Tori Amos – Unrepentant Geraldines
Mercury Classics
2014
Fred Natuzzi
On avait laissé Tori Amos faire un bilan de sa carrière avec l’aide d’un orchestre symphonique sur « Gold Dust » il y a 2 ans. Cette rétrospective l’a peut-être aidé à retrouver ses muses, car l’on peut dire qu’avec ce quatorzième album, la belle retourne aux sources ! En effet, elle revient à son piano au centre des compositions, et de plus, n’y invite ni Jon Evans ni Matt Chamberlain, ses fidèles compagnons rythmiques.
Elle fait tout avec son mari crédité sous le nom de Mac Aladdin, aux guitares et à la programmation. Tori délaisse la pop conceptuelle où elle s’était aventurée sur trois albums mineurs au cœur des années 2000, et après une parenthèse classique (l’exigeant « Night Of Hunters ») et une participation à une comédie musicale, nous donne un opus où la beauté des morceaux alliée à sa voix et son piano magiques nous emportent dans ses peintures à la fois terriennes et oniriques, inspirées par les œuvres de Cézanne, Titien, Diane Arbus ou Dante Rossetti. Chacun des morceaux de « Unrepentant Geraldines » (faisant référence au peintre irlandais Daniel Maclise) est une évocation de la place de la femme dans la société. Cette Géraldine repentante est en fait une notion qui a parcouru l’histoire : les femmes ont toujours dû, d’une façon ou d’une autre, s’excuser, être repentante, ne pas vivre pleinement leur condition de femme. Ne pas être repentante, être libre et vivre épanouie, c’est donc le mantra de l’album, au cœur de textes contemporains, de destinées, de mythes, ou de portraits.
Dans l’intimité, ces 14 titres tissent majoritairement une « pop de chambre », celle qui a fait le succès de Tori Amos. Et chaque morceau pourrait provenir des premiers albums de la pianiste. « America », « Promise » en duo avec sa fille, et le single « Trouble’s Lament » évoquent « Scarlet’s Walk », une pop élégante et intelligente, avec l’idée d’un voyage musical. « 16 Shades of Blue », avec quelques éléments électro et ses cordes, aurait pu se trouver sur « To Venus And Back ». « Unrepentant Geraldines », épique, frôlant les 7 minutes, évoque le meilleur de « Boys For Pele ». Avec son ambiance étrange, ses voix aigües, son piano magistral et une deuxième partie intimiste, c’est sans doute le morceau le plus Amossien écrit depuis 15 ans.
Encore mieux, les moments où Tori est seule avec son piano sont autant de joyaux : le magnifique « Oysters », les émouvants « Weatherman », « Invisible Boy », « Wild Way » et le 15eme titre bonus de l’édition limitée « Forest Of Glass » rappellent le premier album « Little Earthquakes », tandis que « Selkie », « Wedding Day », « Maids Of Elden-Mere », plus orchestrés, ou le joyeux « Giant’s Rolling Pin » ne détonneraient pas sur « Under The Pink ». Enfin, « Rose Dover », à l’ambiance plus dark, figurerait bien sur « From The Choirgirl Hotel ». A noter deux autres morceaux que l’on peut trouver sur le net : « White Telephone To God », rigolo mais dispensable, et « Dixie », sublime.
Tori Amos avait besoin de sortir de cette routine où chaque album ressemblait au précédent. Elle reprend sa liberté créatrice qui lui permet d’expérimenter, de créer son œuvre, importante et essentielle, et nous livre son meilleur depuis « Scarlet’s Walk » en 2002. Les mélodies et harmonies vocales envoûtent, les textes sont intelligents, le piano règne. En bref, Tori Amos est de retour.
Fred Natuzzi (9/10)