Wrekmeister Harmonies – We Love To Look At The Carnage

We Love To Look At The Carnage
Wrekmeister Harmonies
Thrill Jockey Records
2020
Jéré Mignon

Wrekmeister Harmonies – We Love To Look At The Carnage

Wrekmeister Harmonies We Love To Look At The Carnage

Inlassablement, Wrekmeister Harmonies termine sa route et son cheminement tel un Picasso contemporain, modifiant, simplifiant et épurant ses traits sans perdre au passage son tempérament et son style hybride à la croisée des chemins. Il est tout aussi intéressant de suivre la route parcourue depuis la naissance du projet où J. R Robinson conviait alors un nombre conséquent de participants, la palme revenant à Night Of Your Ascencion, avec sa trentaine d’invités (venant tout aussi bien de la musique expérimentale, classique, folk, sludge, black metal ou post-rock), que d’observer par l’écoute « l’assainissement » crescendo des deux derniers albums.

La peur de la page blanche… Une fois celle-ci gribouillée, aplatie par les couches successives de peintures ne faisant qu’un bloc, on en revient à gratter, dépouiller, décoller et aérer. D’autres formes apparaissent alors, d’originaux sillages, des échos de teintes inattendus, une nouvelle façon d’appréhender son environnement et des structures inédites à solidifier et charpenter. Bien que sortant régulièrement, tous les deux ans, un nouvel album sur un concept à chaque fois original, Robinson s’est mis d’une certaine manière d’avantage en avant ainsi que sa compagne Esther Shaw, celle-ci devenant l’autre face d’un miroir paradoxal. Wrekmeister Harmonies c’est se balader dans un labyrinthe de glaces. Les miroirs se répondent entre eux, se déforment, perdent le visiteur dans un dédale de configurations, contre-formes dans une profondeur physiquement factice que psychologiquement profonde et infinie. La page redevient toujours blanche, une page qu’on se doit de remplir et de donner vie. Une peur…

Wrekmeister Harmonies We Love To Look At The Carnage Band 1

Maintenant, il ne fait plus aucun doute que la dualité entre Robinson et Shaw est au cœur du processus de composition. Entre la folie et la tension de Robinson et la voix diaphane et les envolées de violons de Shaw, c’est un combat des sens et de sentiments dialogués qui prennent vie, se jaugent et s’entrechoquent. We Love To Look At The Carnage est une déambulation, une errance au sein d’un milieu aussi accessible que propice à l’angoisse. Pérégrination fictive entre minuit et six heures du matin, l’écoute se révèle plus pastorale qu’urbaine. Pas de claustrophobie citadine ici et d’immeubles vaguement éclairés. On redécouvre les sons allégoriques de pas sur la mousse humide, les feuilles qui se frottent sous l’impulsion du vent, le craquement du bois sur l’usure du temps et le passage d’un coyote au milieu d’une rue vide. Animalité et modernité en une seule image, un regard brillant sous une lumière, une frontière dont on n’ose faire le premier pas. Le traitement en devient par là plus éthéré, drone, voir ambient. Guitares, synthés et violons prenant le pas sur les percussions discrètes mais vivaces de Thor Harris (Xiu Xiu, Swans), les collaborateurs du moment (James Stewart de Xiu Xiu entre autres) devenant plus des accents, un ciment liant les interventions de J. R Robinson et d’Esther Shaw.

Car, il n’y a pas vraiment de rythme sur We Love To Look At The Carnage mais des ponctuations, des instants d’intensité, des augmentations du ressenti sur des périodes indéterminées mais étrangement définies. Il n’y a plus d’enveloppe physique qui marche au grès d’un courant d’air mais un esprit qui s’égare, s’arrête, observe, contemple, reprend, s’étonne ou s’effraie en fonction de modulations spectrales souples et langoureuses ou extrêmes et haptiques. Un jeu de dents de scie en somme. Accablant de misère parfois, lumineux dans ses embranchements à d’autres mais toujours sur le fil de cette corde raide où le groupe joue les funambules entre émotions et niveaux d’intensité et d’accalmie disparates. We Love To Look At The Carnage est une leçon. Leçon d’écriture et d’enregistrement d’abord (l’album ayant été composé isolé dans une maison perdue en plein hiver), leçon de ressenti mais aussi leçon d’humilité de la part d’un Robinson atténuant volontairement les fragments les plus compactes et excessifs qui arrivaient souvent graduellement en fin de ces anciens morceaux fleuves. Cependant la démesure est là, bien présente, trompeuse, succincte, prenant des atours quasi-industriels (l’évocateur « Still Life With Prick Cancer ») pour mieux rebondir sur une économie subtile de moyens, basculant d’un style à un autre en gommant d’avantage leurs limites et gagnant par là en homogénéité atmosphérique.

Wrekmeister Harmonies We Love To Look At The Carnage Band 2

Alors si entre minuit et six heures du matin vous vous sentez à l’étroit, cloisonné, insomniaque, que l’environnement proche paraît exiguë, anxiogène et que vous vous sentez comme un petit animal sans défense, mettez-vous We Love To Look At The Carnage, quelque part vous vous sentirez dans une sécurité factice mais surtout face au questionnement de votre existence tel un rongeur apeuré ou un coyote perdu dans un environnement étranger. Le carnage, lui, il est quotidien, routinier, accepté même, mais le pire c’est qu’on se délecte de le regarder et à Wrekmeister Harmonies d’y apposer formes, mots, motifs, couleurs et orientations sur des sentiments qu’on s’imagine trop facilement cachés dans un coin de notre encéphale. Une page blanche en somme… Car après Wrekmeister Harmonies il restera une nouvelle page, une nouvelle toile, qu’il faudra remplir…

https://wrekmeisterharmonies.bandcamp.com/

 

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