Violence Mortuaire – Quidam (+ interview)
Auto-production
2018
Frédéric Gerchambeau
Violence Mortuaire – Quidam
Ce Quidam est la confirmation, en plus long, plus divers et plus travaillé de l’EP L’Anatomie De Violence Mortuaire, sorti le 23 avril 2017 et qui avait littéralement secoué les oreilles et les tripes de beaucoup de ses auditeurs. Du black metal étonnamment rageur injecté d’un grunt dantesque ravagé par une batterie dévastatrice. Genre la véritable bande-son noirâtre et sulfurique d’Apocalypse Now ! Or, à l’inverse de tout ceci et pour mieux nous surprendre, Violence Mortuaire est lui-même un duo a priori potentiellement blaguesque, une sorte de curieux mariage de l’agneau et du loup, sauf que c’est l’agneau qui rugit et le loup qui mixe tranquillement les bêlements terrifiants ! Pour être plus clair, Violence Mortuaire est un duo formé de Colt Wiseman (guitares, basse, chant) et de Clément Soubrouillard (batterie, mixage, mastering). Vous ne voyez rien de fabuleusement bizarre ? Je vous explique. Mais d’abord revenons sur l’album Quidam par lui-même.
Quidam est, je cite les propres paroles du groupe, « un savant assemblage de metal, de jazz, de world, de prog et de growl accompagné de poèmes d’Arthur Rimbaud, Victor Hugo, Charles Péguy ou encore Jean de la Fontaine ». Oui oui, tout ça à la fois. Et le meilleur de l’affaire est que le mélange n’apparaît aucunement étrange. Ce qui est étrange – n’est-ce pas ! – pour un duo tirant sa musique des plus caverneuses régions du métal noir. Les métalleux, ces affreux hideux de la musique sombre, auraient-t-ils donc un cerveau ? Et pire, sauraient-ils s’en servir ? Oh que oui, mes amis ! C’est même encore mieux que cela. Car comme ils le déclarent eux-mêmes, Violence Mortuaire empreinte la voie de l’expérimental metal. Tout est dit. C’est du metal mental, qui pense, qui se pense. Metal, Rimbaud, jazz, Hugo, world, Péguy, growl. Tout cela à la fois. Mais pas dispersé façon puzzle aux quatre coins de l’album. Agencé, entremêlé, consolidé. Ce qui ferait de Quidam un ODNI ? Je veux parler d’un Objet Discographique Non Identifié.
Oui et non. Les groupes mélangeant ceci et cela sont légions, ce qui inclut évidemment pour bien faire une chose et son contraire. Il y a longtemps déjà, Emerson, Lake & Palmer croisaient allègrement rock, gros modulaire Moog et musique classique. Les Who eux-mêmes intégraient sans problème des synthés aussi mythiques que les ARP 2600 et 2500 dans leur blues écorché vif. Tandis que les Beatles et les Stones alliaient sans sourciller blues, rock, pop et musique indienne. Je m’arrête là, je pourrais facilement multiplier les exemples et des encore plus bizarres que ceux-ci, l’histoire du rock, du blues et de la pop en est véritablement farcie ! Je vous passe donc les mélanges sans fin opérés par The Mothers Of Invention, Pink Floyd, Hawkwind, Gong et autre King Crimson. Je vous passe aussi tous les groupes de metal progressif, plus ou moins hargneux et créatifs. A cette aune, le mix jazz-fusion/La Fontaine/black metal de Quidam ferait presque figure de norme !
Alors, quoi de réellement original du côté de Violence Mortuaire ? Pour faire simple, le fait 1) que Colt Wiseman est beaucoup plus connu pour son style bossa-nova cool tranquille que pour ses riffs enragés et distordus, et 2) que le batteur vraiment très énervé Clément Soubrouillard s’occupe par ailleurs fort paisiblement du mixage et, bien mieux encore, du mastering. C’est le monde à l’envers ! Devant tant de mystères et d’énigmes, mais surtout très intéressé par ce duo jouant sans peur mais aussi sans faille le contre-emploi, j’ai pensé que quelques questions adressées à ce duo peu commun seraient les bienvenues…
http://violencemortuaire.strikingly.com/
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Quelques questions à Violence Mortuaire:
Frédéric Gerchambeau : D’où est venue cette idée – a priori saugrenue – d’associer guitare bossa-nova, grunt, poèmes, et rythmique black metal ? En un mot, comment est né ce duo ?
