Joanna Newsom – Divers

Divers
Joanna Newsom
2015
Drag City Inc.

Joanna Newsom Divers

Ne pas tomber dans le panneau non-anglophile de base ; cet album n’est absolument pas une compil intitulée « divers » mais une plongée (dive) dans l’univers magique de la trop rare et méconnue Joanna Newsom, petite sœur en musique de Kate Bush – voire d’Agnès Obel ? Une comparaison portant avant tout sur la démarche et le style sophistiqués, plus que sur le genre proprement dit. Donc, Joanna Newsom est la songwriter version « élargie », qui ne se limite pas à gratter la guitare et le piano (si l’on peut le dire d’un piano ?), mais ouvre le spectre acoustique à quantité de sons raffinés et souvent exotiques (harpe, claviers, cordes), sa voix inattendue et hors normes (j’entends déjà « agaçante ») n’étant pas le moindre, juste le plus difficile à avaler, je l’admets. OK, il faudra faire avec. La bonne nouvelle est que, vis-à-vis de ses précédents opus, elle a fait sur Divers un vrai effort sur ce plan pour rendre sa voix plus « écoutable ».

En effet, Joanna Newsom c’est avant tout une voix, pointue, parfois suraiguë et à la limite du décrochage (le sien, ou le nôtre ?), de petite fille pas sage, ou de femme cherchant à imiter ou à retrouver sa voix d’enfant ? Une voix que l’on aimera ou détestera dans ses excès et ses miaulements suggestifs ou plaintifs de chaton perdu, mais qui détonne dans le paysage souvent formaté des registres vocaux des chanteuses anglophones. Une voix pouvant se comparer à celle de la chanteuse du groupe russe Caprice (chez Prikosnovenie) ou aux vocalises de la Kate Bush des débuts, sur « Wuthering heights » ou le sensuel et sensible « The Man With The Child In His Eyes ». Mais en bien plus extrême encore, pour situer. Pour ma part, je fais avec et je pardonne, car les excès vocaux de ses premiers opus ont été quelque peu gommés ou mieux maîtrisés. Et puis, quoi qu’on en pense ou supporte, tout le reste vaut vraiment le détour.

Et le reste, c’est quoi ? L’ambiance et la richesse des orchestrations d’un quatrième opus (sans oublier un EP) qui atteint un raffinement rare, digne des meilleurs Kate Bush (encore elle, excusez du peu), de Loreena McKennitt (ici le point commun serait avant tout la harpe) ou autres artistes pas forcément connues comme Kate Price (la harpe, encore) ou la sublime australienne Louisa John-Krol chez Prikosnovenie (qui semble hélas avoir disparu de la scène musicale depuis quelques années).

Joanna Newsom

Avec ce nouvel album comme dans tous les autres, cette artiste ne fait rien comme les autres et on ne doit pas s’attendre à des morceaux structurés sur le banal format binaire A/B (couplet/refrain). A l’opposé, vers et rythmes sont totalement libres et surprennent un peu au début – par excès de liberté ou par manque de prévisibilité, rendant assez difficile la mémorisation des thèmes mélodiques ? Vous verrez, on peut difficilement fredonner ses airs mais on s’y habitue vite, tout comme à la longueur de titres dépassant parfois les 15 minutes sur certains albums, bien que plus restreints sur celui-ci, où le plus long culmine à 7 minutes. Sans doute pour le plaisir de pouvoir nous en offrir onze, cette fois, et d’élargir d’autant la palette des climats et des orchestrations de l’une des représentantes majeures du courant psyché folk ou indie folk.

Divers exploite cet usage assez récent chez les artistes « raffinés » (Aimée Mann et son orgue électro-mécanique Chamberlin) de nous offrir les sonorités rares et classieuses de claviers vintage : mellotron M400 et mellotron MkII, Juno 106, minimoog, Schiedmayer celesta, marxophone, Wurlitzer, Neupert clavichord, Fender Rhodes, Baldwin electric harpsichord, Baldwin Discoverer organ, Estey field organ, Andes recorder-keyboard, Hammond B3. Excusez du peu… même les rois de la Berlin School n’en avaient pas autant sous la main ! Mais qu’on se rassure, Divers n’est nullement noyé sous les nappes de claviers ou dans l’expérimentation underground. Au contraire, fraîcheur et folkitude y restent intacts. S’y ajoutent les instruments de l’orchestre classique : hautbois, clarinette basse, trombone, violon, alto, flûte à bec, contrebasse, etc. Sans oublier ceux du folk/rock (guitare électrique, banjo, bouzouki, baglama, drums…) et, bien sûr, le piano et la harpe de Joanna ; on en oublierait presque la voix y donnant une touche complémentaire d’étrangeté… Tout cela confère aux 11 titres de ce nouvel opus une couleur, une richesse et une variété de timbres (allez, je n’y résiste pas : une Divers…ité) sans équivalent dans les registres folk ou rock. Et ne serait-ce qu’à ce seul titre, Divers est une véritable perle, un OVNI musical, en convoquant et combinant sans « fausse note » tous ces instruments et ces sons sur une même galette, sans que cela sonne ni excessif ni surabondant.

Alors, on retiendra la grâce absolue de titres qui évoluent comme butine un papillon, sans jamais se poser sur un schéma musical prévisible ou préétabli, un peu comme s’ils étaient improvisés spécialement pour l’auditeur. Le duo mellotron/percussion de « Leaving The City » sur lequel se pose la voix devenant lancinante et hantée est une merveille, mais on pourrait citer tous les titres, chacun ayant ses moments privilégiés de paix ou de bravoure. Et si l’on parvient à se placer dans l’état d’esprit adéquat, après quelques écoutes (nécessaires pour s’acclimater), cette voix-miaulement deviendra alors murmure, caressante et, il faut l’avouer, diablement sensuelle aussi. Peut-être même, l’accoutumance venant, parviendrez-vous à vous plonger sans faire la grimace dans le bain des opus plus anciens tels Ys (2006) et surtout, le premier album, The Milk-Eyed Mender (2004). Depuis, le chaton s’est fait chatte, et la voix toujours aussi surprenante qu’à ses débuts, mais moins acidulée, toujours un peu folle et folâtre, mais peut-être aussi un peu plus adulte, qui sait ?

Jean-Michel Calvez

http://www.dragcity.com/

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Un commentaire

  • Fred Natuzzi

    Très belle chronique d’une chanteuse difficile à chroniquer ! Je l’ai vu sur scène, sa voix passe mieux 😉 Et je lui serait toujours reconnaissant d’avoir réveillé Roy Harper de sa retraite en l’invitant en première partie de ses concerts (c’est d’ailleurs pour lui que je l’ai vu elle !), et également pour avoir encouragé Alela Diane, folkeuse à la voix magnifique.

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