cordes en pizzicato sur le très mélancolique « Entity », un piano élégiaque sur l’intro de « Light » et quelques apparitions de guitare acoustique. Mais pas que, car les percussions sont aussi très présentes pour assurer, même sur le tempo ralenti de « Light », un minimum de rythme et de punch pour appuyer les textes et en souligner l’urgence, évitant d’ancrer l’album dans un dark folk minimaliste par trop éthéré. Percussions plus souvent que batterie, d’ailleurs, dans un rôle parfois plus martial que rythmique (imitant les roulements de tambour d’un héraut annonceur de messages importants).

Emily Jane White Immanent Fire band2
Le ton est souvent grave, la musique sombre et lente, en accord avec le contenu des textes, le tempo souvent juste assez lent pour que les paroles infusent, « percutent » et interpellent, malgré l’absence de toute colère dans la voix. C’est une autre façon de notifier l’urgence, qui a toujours été celle d’Emily Jane White, loin des injonctions, vociférations et autres effets de manche de certaines chanteuses pop/rock. Certes, réverb et effets sur la voix (doublages, background vocals avec elle-même, etc.) sont toujours là, comme sur le titre introductif « Surrender » noyé de brumes sur une voix murmurée, presque soufflée à notre oreille, comme pour souligner la gravité tragique des paroles, mais ça n’est jamais au détriment de l’intelligibilité. Sur l’intro, puis sur le final dramatique en fade out, comme étouffé, un souffle lugubre de vent d’hiver (ou de fin du monde ?) vient appuyer celui de la voix, les deux s’éteignant dans un même souffle. La seule violence ici est celle des percussions, aussi claquantes et percutantes que celle une condamnation à mort ou que le son des canons.
« Drowned », (un peu…) plus agité, rappelle les prétentions et harmonies symphoniques d’une Agnes Obel, puis « Infernal » fait parler la caisse claire comme sur un titre rock, mais « Washed Away » reprend le ton d’une musique de chambre au tempo étiré, avec guitare acoustique rythmique, cordes et un superbe violoncelle solo, la batterie discrète se limitant cette fois aux balais. « Metamorphosis », toujours lent, est introduit par un fugitif mellotron vintage avant un rythme lourd et appuyé, cadencé par la caisse claire. « Dew » reprend le son Obel, avec son piano minimaliste aux notes étouffées comme des pas dans la neige, « Shroud » accélère un peu le tempo et se montre plus entêtant et presque lancinant grâce aux percussions (dont des cloches), aux guitares électriques, saturées mais lointaines, et à ses chœurs féminins angéliques servant de cocon à la voix brumeuse. En pur contraste, les nappes de cordes en pizzicato et le piano introduisant « Entity » recréent une fois encore une ambiance de musique de chambre digne de Fauré ou Debussy, « Light » poursuivant dans cette veine romantique mais ponctuée de percussions, tout comme le dernier titre au parfum d’apocalypse, d’un pessimisme glaçant, surtout placé ainsi en coda, inéluctable et sans rattrapage possible. « The Gates At The End », tout un programme ? Prophétie ou, à l’opposé, message de combat pour nous inciter à sauver ce qui peut encore l’être ?

Emily Jane White Immanent Fire band3
Fidèle depuis ses débuts à Talitres, label français promouvant un folk-rock de qualité (mais pas forcément anglo-saxon), Immanent Fire ne surprendra pas les fans de la première heure. Il ne manquera pas non plus de les séduire, avec ce qui ressemble à un retour aux sources d’un dark folk intimiste à la tonalité « faussement » romantique (ou vraiment victorienne ?), qui nous avait déjà donné Dark Undercoat, Victorian America et Ode to Sentience. Synthés et guitares électriques sont bien là mais ils restent souvent discrets, comme à l’écoute de la voix, à son service. S’y ajoutent un tempo et des effets toujours mesurés, jamais vraiment rock, donnant à la plupart des titres une tonalité intimiste proche d’un set acoustique, mettant en valeur la voix et formant un support idéal aux textes magnifiques, souvent plus poétiques qu’explicites car, comme toujours, un peu cryptés et « brumeux » (faudrait-il dire songeurs ou rêveurs, plus que « Choc » ?), comme l’est aussi la voix d’Emily Jane. Mais c’est aussi pour ça qu’on l’aime. Et cette fois, le titre de l’album ne laisse pas la moindre ambiguïté : l’objectif de cet Immanent Fire à la fois doux et menaçant est tout autant de nous prévenir (que nous sommes la cause, mais avons aussi la solution en nous-mêmes) que de « mettre le feu » dans nos consciences endormies.

http://emilyjanewhite.net/

https://www.facebook.com/emilyjanewhiteofficial/

http://www.talitres.com/fr/artistes/emily-jane-white.html

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