Violence Mortuaire : Au départ, l’idée de faire un groupe n’était qu’un simple délire de soirée autour de genres en apparence incompatibles. Puis, petit à petit, nous avons commencé à vraiment réfléchir à ce que cela pourrait réellement donner car nous avions à cœur de proposer un concept nouveau. Nous avons enregistré plusieurs compositions regroupées dans l’EP L’Anatomie (2017) : Violence Mortuaire était né !
FG : Beaucoup se font une très mauvaise image du black metal. Quelle est votre propre opinion sur ce style musical, qui est aussi souvent un style de vie ?
Clément Soubrouillard : Je trouve qu’il s’agit d’un style musical honnête et sincère. C’est une musique qui se fait avec les tripes et c’est loin d’être encore le cas pour beaucoup de musiques actuelles. Après, comme partout, il y aura toujours des cons qui ternissent l’image du style…
Colt Wiseman : C’est une musique gorgée d’émotions profondes et très puissantes que j’apprécie.
FG : Qu’est ce qui vous fascine très personnellement dans la mort ? L’au-delà ? Ses représentations ? Ses rituels ? Son mystère ? Expliquez-nous.
VM : Aujourd’hui encore, alors que la science commence doucement à percer les mystères de l’univers, la mort reste une sorte de frontière infranchissable. Chacun est libre d’interpréter ce qu’il se passe après cette étape. Des gens diront qu’il n’y a rien, d’autres parlerons du Paradis et de l’Enfer, d’autres encore de la Réincarnation. Dans Quidam, notre premier album, nous avons voulu détailler les étapes et les rituels successifs de l’après-décès. Nous y avons mêlé pratiques scientifiques, rituels religieux et représentations de l’Au-delà. Ce mélange témoigne bien du mystère et des limites de la science sur le sujet : les pratiques scientifiques se cantonnent aux premiers morceaux, puis vient le temps des rituels et enfin celui des représentations.
FG : Comment un musicien normalement très calme sur sa guitare acoustique peut se muer en un guitar-hero déchaîné versé à mort dans le chant guttural ? Impressionnant !
CW : Mon premier instrument ayant été le saxophone, ma formation musicale tournait autour du classique et du jazz. Les années et les voyages m’ont amené à comprendre d’autres manières de créer et de percevoir la musique et ses émotions. C’est cette richesse que j’essaie de restituer dans les compositions de Violence Mortuaire. Le reste n’est que du travail acharné pour assimiler les techniques de l’instrument. Pour le « chant », j’avais toujours rêvé de déverser une haine profonde sur des textures sonores pour exprimer la puissance des émotions. Par ailleurs, il est fort probable qu’un schizophrène autiste prenne le contrôle lors des séances de compositions du groupe.
FG : Le cas du batteur n’est pas mal non plus. Car en plus de manier admirablement les baguettes, il mixe et masterise. Du très bon boulot. Expliquez-nous ce rôle multiple.
CS : C’est à la fois un choix et une approche qui me semble raisonnable à notre échelle. Un choix car depuis quelques années je m’intéresse aux techniques de mixage et au home studio. C’est même une sorte de drogue ! Le projet Violence Mortuaire tombait à pique pour mettre tout ça en pratique ! Procéder ainsi nous donne aussi l’avantage de pouvoir travailler à notre rythme sans avoir les contraintes temporelles et la pression d’un vrai studio professionnel loué à la journée. Avec un peu de recul, je reste persuadé que c’était le choix à faire. Nous sommes plutôt fiers du résultat. Mais l’idée d’enregistrer dans un vrai studio viendra peut-être un jour… mais ce jour n’est pas encore arrivé !
FG : Au final, comment voudriez-vous que votre duo soit perçu et que votre album soit reçu ?
VM : Nous nous plaçons clairement dans une démarche expérimentale. Si la thématique de la mort n’est pas une innovation, l’approche musicale mêlant de nombreux styles me semble, elle, un peu moins courante. Notre album est à prendre comme tel : une union entre Anciens et Modernes. Violence Mortuaire se veut hétérodoxe !
Propos recueillis par Frédéric Gerchambeau (Novembre 2018)