Altesia – Embryo
Autoproduction
2021
Rudzik
Altesia – Embryo
Dans la famille, « J’ai profité du, des confinement(s) pour travailler sur un nouvel album », je demande Altesia, le groupe mené par le Bordelais Clément Darrieu. Même pas deux ans après l’étonnant Paragon Circus qui m’avait autant émoustillé qu’un gigolo en chasse d’une cougar, le groupe sort Embryo, son nouvel opus qu’il me tardait d’écouter. Il faut dire qu’Altesia a réellement été stoppé en plein décollage de notoriété, ne se produisant que sur trois dates de sa tournée programmée en 2020 avant de se heurter à toutes les portes fermées des salles de concerts comme tant d’autres groupes et non des moindres. Alors quand on adore la zik, qu’est-ce qu’on fait quand on tourne en rond ? ben on en écrit, bien sûr.
Embryo est un album à thème, comme l’était Paragon Circus (« Dans notre épisode précédent, Altesia se confrontait au Parangon, un modèle de monde façonné par l’être humain qui le mène à sa perte »), bien que ses textes très personnels et métaphoriques soient moins directement compréhensibles pour le commun des mortels. Pour essayer de faire simple, disons qu’Embryo traite d’un personnage qui entre en communication avec une âme ascensionnée pour le guider. Après avoir été initié, il comprend en mourant à la fin de l’album, qu’à son tour, il va être un guide pour d’autres humains sur terre. L’idée est que l’auditeur puisse se reconnaitre dans ce rôle et cette responsabilité pour comprendre qu’il passe lui aussi d’élève à maître tôt ou tard dans sa vie. Ainsi, contrairement à Paragon Circus, l’album souhaite mettre en évidence le côté plus lumineux de l’âme humaine (NDR : « Ben ils ont dû le chercher pendant un bon moment ce côté lumineux et surtout pas en écoutant les infos »).
Embryo a commencé par être conçu à partir des « chutes » de Paragon Circus, avant d’affirmer sa propre personnalité au fur et à mesure de son écriture, quoique c’est paradoxalement son dernier morceau qui est le plus dans la lignée d’un de ses prédécesseurs, mais j’y reviendrai. On y retrouve les principales influences du groupe comme Opeth, Dream Theater et surtout Haken (le timbre de voix de Clément y est pour quelque chose) mais également Caligula’s Horse et Leprous. Pourtant, toutes ces influences sont désormais bien digérées, aussi Altesia parvient à développer sa propre personnalité sur Embryo, notamment en explorant plus résolument des sphères jazzy parfois surprenantes, mais toujours judicieuses. Le temps libre, ça permet de fignoler une œuvre à condition de ne pas tomber dans le piège du « mieux qui est l’ennemi du bien ». Et Altesia ne s’est pas fait piéger. Clairement, Embryo est un véritable palier franchi dans l’écriture et l’interprétation des morceaux avec, pour cerise sur le gâteau, des arrangements et un mastering professionnels réalisés par David Thiers de Secret Place qui donne beaucoup de corps et de background musical à l’album. Comme cité plus haut, le groupe s’est vraiment lâché, incorporant à plusieurs de ses plages des passages jazzy, empreints de cuivres (Julien Deforges) et de cordes (Thibault Malon) qui lui donnent une versatilité bien réjouissante. Pourtant, confinement oblige, chacun a enregistré chez soi, cette méthode générant des difficultés de coordination et de timing du fait des emplois du temps de ministres de chacun des membres (quoique j’ai souvent l’impression que les ministres produisent moins de travail effectif que les membres d’un groupe de prog, mais je m’égare…). Alors quel bonheur d’écouter un résultat aussi cohérent et pourtant bourré de circonvolutions et d’explorations aventureuses bien au-delà des rivages connus du metal progressif et parfaitement illustré par l’art work d’Ani sur la jaquette. Je parlais de se lâcher et s’il y en a un qui ne s’en est pas privé, c’est bien Yann Ménage à la batterie dont la double caisse a mis régulièrement le feu à cette galette lui donnant plus de corps et d’agressivité que sur Paragon Circus. Cependant, le démarrage s’effectue en douceur le temps d’un « Micromegas » acoustique et tranquille sur lequel Clément semble prendre le temps de poser sa voix avant la tempête qui s’annonce, l’occasion de remarquer les progrès qu’il a pu faire même s’il conserve un timbre assez plat à la Ross Jennings (Haken) qui, comme pour ce dernier, convient parfaitement au genre musical traité. Yann Ménage et Alexis Casanova à la guitare se chargent de balayer toute cette poésie pour lancer le dévastateur « Mouth Of The Sky » dont l’intro reprend le même thème que la fin du titre précédent, mais de façon décuplée en termes de décibels. Ce single de l’album est bandant avec l’opposition entre les couplets secs, breakés et un refrain libérateur et mélodique, opposition que l’on retrouve dans le final avec ce solo de guitare de folie précédant quelques dernières mesures acoustiques qui clôturent gentiment ce titre. Vous avez dit versatilité ? Altesia nous refait le coup avec le très costaud « The Remedial Sentence » entrecoupé par un break lounge jazzy au piano complètement inattendu de légèreté. Le thème du morceau, la difficulté et la nécessité du pardon, me parle tout particulièrement, moi le rancunier invétéré. Ce qui est génial, c’est que les deux approches du titre, jazz et metal, s’unissent pour former le super solo de guitare que nous délivre Alexis Casanova au cœur du morceau, comme pour démontrer toute la dualité des sentiments devant conduire au pardon. Faudra que je médite ça moi !
Place à la mélancolie le temps d’« Autumn Colossus » bourré de délicatesse sur lequel Clément suscite beaucoup d’émotion et démontre les progrès vocaux précités alors que la basse d’Hugo Bernart, qui a rejoint le groupe juste après la sortie de Paragon Circus, se fait langoureuse à souhait. Il est question du pouvoir de la parole en bien ou en mal, comment on peut détruire quelqu’un par les mots ou l’amener dans la lumière. (On en revient aux ministres ou autre guides spirituels, beaux parleurs autant que destructeurs si mal intentionnés, mais je m’égare de nouveau…). C’est alors que se profile à l’horizon de ma platine (oui, je sais, mais pourquoi n’y aurait-il que Clément qui aurait le droit d’écrire des métaphores à dormir debout ?) « Sleep Paralysis », sorte d’hybride d’Haken et de Muse avec ses passages barrés de valse à l’accordéon, de blast beat breakés et baignés d’orgue Hammond (j’adore ce que fait Henri Bordillon en la matière), de ballade à la twin. C’est du très lourd pour prêcher l’anticonformisme, mais il faut bien ça pour sortir des sentiers battus. Dans la continuité du concept précédent et construit sur les bases des couplets d’un morceau initialement écrit par Alexis, « A Liar’s Oath » traite de l’affirmation de ses positions et le fait d’être en accord avec ses propres principes. Il m’est apparu que c’est sur ce titre que la symbiose joue le plus entre les protagonistes du groupe, car les variations au chant avec un refrain un peu pop, les soli de guitare, les slides de basse, la justesse de la double caisse qui n’est pas surabondante, les nappes de claviers, tout est en accord parfait pour un morceau qui donne sa dose de groove. L’occasion de remarquer que la progression des titres d’Embryo est extrêmement judicieuse. À chaque titre, on croit avoir saisi la quintessence de l’album, mais pourtant, le suivant monte à chaque fois la barre un peu plus haut comme s’amusait à le faire, centimètre après centimètre Sergueï Bubka, le fabuleux perchiste recordman du monde du nombre de records battus. (Arf, encore une métaphore à deux balles !).
On croit avoir tout compris et là, on est mis véritablement KO par les vingt et une minutes du pantagruélique et dernier titre de l’album « Exit Initia ». Il est clair qu’Altesia y fait étalage de tout son savoir-faire sur ce morceau qui n’a fait que s’étoffer de répèt en répèt, recevant en son sein toutes les idées (et elles sont nombreuses) que le groupe a pu avoir dans les jams, avec toujours ces incursions jazzy, dont en particulier celle au doux parfum brésilien (si si Clément, pas l’Impératrice ! Enfin moi je l’ai perçu comme tel) suivie d’une joute saxo / guitare courte mais affriolante et puis aussi ces parties qui m’ont rappelé le « Whose Side Are You On » de Matt Bianco, allez savoir pourquoi, mais c’est dire le grand écart musical dont sont capables ces mecs. Réellement très épatant. Et pourtant, au-delà de tous ses nombreux détours instrumentaux étonnants de versatilité, « Exit Initia » est à la base le morceau qui est le plus en droite ligne de Paragon Circus puisqu’il est une suite de « Reminiscence » dont on retrouve régulièrement des liens de parenté principalement au niveau des riffs. Le sujet traité me parle beaucoup également puisque Clément m’a confié qu’« Exit Initia » traitait de la mort et de ce qui nous attend derrière à savoir « 1000 vierges et un immense bol de sangria ». Devant ma surprise face à cette explication, ce brave Clément m’a affirmé avoir commis un lapsus, voulant en fait parler de « mille cierges », mais j’avoue avoir des doutes. Mille cierges pour mille vierges commettant le péché de lapsus, voilà qui me semblerait plus pertinent et, si j’ose dire… plus alléchant non ? Mais voilà que je m’égare de nouveau bien que je ne parle pas de personnalité politique… même pas non plus de Clinton ou de DSK ! En tout cas, « Exit Initia », tout en se terminant avec beaucoup d’emphase pour une montée finale énormissime rappelant le morceau « Six Degrees Of Inner Turbulence » de Dream Theater (mais aussi, « Reminiscence » évidemment) bien que très puissant, ne rend pas sourd. Ça serait dommage car ça nous priverait d’une nouvelle écoute de ce fabuleux Embryo qui donne un sacré coup de projecteur au metal progressif à la française.
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